[BOUQUINS] Jacques Saussey – Invisible

Le terrain de jeu de ce tueur en série ? Les autoroutes…

L’appel radio a mentionné le cadavre d’une femme retrouvé sur une aire de l’autoroute 43, près d’Albertville. « Un truc de malade », a précisé le militaire de liaison.

Alice Pernelle, fraîchement sortie de l’école de gendarmerie, est la première à arriver sur les lieux avec sa brigade. Face à elle, la victime est nue, à genoux, les bras ballants. Empalée. Ses yeux grands ouverts ne voient que le vide.

Alors que, sous le choc, la militaire recule d’un pas, Loulou, lui, est déjà loin au volant de son camion. Ce soir, il passera la frontière allemande. Mais avant il rachètera des sacs poubelles, des gants Mapa et un bidon d’eau de Javel.

Pour la prochaine fois.

Parce que c’est Jacques Saussey, une valeur sure de la scène noire française.

Parce qu’il nous permet de retrouver Alice Pernelle que nous avions rencontré dans le roman Ce Qu’Il Faut De Haine.

Ah, mais elle en fait du chemin, la jeune Alice Pernelle ! Depuis Ce Qu’Il Faut De Haine, elle poursuit sa route avec détermination et fait désormais ses premiers pas à la gendarmerie d’Albertville. Et pour inaugurer cette nouvelle étape de sa carrière, elle se retrouve plongée dans une affaire d’une noirceur absolue : une jeune femme a été assassinée et son corps exposé dans une mise en scène d’une macabre précision.

Sur cette aire d’autoroute très fréquentée, aucun indice exploitable. Rien. Le vide total. Pourtant, Alice est convaincue d’avoir affaire à un tueur expérimenté. Un meurtrier qui n’en est pas à son premier forfait. Mais les fichiers restent muets, aucune scène similaire ne remonte à la surface.

La gendarmerie d’Albertville n’a toutefois pas le temps de se focaliser sur cette affaire : une nouvelle intervention, sans lien apparent avec la précédente, vient frapper l’équipe en plein cœur. Un événement qui bouleversera profondément Alice et l’obligera à repenser son rapport au métier, à la douleur, et à ses propres limites.

Comme si cela ne suffisait pas, un braquage vient bientôt s’ajouter au chaos ambiant. Trois affaires, sans connexion visible… du moins en apparence. Pendant ce temps, de son côté, le tueur en série surnommé Loulou poursuit son périple meurtrier à travers l’Europe.

Jacques Saussey adopte une construction alternée : un chapitre avec Alice, un chapitre avec Loulou. Le procédé fonctionne à merveille. Fidèle à son style, l’auteur privilégie des chapitres courts, un rythme tendu et une écriture sans fioritures. On avance vite, on respire peu, et on se laisse happer par cette mécanique parfaitement huilée.

Loulou, quant à lui, est un tueur d’un genre nouveau. Un personnage à la fois malsain, imprévisible et d’une imagination glaçante. Non seulement il arpente l’Europe au gré de ses tournées de livraison, mais il change de mode opératoire à chaque meurtre, rendant toute piste presque impossible à tracer. Certaines scènes donnent littéralement des frissons, notamment celle de Bregenz, en Autriche, dont la cruauté et la mise en scène sont particulièrement marquantes. Saussey n’y va pas de main morte : c’est sombre, violent, mais jamais gratuit.

Face à un tueur aussi insaisissable, le lecteur se retrouve à partager les mêmes questions que les gendarmes : comment identifier un fil conducteur entre ces crimes qui n’ont rien en commun ? Comment trouver la faille qui permettra d’identifier Loulou, puis de l’arrêter ? Heureusement, Alice, tenace et intuitive, n’est pas du genre à lâcher l’affaire, quitte à agacer au passage quelques collègues plus prudents qu’elle.

Quant aux deux autres enquêtes, le lecteur en découvre peu à peu les enjeux, les pièges et les ramifications au même rythme que les enquêteurs. Là encore, Alice devra s’investir corps et âme, parfois à ses dépens.

Finalement, Invisible est un thriller mené tambour battant, porté par des personnages très incarnés – même les rôles secondaires bénéficient d’une attention particulière. À ce titre j’ai eu un gros coup de cœur pour Angelina Castel, une étudiante en criminologie qui viendra aider Alice.

Jacques Saussey démontre une nouvelle fois sa maîtrise du genre et signe un roman efficace, sombre et parfaitement construit.

Je ne sais pas encore ce que l’auteur réserve pour la suite, mais pour ma part, je signerais volontiers pour retrouver Alice Pernelle dans de futures enquêtes.

[BOUQUINS] Anonyme (Bourbon Kid) – Noir Comme L’Enfer

Dans la petite ville de Désespoir, trois jeunes femmes ont été kidnappées. La police arrête un suspect. Surprise : son ADN correspond en tout point à celui de Jack l’Éventreur. Avant d’être interrogé, l’homme disparaît mystérieusement. Une seule personne semble en mesure de le retrouver : le Bourbon Kid, le tueur le plus impitoyable que la terre ait jamais porté.

Pendant ce temps, une femme-robot ressemblant trait pour trait à Jasmine, l’ex-prostituée tueuse de démons, commet des vols à main armée dans toute la région. Appelés à la rescousse, les Dead Hunters, vénérable confrérie de chasseurs sanguinaires, entrent dans la danse.

Toutes les pistes les conduisent bientôt vers le mystérieux strip-club d’une ville nommée Ténèbres, où plane l’ombre d’un revenant inattendu : Adolf Hitler himself !

Bourbon Kid, what else ?

D’autant que la quatrième de couv’ nous promet une intrigue encore plus barrée qu’à l’accoutumée.

Ami(e)s lecteurs et lectrices, préparez-vous : ce roman va vous révéler des vérités qu’aucun manuel d’Histoire n’osera jamais raconter. Et pour cause — même les historiens les plus chevronnés ignorent ces révélations explosives ! Imaginez un peu : vous allez enfin découvrir qui se cache derrière le cold case le plus célèbre du monde… Oui, Jack l’Éventreur en personne ! Et si cela ne suffisait pas à piquer votre curiosité, sachez que vous apprendrez aussi toute la vérité sur le suicide d’Hitler, et sur celui d’Eva Braun. Rien que ça.

Vous l’aurez compris : pour ce nouvel opus, notre mystérieux auteur Anonyme, alias le Bourbon Kid, place la barre très haut dans le grand art du portnawak assumé. Et c’est tant mieux, car c’est exactement ce que l’on vient chercher en ouvrant un roman de cette saga : du chaos jubilatoire, de l’action débridée et une bonne dose d’humour noir. Le côté complètement barré est non seulement assumé, mais fièrement revendiqué.

Quel plaisir de retrouver le Bourbon Kid, l’équipe des Dead Hunters au grand complet, Sanchez et Flake en tête, sans oublier Jacko, le gardien du Purgatoire et de l’Enfer, dont le rôle continue de s’étoffer au fil des tomes. L’auteur joue à fond la carte du fan service sans jamais tomber dans la redite : on retrouve le même cocktail explosif d’action (énormément d’action — et non, jamais trop !) et d’humour, qu’il s’agisse de dialogues lunaires ou de situations totalement improbables.

Dans le précédent roman, Kill the Rich, le thème du voyage dans le temps faisait déjà une apparition remarquée. Ici, il devient le cœur même de l’intrigue, avec un choix audacieux : renvoyer les personnages à la Fête de la Lune de Santa Mondega, six ans plus tôt. Autrement dit, pile au moment où tout a commencé, dans Le Livre sans Nom. Un retour aux sources malin et réjouissant, qui permet de revisiter les événements fondateurs avec un nouveau regard.

On constate aussi une évolution du Bourbon Kid : s’il reste fidèle à sa devise — « on tire d’abord, on discute après ! » — il semble s’être quelque peu assagi… ou du moins, plus réfléchi (tout est relatif).

Et puis vient la fin. Ce fameux mot, FIN (peut-être), qui clôt la plupart des romans du cycle et nous laisse toujours avec la même question : vraiment la fin ? À en juger par les dernières pages et la place grandissante du voyage temporel, on peut parier sans trop se tromper qu’Anonyme nous réserve encore quelques surprises infernales.

Bref, Noir Comme L’Enfer est un pur concentré de ce que la saga Bourbon Kid fait de mieux : du fun, du sang, et une bonne dose de déraison. Un défouloir littéraire aussi absurde qu’irrésistible, à consommer sans modération.

[BOUQUINS] Dan Brown – Le Secret Des Secrets

L’éminent professeur de symbologie Robert Langdon se rend à Prague pour une conférence sur la noétique donnée par son amie de longue date, Katherine Solomon. La scientifique est sur le point de publier un ouvrage révolutionnaire sur la nature de la conscience humaine.

Un meurtre sauvage va soudain précipiter leur séjour dans le chaos. Katherine disparaît, et son manuscrit est piraté sur le serveur de son éditeur. Commence alors une course contre la montre dans Prague et ses mystères. Langdon se retrouve pourchassé par une étrange créature mythologique et devient la cible d’une organisation dont le projet pourrait changer à jamais notre conception de l’esprit humain.

Parce que c’est le grand retour de Dan Brown et de son héros récurrent, Robert Langdon. Un retour que les fans attendaient – espéraient – depuis huit longues années.

Quel plaisir de retrouver l’expert en symbologie Robert Langdon après huit longues années d’attente ! Et cerise sur le gâteau, il est accompagné de Katherine Solomon, brillante scientifique spécialisée en noétique, déjà croisée dans Le Symbole Perdu (troisième opus de la série, paru en 2009). À vrai dire, c’est même Katherine – ou plus exactement son prochain ouvrage – qui se trouve au cœur de cette nouvelle intrigue.

L’essentiel de l’action se déroule à Prague, cité aux mille visages, chargée d’histoire. Autant dire un terrain de jeu idéal pour Robert Langdon. Mais le jeu va vite tourner au cauchemar – pour le plus grand plaisir du lecteur.

Sur le plan thématique, Le Secret Des Secrets est sans doute le roman le plus audacieux de la série. Dan Brown y explore les frontières du savoir et de la foi, s’attaquant à des questions vertigineuses : quelle est l’origine de la conscience ? Que se passe-t-il après la mort ? Et surtout, la science peut-elle réellement répondre à tout ? L’auteur aborde ces sujets à travers une approche résolument scientifique – sans pour autant négliger les dimensions spirituelles –, en confrontant notamment les visions matérialistes et noétiques du monde.

Pour l’anecdote, la noétique, discipline à la croisée de la science et de la philosophie, n’est pas reconnue par la communauté scientifique dans son ensemble. Beaucoup la considèrent comme un courant spéculatif plus que comme une science exacte. Les thèses défendues par Katherine Solomon risquent donc de faire grincer des dents les matérialistes les plus rigides. Pour ma part, je choisis l’ouverture d’esprit : je lis avant tout un roman, non un traité scientifique. Si les idées exposées nourrissent l’intrigue et la réflexion, alors c’est tout bénéfice – et c’est précisément le cas ici.

Ces thématiques permettent aussi à Dan Brown de mettre en garde contre les dérives de la recherche lorsqu’elle tombe entre de mauvaises mains : manipulation mentale, contrôle des consciences, justification politique sous couvert de « sécurité nationale ». Une inquiétante perspective, d’autant plus crédible qu’elle résonne avec les débats contemporains sur l’intelligence artificielle ou les neurosciences.

Comme toujours, on ne peut qu’être admiratif devant l’ampleur du travail documentaire accompli par l’auteur. Dan Brown décrypte littéralement chaque élément de son intrigue. On comprend mieux pourquoi ses romans ne paraissent pas « à la chaîne ».

Outre le duo Langdon–Solomon, le roman offre une galerie de personnages secondaires aussi riches qu’ambigus. Le lecteur, tout comme les héros, apprend à se méfier des apparences : les intentions de chacun sont troubles, les alliances fragiles, et même les mythes prennent une tournure inattendue – à l’image de cet étrange golem, bien différent de la légende que l’on connaît.

L’intrigue, haletante, ne laisse guère de répit ni aux protagonistes ni au lecteur. On court, on doute, on découvre, au rythme d’une mécanique parfaitement huilée. Oui, certaines scènes flirtent parfois avec l’invraisemblance, mais n’est-ce pas justement ce qui fait le charme des aventures de Langdon ? L’essentiel, c’est que la tension ne retombe jamais, et que l’on se surprenne à tourner les pages sans voir le temps passer.

Sur le plan de la construction, Dan Brown reste fidèle à sa recette gagnante : chapitres courts, écriture fluide et visuelle, découpage quasi cinématographique. Rien d’inutile, tout concourt à faire de ce roman un pur page-turner.

Comme je le fais toujours avec les romans de Dan Brown, la tablette est toujours à portée de main afin de pouvoir faire des recherches internet pour avoir un visuel des bâtiments, monuments ou œuvres d’art mentionnés dans le bouquin.

L’attente fut longue, mais quel retour en apothéose ! Dan Brown signe ici un thriller palpitant, où science, spiritualité et suspense s’entrelacent avec une redoutable efficacité.

[BOUQUINS] Olivier Norek – Les Guerriers De L’Hiver

Imaginez un pays minuscule.
Imaginez-en un autre, gigantesque.
Imaginez maintenant qu’ils s’affrontent.

Au cœur du plus mordant de ses hivers, au cœur de la guerre la plus meurtrière de son histoire, un peuple se dresse contre l’ennemi, et parmi ses soldats naît une légende.

La légende de Simo, la Mort Blanche.

Parce que c’est Olivier Norek, même s’il se lance dans un registre totalement inattendu et audacieux.

Mais quelle mouche a bien pu piquer Olivier Norek pour qu’il se lance dans un roman historique — et surtout qu’il choisisse comme cadre un épisode aussi méconnu de la Seconde Guerre mondiale ? À moins d’être un passionné d’Histoire, peu de lecteurs francophones ont entendu parler de cette Guerre d’Hiver qui opposa la Finlande à l’URSS entre novembre 1939 et mars 1940.

Si l’auteur livre quelques éléments d’explication dans ses remerciements, on comprend très vite pourquoi ce conflit oublié pouvait susciter son intérêt : un décor d’une intensité dramatique rare, une lutte désespérée, et des figures de courage exceptionnelles.

Dès les premières pages, le roman séduit par son contexte historique fascinant : celui d’un combat inégal opposant le David finlandais au Goliath soviétique. Tout semblait jouer en faveur de l’Armée rouge – Staline avait même promis une victoire en quelques jours, sans pertes russes. En face, une Finlande isolée, sous-équipée, mais portée par un patriotisme farouche. Contre toute attente, elle résistera héroïquement à l’envahisseur, infligeant de lourdes pertes aux troupes soviétiques.

C’est dans ce cadre que Norek nous fait découvrir deux personnages réels dont le destin incarne la bravoure finlandaise.

D’abord Simo Häyhä, modeste fermier et chasseur émérite, réserviste de la garde civile, qui se retrouve propulsé en première ligne. Avec son fusil à visée mécanique, sans lunette, il deviendra un tireur d’élite redoutable : entre 500 et 700 soldats russes tomberont sous ses balles. Sa précision et sa discrétion lui vaudront le surnom terrifiant de Mort Blanche et feront de lui une légende de la guerre moderne.

À ses côtés, le lieutenant Juutilainen, commandant de la 6ᵉ compagnie du régiment d’infanterie 34, ancien de la Légion étrangère où il s’était déjà distingué – ou plutôt fait craindre – sous les surnoms évocateurs de Terreur et d’Horreur. Peu charismatique mais téméraire, très porté sur la bouteille, il incarne la folie et la fureur du champ de bataille.

À travers ce récit, on devine l’immense travail de documentation auquel Olivier Norek s’est livré. Comme il le rappelle dans ses remerciements, la réalité dépasse souvent la fiction : les épisodes qu’il relate, aussi spectaculaires soient-ils, sont largement inspirés de faits réels.

La construction du roman repose sur des chapitres courts qui restituent bien l’urgence et la tension du conflit. Le style, direct et sans fioriture, privilégie l’efficacité à la démonstration. On pourrait reprocher un début un peu lent, le temps de que les personnages s’acclimatent à ce conflit totalement inattendu et en mesurent tous les enjeux.

Je l’avoue, c’est sans grande conviction que j’ai ouvert ce livre. Pourtant, les talents de conteur d’Olivier Norek et la force de son récit m’ont captivé de la première à la dernière page. Ce n’était pas un pari gagné d’avance, malgré toute l’admiration que je porte à l’auteur. Et pourtant, cette lecture n’a fait que renforcer cette admiration. Il fallait oser ce grand écart entre le polar contemporain, son terrain de jeu habituel, et la fresque historique. Pari risqué, mais pari magistralement remporté.

[BOUQUINS] Didier Fossey – Érèbe

Paris 2017. Depuis plusieurs semaines, des jeunes femmes travaillant dans des cabarets et bars de nuit de la capitale disparaissent mystérieusement.

Eneko Etxeparre, commandant de police à la BRP, s’intéresse à ces disparitions dans le cadre d’une enquête conjointe avec la brigade criminelle de Versailles.

Leurs investigations vont les mener très loin dans les ténèbres de la nuit parisienne, là où tout devient permis.

Didier Fossey oblige. Un auteur qui ne m’a jamais déçu, surtout quand il met en scène Boris Le Guenn et son groupe.

Quand un ancien se plonge dans le côté obscur des nuits parisiennes, ça promet de décoiffer !

On va commencer par un petit bémol de pure forme, la quatrième de couv’ est beaucoup trop « bavarde », c’est pourquoi j’ai pris le parti d’opérer des coupes franches dans sa retranscription.

Dans un premier temps on suit une équipe de la BRP Paris menée par le commandant Eneko Etxeparre. Un flic qui se consacre pleinement à son métier depuis la mort brutale de sa femme et de sa fille lors des attentats de novembre 2015.

Etxeparre et son groupe son spécialisés dans le monde de la nuit, ils s’assurent que les cabarets, discothèques et bars de la capitale ne se laissent pas aller à des dérives illégales.

C’est au cours d’une de ses « visites » que le gérant d’un cabaret l’informe de la disparition d’une de ses barmaids. Etxeparre va mettre son groupe sur le coup en off, afin de voir si ça débouche sur du concret.

Et du concret notre ami Etxeparre va en recevoir bien au-delà de ses attentes. Pour arrêter un tueur d’une perversité hors norme, la BRP va devoir s’associer à la BAC Paris et à la Crim’ Versailles.

Cerise sur le gâteau pour les fidèles lecteurs de Didier Fossey. V’là t’y pas que le commandant Boris Le Guenn et son groupe vont faire figure de guest stars. Je vous rassure tout de suite, pas question pour eux de faire de la figuration, ils vont s’impliquer pleinement dans cette enquête conjointe.

Pour info le titre du roman, Érèbe, est le pseudo utilisé par le grand méchant de l’histoire pour partager son « art » sur le Dark Net. Dans la mythologie grecque Érèbe désigne à la fois une divinité infernale née du chaos et la zone la plus obscure des Enfers.

Autant vous prévenir, les sévices qu’Érèbe inflige à ses victimes sont d’une violence inouïe, âmes sensibles s’abstenir !

Fidèle à son habitude Didier Fossey accorde un soin tout particulier à ses personnages. Pour chacun il développe un vécu et une personnalité unique. Forcément ce côté humain force l’empathie – ou l’antipathie selon l’effet recherché – du lecteur. J’ai tout particulièrement apprécié le binôme formé par Eneko Etxeparre et sa seconde de groupe Isabelle Danglard ; leurs personnalités opposées insufflent une réelle dynamique au récit.

On retrouve la même maîtrise dans le déroulé de son intrigue, imposant un rythme qui va crescendo – la dernière partie du récit mettra vos nerfs et votre palpitant à rude épreuve.  Une intrigue richement documentée du fait de l’expérience policière de l’auteur et des renforts pour le familiariser avec le monde de la nuit en région parisienne.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas dévoré un bouquin quasiment d’une traite (certes il n’est pas très épais, mais quand même). En refermant le bouquin je ne vous cacherai pas que j’espère bien retrouver Etxeparre et son équipe, nul doute que le monde de la nuit est un terrain de jeu prospère.

[BOUQUINS] George Orwell, Fido Nesti – 1984

Au Ministère de la Vérité, Winston Smith réécrit l’Histoire. Adapter le passé afin de ne pas contredire le Parti, tout faire pour préserver le règne et les ambitions de Big Brother, voici les missions de cet homme dont la soif de révolte grandit pourtant jour après jour.

Mais sa liberté de penser pourrait lui coûter la vie, car la menace est permanente au cœur de cette tyrannie de la surveillance qui ressemble étrangement à notre société contemporaine…

J’ai lu 1984 il y a de longues années et très franchement je n’en garde pas un souvenir impérissable, flippant certes mais parfois chiant. Peut-être est-ce le fait d’un manque de maturité (j’étais ado, pour vous dire que ça ne date pas d’hier), et / ou d’une traduction un peu datée.

Il faut dire que le roman de George Orwell, sorti en 1950, a longtemps connu une seule traduction française, celle d’Amélie Audiberti. Il faut attendre 2018 pour qu’une nouvelle édition, traduite par Josée Kamoun, donne un nouvel élan au roman. Par la suite, six autres traductions seront proposées au public entre 2019 et 2021.

À la suite de la bascule du roman dans le domaine public (2020 ou 2021 selon les réglementations en vigueur), 1984 connaîtra cinq adaptions en roman graphique :

  • Ed. Grasset, 2020 – Adapté et dessiné par Fido Nesti
  • Ed. Sarbacane, 2021 – Adapté et dessiné par Xavier Coste
  • Ed. Soleil, 2021 – Adapté par Jean-Christophe Derrien et dessiné par Rémi Torregrossa
  • Ed. Michel Lafon, 2021 – Adapté et dessiné par Frédéric Pontarolo
  • Ed. du Rocher, 2021 – Adapté par Sybille Titeux de la Croix et dessiné par Amazing Améziane

J’ai quatre de ces adaptations en numérique alors pourquoi avoir choisi précisément celle de Fido Nesti ? Sans doute le fait que ce soit la première à avoir été publiée a joué dans mon choix, mais c’est surtout le fait que je possède aussi la version papier qui aura été décisive ; du coup je vais profiter de mes congés pour me replonger dans l’œuvre de George Orwell (pour l’anecdote la version française repose sur la traduction de Josée Kamoun).

En refermant ce bouquin je suis sur le cul, cette lecture a été une véritable redécouverte du roman de George Orwell. J’ai pris en pleine gueule toute la noirceur du récit et surtout j’en suis presque arrivé à ressentir physiquement cette sensation oppressante qui se diffuse de la première à la dernière page.

Il faut dire que le dessin de Fido Nesti, bien qu’usant d’une palette de couleurs relativement réduite, est criant de vérité et colle parfaitement à l’intrigue.

Je reconnais volontiers que cette redécouverte n’est sans doute pas le seul fait du roman graphique, j’ai bon espoir d’avoir gagné en maturité avec les années (je n’irai pas jusqu’à dire que, comme le bon vin, je me bonifie au fil des ans). Enfin la touche de modernité apportée par la traduction de Josée Kamoun a très certainement contribué à l’efficacité de l’ensemble.

Bien que paru en 1950, le roman reste malheureusement d’actualité. Fido Nesti étant brésilien et ayant travaillé sur cette adaptation alors que son pays était sous le joug de Bolsanaro, est bien placé pour le savoir.

Je ne suis pas maso, mais je reconnais volontiers que je suis friand de ce genre d’uppercut littéraire.

Ne négligez pas l’appendice consacré aux Principes du Néoparler, selon certains (dont Margaret Atwood, excusez du peu) il peut être considéré comme la véritable conclusion du roman. Ce qui, par son style narratif, apporterait une lueur d’espoir dans cette dystopie plus obscure que le trou du cul de Dark Vador !

Peut-être vous demanderez-vous pourquoi avoir attendu aussi longtemps (j’ai acheté le bouquin à sa sortie) avant de le lire. Contre toute attente c’est la lecture de La Librairie Des Livres Interdits de Marc Levy qui aura été le déclic. 1984 figurant justement parmi ces livres interdits.

[BOUQUINS] Céline Cléber – Douce France – L’Étincelle

Tout commence un soir d’été, lorsqu’un jeune désœuvré, proche du milieu islamiste, allume l’étincelle qui manquait pour embraser une France divisée et anxieuse. Progressivement, sous les coups de boutoir d’une petite minorité d’extrémistes violents, tout le pays entre en guerre civile. Les autorités, partagées entre le cynisme, la lâcheté et l’incompréhension, ne parviennent pas à endiguer le conflit qui voit des territoires entiers entrer en sécession. Quelques individus tentent cependant, jours après jours, d’enrayer la chute, mais y parviendront-ils ?

Le lecteur entre dans les coulisses du pouvoir, en découvre les ressorts et s’interroge sur les risques pesant sur les capacités de réaction d’institutions qui n’ont que l’apparence de la solidité, fragilisées par la conjugaison de la lâcheté et de l’irresponsabilité des individus qui les constituent.

Parce que c’est un nouveau scénario de l’effondrement de la France. L’auteure évoluant en contact direct avec les hautes sphères du pouvoir on peut légitimement supposer que les réactions politiques et les décisions qui suivront s’inscrivent dans un arbre des possibles… pas franchement rassurant dans tous les cas.

Quelques mots sur l’auteure avant d’entrer dans le vif du sujet. Céline Cléber est un pseudonyme, elle est haut fonctionnaire et, dans le cadre de ses fonctions, est amenée à côtoyer les « têtes pensantes » du pouvoir en France. De fait elle connaît parfaitement les rouages de la machine étatique, si elle admet volontiers, en avant-propos, avoir retenu la pire des hypothèses ce n’est pas pour autant que celle-ci est hautement improbable… surtout quand on voit la mollesse de nos politiques.

À l’image de Laurent Obertone (Guérilla) et de Franck Poupart (Demain Les Barbares), l’étincelle qui fera tout basculer est allumée par un proche des milieux islamistes… J’imagine déjà certains bien-pensants au bord de la nausée, prêts à hurler à la stigmatisation et à l’islamophobie (exactement comme certains acteurs du présent roman). Enlevez vos œillères messieurs dames, bien que latente, la menace n’en est pas moins réelle.

Un drame récupéré par les milieux islamistes pour dénoncer l’islamophobie grandissante de la société française et appeler les musulmans à se protéger par tous les moyens. Un exécutif timoré qui ne veut froisser personne et jouer, quel que soit le prix à payer, la carte de l’apaisement. Des forces de l’ordre et une des forces armées bridées par les consignes de ce même exécutif. Tous les signaux sont au vert pour que les choses aillent de mal en pis.

C’est justement cette escalade que Céline Cléber va s’efforcer de détailler, étape par étape, compromission après compromission… la mécanique de l’embrasement se met en branle, et rien ne semble pouvoir l’arrêter.

Certaines voix s’élèveront contre les décisions de l’exécutif, certaines actions seront même entreprises (Bevet Breizh ! Vive la Bretagne ! Fidèle à sa devise régionale : Kentoc’h mervel eget bezan saotret – Plutôt la mort que la souillure). Mais le mal est déjà profondément ancré et l’exécutif ne verra pas d’un très bon œil ces initiatives contraires à ses consignes d’apaisement (renoncement ?).

L’auteure apporte beaucoup de soins à la personnalité des ses acteurs et leurs relations / interactions. Des personnages plus complexes que l’on pourrait le penser de prime abord. Il y a ceux qui exploiteront les failles du système pour maintenir la tension à son comble tout en s’autoproclamant victimes du système. Ceux qui devront faire un choix entre leurs obligations professionnelles et leurs convictions. Puis il y a tout le cercle politique, on abat ses cartes lentement mais sûrement, sans jamais perdre de vue les possibilités de booster sa carrière.

Comme le précise fort justement Céline Cléber, certaines de ses créations politiques pourraient vous faire penser à de véritables personnalités politique de premier plan. Ce n’est pas un choix totalement fortuit.

Plus les chapitres défilaient et plus je me disais qu’un seul opus ne suffirait pas pour trouver une voie de sortie, quelle qu’elle soit. Effectivement on referme le bouquin sur une situation plus explosive que jamais, j’espère que l’auteure nous offrira une suite très prochainement.

Petit bémol à l’intention des équipes de correction des éditions Toucan. Vous ne vous êtes pas trop foulé sur ce coup les gars, il reste pas mal de coquilles qui piquent les yeux et la mise en page serait perfectible (je ne supporte pas ces phrases ajoutées immédiatement à la suite d’un dialogue, sans saut de page).

Quand Laurent Obertone nous plongeait dans le feu de l’action avec sa trilogie Guérilla, Céline Cléber nous invite dans les coulisses (d’un côté comme de l’autre) en se reposant sur son expérience et sa connaissance des milieux. Une approche différente, plus inédite, mais tout aussi intéressante.

Une mise en bouche prometteuse mais je serai tenté de dire que le plus dur reste à faire : trouver une sortie de crise tout aussi convaincante que cette étincelle. Je suis confiant, on verra si la suite me donnera raison…

[BOUQUINS] David Joy – Les Deux Visages Du Monde

Après quelques années passées à Atlanta, Toya Gardner, une jeune artiste afro-américaine, revient dans la petite ville des montagnes de Caroline du Nord d’où sa famille est originaire. Déterminée à dénoncer l’histoire esclavagiste de la région, elle ne tarde pas à s’y livrer à quelques actions d’éclat, provoquant de violentes tensions dans la communauté.

Au même moment, Ernie, un policier du comté, arrête un mystérieux voyageur qui se révèle être un suprémaciste blanc. Celui-ci a en sa possession un carnet dans lequel figurent les noms de notables de la région. Bien décidé à creuser l’affaire, Ernie se heurte à sa hiérarchie.

Quelques semaines plus tard, deux crimes viennent endeuiller la région. Chacun va alors devoir faire face à des secrets enfouis depuis trop longtemps, à des mensonges entretenus parfois depuis plusieurs générations.

Parce que le duo Sonatine / David Joy a déjà fait ses preuves, avant même d’ouvrir le roman on sait que c’est une lecture qui nous prendra aux tripes et nous remuera les méninges.

Je remercie les éditions Sonatine et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

Dans ce roman David Joy aborde de front les thèmes du racisme et des traditions, deux thématiques qui s’opposeront dans cette bourgade de Caroline du Nord en apparence si paisible. En effet pour certains la statue d’un soldat confédéré est une insulte et une ode au suprémacisme Blanc, pour d’autres ce n’est qu’un rappel historique sans aucune arrière-pensée.

Le meurtre brutal d’une jeune étudiante noire et l’agression d’un adjoint du sheriff va exacerber les tensions entre les communautés. S’il y a un racisme affiché et revendiqué dans les mots et dans les faits par certains, il en est un plus insidieux fait de mots anodins pour celui qui les prononce mais qui peuvent blesser celui qui les entend. Il est parfois plus facile d’adopter la politique de l’autruche plutôt que d’affronter la vérité en face, mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas parce qu’on ne parle pas de quelque chose que cette chose n’existe pas.

Une fois de plus David Joy trouve les mots justes afin que les lecteurs puissent avoir les deux sons de cloche sans aucun parti pris de sa part (inutile, les faits parlent d’eux-mêmes). Il parvient avec intelligence à nous pousser à nous questionner sur ces réflexions qui ressemblent davantage à des clichés de péquenots incultes qu’à de véritables jugements de valeur ; je doute fort que nous soyons nombreux à ne pas être, au moins une fois, tombé dans le piège de ces raccourcis réducteurs.

Si l’auteur ne néglige pas son intrigue, il faut bien reconnaître que ce sont les échanges entre les différents personnages qui nous interpellent plus que les faits eux-mêmes. Des échanges souvent vifs au cours desquels certains semblent découvrir un fossé qu’ils préféraient ignorer.

L’intrigue à proprement parler va se tisser à travers les deux enquêtes, l’une pour meurtre, menée par l’inspectrice Leah Green, l’autre pour agression dirigée par le sheriff Coggins. Pour la seconde nul besoin d’être le fils illégitime d’Hercule Poirot et de Miss Marple pour deviner qui est à l’origine de l’attaque… mais encore faut-il parvenir à le faire tomber et à identifier ses nombreux complices. Le meurtre en revanche donnera plus de fil à retordre, c’est presque par manque de suspects que l’on viendra à s’interroger sur le véritable rôle d’un personnage.

Pour servir son intrigue David Joy va s’appuyer sur des personnages forts, certains seront d’emblée attachants (je pense aux trois générations de la famille Jones/Gardner, Vess, Dayna et Toya), d’autres méprisables au plus haut point (tels William Dean Cawthorn ou Ash Slade, qui représentent les deux faces d’une même pièce). N’allez surtout pas croire que l’auteur va jouer la carte de la facilité manichéenne, dans leur grande majorité les personnages ne sont ni tout noirs, ni tout blancs, mais plutôt en nuances (plus ou moins foncées) de gris.

Un roman noir qui vous prendra aux tripes et vous fera passer par un large panel d’émotions. Un sujet grave et plus que jamais d’actualité avec la réélection de Donald Trump, traité avec intelligence et beaucoup d’humanité.

[BOUQUINS] Cyril Carrère – La Colère D’Izanagi

Tokyo. Un incendie criminel ravage le cœur de l’un des plus grands quartiers d’affaires au monde.

L’enquête est confiée à Hayato Ishida, flic prodige mais solitaire qui tente de se reconstruire en marge de la Crim. Il est rejoint par Noémie Legrand, Franco-Japonaise décidée à briser les chaînes d’un quotidien frustrant.

Sur leur chemin, un couple d’étudiants dans le besoin, à la merci d’une communauté où solidarité rime avec danger.

Et, tapi dans l’ombre, celui qui se fait appeler Izanagi, bien décidé à mettre son plan destructeur à exécution.

Parce que le précédent roman de Cyril Carrére, Avant De Sombrer, m’avait fait forte impression.

Cyril Carrére vivant au Japon depuis quelques années, j’espérais une intrigue 100% nippone… mon vœu a été exaucé, je ne pouvais que succomber.

Cyril Carrére est certainement le plus japonais des auteurs francophones, installé au pays du soleil levant depuis 2018, la culture nippone n’a plus aucun secret (ou presque) pour lui. Avec ce roman l’auteur nous propose une vision démythifiée du Japon, loin des clichés idéalisés encore trop présents dans l’esprit de nombreux Occidentaux.

Le roman s’ouvre sur un incendie qui ravage la Velvet Tower, l’une des plus grandes tours de Tokyo. Certains détails ne manqueront pas de rappeler les attentats des Twin Towers aux États-Unis le 11 septembre 2001. La ressemblance s’arrête là, dans le cas présent pas d’acte terroriste, à charge pour la police de déterminer s’il s’agit d’un accident ou d’un acte criminel.

Je parie que vous aurez deviné que cet incendie n’a rien d’accidentel. Il n’est que le premier acte d’une mise en scène machiavélique qui se jouera en partie dans la face obscure d’internet, le Darknet.

Pour enquêter sur cette sombre affaire, Cyril Carrrère va jouer la carte du duo improbable. Dans le coin droit, Hayato Ishida, un policier brillant, mais un tantinet asocial et imbu de lui-même, atteint d’hyperosmie (une hypersensibilité de l’odorat qui lui permet d’identifier les différentes odeurs qui se mêlent dans les effluves qui l’environnent). Dans le coin gauche, Noémie Legrand, une franco-japonaise qui élève seule sa fille, douée d’une forte empathie et contrainte de composer avec le machisme de la société japonaise.

Parallèlement nous suivrons le parcours d’un couple d’étudiants, Kenta et Suzuka, licenciés à la suite de l’incendie de la Velvet Tower. Là encore nous aurons deux personnalités radicalement opposées, Suzuka est extravertie et avenante alors que Kenta est renfermé et agoraphobe.

Deux arcs narratifs dont le fil rouge est rapidement révélé, mais ce n’est là que la partie visible de l’iceberg. Nul doute que Cyril Carrére vous surprendra plus d’une fois au fur et à mesure qu’il déroulera son intrigue implacable.

J’ai beaucoup aimé le traitement des personnages, des personnalités contrastées, mais affirmées chacune à leur façon. L’évolution des relations entre les uns et les autres se fait naturellement au gré des évènements.

La construction du roman ne souffre d’aucun reproche, tout est impeccablement maîtrisé, l’auteur ne laisse rien au hasard. Le rythme aussi est savamment dosé, alternant les phases de relative tranquillité et celles qui nous plongent au cœur de l’action.

Une intrigue qui permet aussi d’avoir un aperçu de la mythologie japonaise à travers le personnage d’Izanagi. Bien que n’étant pas particulièrement japonophile, j’avoue que la mythologie japonaise titille ma curiosité depuis déjà quelques années… va falloir que je songe à me pencher sérieusement sur la question avant de sucer les pissenlits par la racine.

Si vous pensez que le scénario imaginé par l’auteur est totalement impossible, sachez qu’il s’inspire d’un fait divers bel et bien réel, certes les choses n’ont pas été aussi loin (heureusement), mais la criminalité organisée via le Darknet est une triste réalité. Au Japon ce phénomène porte même un nom : Tokuryu.

Dans ses remerciements Cyril Carrére laisse envisager un possible retour du duo formé par Hayato et Noémie, si tel était le cas je serais parmi les premiers à me ruer dessus. À vrai dire, en seulement deux romans, l’auteur m’apparait d’ores et déjà comme un incontournable du thriller francophone.

[BOUQUINS] Stephen King – Holly

Dans une jolie maison victorienne d’une petite ville du Midwest, Emily et Rodney Harris, anciens professeurs d’université, mènent une vie de retraités actifs. Malgré leur grand âge, les années semblent n’avoir pas avoir de prise sur eux.

À quelques pas de leur demeure, on a retrouvé le vélo de Bonnie Dahl, récemment disparue. Elle n’est pas la première à se volatiliser dans ce périmètre. Chose étrange : à chaque fois, il s’agit de jeunes gens.

Sur l’insistance de la mère de Bonnie, Holly Gibney accepte de reprendre du service. Elle est loin d’imaginer ce qui l’attend : une plongée dans la folie humaine, là où l’épouvante n’a pas de limite.

Stephen King, what else ?

Les inconditionnels de Stephen King savent pertinemment que leur auteur fétiche peut mettre leurs nerfs à rude épreuve sans avoir recours au fantastique. Souvenez-vous de la solitude et de l’angoisse de Jessie, menottée à son lit dans un chalet paumé au milieu de nulle part, le cadavre de son mari gisant au pied du lit (Jessie, 1993). Osez affirmer que Annie Wilkes ne vous a pas donné quelques sueurs froides emportée par sa folie (Misery, 1989). Ou encore plus récemment avec le très bon Billy Summers (2022), un thriller pur jus maîtrisé de bout en bout.

Le personnage d’Holly Gibney a fait son apparition dans la trilogie Bill Hodges (Mr Mercedes, Carnets Noirs et Fin De Ronde). Stephen King la sortira ensuite de ses tiroirs pour lui confier un second rôle dans son roman L’Outsider puis dans la nouvelle Si Ça Saigne inspirée du même univers. Avec ce roman Holly gagne ses lettres de noblesse et occupe enfin le haut de l’affiche.

L’intrigue se situe en 2021, un choix qui ne doit rien au hasard, comme le reste du monde, les États-Unis font face, tant bien que mal, à l’épidémie de Covid-19. Au-delà de la crise sanitaire à proprement parler, le contexte offre un terrain de jeu de premier choix pour les complotistes de tout poil. Le monde se divise en deux clans, les vaccinés et les antivax.

Pour les États-Unis l’année 2021 est doublement emblématique, le pays émerge de quatre années sous la présidence de Donald Trump. Là encore il y a les pro MAGA (Make America Great Again, le slogan de campagne de Trump) et les anti… Le pire c’est que rien ne garantit que le gugusse ne revienne pas à la Maison Blanche en 2028, surtout si les démocrates relancent Papy JB aka Le Sénile dans la course !

Mais revenons à nos moutons et au roman Holly.

Au fil de ses aventures nous avons vu s’étoffer la personnalité d’Holly Gibney, la frêle et timide que Bill Hodges a découvert sait désormais s’affirmer et à plus ou moins se faire confiance. Et elle en aura bien besoin pour affronter cette nouvelle affaire.

Pour elle l’affaire commence comme une « simple » disparition d’une jeune femme. Au fil de ses investigations elle va rapidement s’apercevoir que d’autres disparitions potentiellement suspectes ont eu lieu dans un périmètre relativement restreint… même si rien ne semble relier les victimes entre elles.

Le lecteur est quant à lui parfaitement conscient, dès les premières pages du roman, que ces disparitions n’ont rien d’ordinaires. Elles sont l’œuvre d’un couple de retraités qui, sous les dehors d’une respectabilité sans faille, ont imaginé un plan repoussant les limites de l’horreur pour se maintenir au top de la forme.

Pour la première fois Holly va donc se retrouver confrontée à une affaire ne faisant appel à aucun élément fantastique ou surnaturel. Elle aura pourtant à faire aux individus encore plus monstrueux et abjects que ceux qu’elle a déjà affronter. Comme le dira fort justement Izzy Jaynes à la fin de l’affaire :

L’autre nouveauté pour Holly est qu’elle sera quasiment seule sur une grande partie de son enquête. Son associé, Pete Huntley, est en effet cloué au lit par le Covid. Quant à Jerome et Barbara Robinson, qui lui ont prêté main forte plus d’une fois, ils seront fort occupés de leur côté par des projets personnels qui se concrétisent.

Au-delà de son enquête, Holly va aussi devoir composer avec une situation personnelle un peu compliquée. En effet au début du roman elle assiste aux funérailles de sa mère, terrassée par le Covid (un brin ironique pour quelqu’un qui rejetait l’existence de cette maladie). Si vous avez lu la trilogie Bill Hodges vous savez déjà que le personnage de Charlotte Gibney n’est pas franchement des plus avenants, toujours prompte à rabaisser Holly. Vous découvrirez que la daronne avait encore quelques coups foireux en réserve… heureusement, finalement les choses tourneront plutôt à l’avantage de notre brave Holly.

Si Stephen King impose à son intrigue un rythme de croisière plutôt pépère (les choses vont véritablement s’emballer vers la toute fin du roman), on ne s’ennuie pas une minute pour autant, on prend plaisir à suivre chacun des personnages dans leur parcours personnel. La plume de l’auteur fait mouche, comme toujours, notamment quand il faut pointer les travers de la société américaine. Mais il est tout aussi efficace quand il s’agit de rendre hommage à la littérature, et tout particulièrement à la poésie.

Indéniablement cette cuvée 2024 du King a tous les atouts d’un grand cru. L’absence d’élément fantastique ne m’a posé aucun problème, au contraire c’est même l’une des grandes forces du roman.