[BOUQUINS] Stephen King – Holly

Dans une jolie maison victorienne d’une petite ville du Midwest, Emily et Rodney Harris, anciens professeurs d’université, mènent une vie de retraités actifs. Malgré leur grand âge, les années semblent n’avoir pas avoir de prise sur eux.

À quelques pas de leur demeure, on a retrouvé le vélo de Bonnie Dahl, récemment disparue. Elle n’est pas la première à se volatiliser dans ce périmètre. Chose étrange : à chaque fois, il s’agit de jeunes gens.

Sur l’insistance de la mère de Bonnie, Holly Gibney accepte de reprendre du service. Elle est loin d’imaginer ce qui l’attend : une plongée dans la folie humaine, là où l’épouvante n’a pas de limite.

Stephen King, what else ?

Les inconditionnels de Stephen King savent pertinemment que leur auteur fétiche peut mettre leurs nerfs à rude épreuve sans avoir recours au fantastique. Souvenez-vous de la solitude et de l’angoisse de Jessie, menottée à son lit dans un chalet paumé au milieu de nulle part, le cadavre de son mari gisant au pied du lit (Jessie, 1993). Osez affirmer que Annie Wilkes ne vous a pas donné quelques sueurs froides emportée par sa folie (Misery, 1989). Ou encore plus récemment avec le très bon Billy Summers (2022), un thriller pur jus maîtrisé de bout en bout.

Le personnage d’Holly Gibney a fait son apparition dans la trilogie Bill Hodges (Mr Mercedes, Carnets Noirs et Fin De Ronde). Stephen King la sortira ensuite de ses tiroirs pour lui confier un second rôle dans son roman L’Outsider puis dans la nouvelle Si Ça Saigne inspirée du même univers. Avec ce roman Holly gagne ses lettres de noblesse et occupe enfin le haut de l’affiche.

L’intrigue se situe en 2021, un choix qui ne doit rien au hasard, comme le reste du monde, les États-Unis font face, tant bien que mal, à l’épidémie de Covid-19. Au-delà de la crise sanitaire à proprement parler, le contexte offre un terrain de jeu de premier choix pour les complotistes de tout poil. Le monde se divise en deux clans, les vaccinés et les antivax.

Pour les États-Unis l’année 2021 est doublement emblématique, le pays émerge de quatre années sous la présidence de Donald Trump. Là encore il y a les pro MAGA (Make America Great Again, le slogan de campagne de Trump) et les anti… Le pire c’est que rien ne garantit que le gugusse ne revienne pas à la Maison Blanche en 2028, surtout si les démocrates relancent Papy JB aka Le Sénile dans la course !

Mais revenons à nos moutons et au roman Holly.

Au fil de ses aventures nous avons vu s’étoffer la personnalité d’Holly Gibney, la frêle et timide que Bill Hodges a découvert sait désormais s’affirmer et à plus ou moins se faire confiance. Et elle en aura bien besoin pour affronter cette nouvelle affaire.

Pour elle l’affaire commence comme une « simple » disparition d’une jeune femme. Au fil de ses investigations elle va rapidement s’apercevoir que d’autres disparitions potentiellement suspectes ont eu lieu dans un périmètre relativement restreint… même si rien ne semble relier les victimes entre elles.

Le lecteur est quant à lui parfaitement conscient, dès les premières pages du roman, que ces disparitions n’ont rien d’ordinaires. Elles sont l’œuvre d’un couple de retraités qui, sous les dehors d’une respectabilité sans faille, ont imaginé un plan repoussant les limites de l’horreur pour se maintenir au top de la forme.

Pour la première fois Holly va donc se retrouver confrontée à une affaire ne faisant appel à aucun élément fantastique ou surnaturel. Elle aura pourtant à faire aux individus encore plus monstrueux et abjects que ceux qu’elle a déjà affronter. Comme le dira fort justement Izzy Jaynes à la fin de l’affaire :

L’autre nouveauté pour Holly est qu’elle sera quasiment seule sur une grande partie de son enquête. Son associé, Pete Huntley, est en effet cloué au lit par le Covid. Quant à Jerome et Barbara Robinson, qui lui ont prêté main forte plus d’une fois, ils seront fort occupés de leur côté par des projets personnels qui se concrétisent.

Au-delà de son enquête, Holly va aussi devoir composer avec une situation personnelle un peu compliquée. En effet au début du roman elle assiste aux funérailles de sa mère, terrassée par le Covid (un brin ironique pour quelqu’un qui rejetait l’existence de cette maladie). Si vous avez lu la trilogie Bill Hodges vous savez déjà que le personnage de Charlotte Gibney n’est pas franchement des plus avenants, toujours prompte à rabaisser Holly. Vous découvrirez que la daronne avait encore quelques coups foireux en réserve… heureusement, finalement les choses tourneront plutôt à l’avantage de notre brave Holly.

Si Stephen King impose à son intrigue un rythme de croisière plutôt pépère (les choses vont véritablement s’emballer vers la toute fin du roman), on ne s’ennuie pas une minute pour autant, on prend plaisir à suivre chacun des personnages dans leur parcours personnel. La plume de l’auteur fait mouche, comme toujours, notamment quand il faut pointer les travers de la société américaine. Mais il est tout aussi efficace quand il s’agit de rendre hommage à la littérature, et tout particulièrement à la poésie.

Indéniablement cette cuvée 2024 du King a tous les atouts d’un grand cru. L’absence d’élément fantastique ne m’a posé aucun problème, au contraire c’est même l’une des grandes forces du roman.

[BOUQUINS] Maxime Chattam – Lux

Les scientifiques comme les religieux ne peuvent expliquer ce qu’elle est ni d’où elle vient. Elle va transformer pour toujours le quotidien du monde entier, en particulier l’existence d’une mère et de sa fille.

Tout en posant la question qui nous obsède tous… Nos vies ont-elles un sens ?

Parce que c’est Maxime Chattam et qu’avec ce roman il confirme que sortir de sa zone de confort ne l’effraye pas outre mesure. Rien que pour ça j’ai envie d’approuver sans réserve…

Ajoutez à cela une quatrième de couv’ des plus énigmatique et le tour est joué.

Depuis déjà quelques années Maxime Chattam n’hésite pas à sortir de sa zone de confort, quitte à surprendre ses lecteurs. Le Coma Des Mortels, Le Signal ou encore L’Illusion sont les exemples les plus récents de ces sorties de route, des fois ça passe… d’autres fois ça casse. C’est aussi ça le prix de l’audace.

Lux s’inscrit clairement dans cette veine même s’il est difficile de caser le roman dans une case prédéfinie. L’idée de base en fait bel et bien un roman d’anticipation, mais ce serait trop réducteur de se limiter à ça… et pour tout vous dire, même si le futur en question n’est pas daté, on devine qu’il n’est pas très éloigné de notre époque au vu des technologies déployées.

Ajoutez à cela un fond de dérèglement climatique qui s’intègre parfaitement à l’intrigue sans une once de militantisme politico-écolo. Maxime Chattam reste dans le domaine de l’écologie au sens noble du terme, avant que cette notion ne soit pervertie par l’idéologie politique.

On pourrait aussi qualifier le roman de plaidoyer pour le droit à la différence à travers le personnage de Romy. Sans oublier la relation quasi fusionnelle qui la lie à sa mère, Zoé, une auteure en mal d’inspiration depuis déjà quelque temps.

Il est évident que depuis la guerre en Ukraine la russophilie n’a plus vraiment le vent en poupe – merci Vlad, le tyran du Kremlin. Ce n’est pas ce roman qui va vous pousser à davantage d’empathie pour nos lointains voisins. L’unique personnage russe jouant un rôle actif dans le déroulé de l’intrigue étant de très loin le plus antipathique (et encore je suis poli, ce serait plutôt un gros enculé hors compétition). Toutefois je ne ferai point d’amalgame de bas étage entre le peuple et la culture russe et la créature Poutine.

On s’attache facilement aux personnages principaux (Zoé, Romy et Simon) et à leur quête de la vérité sur l’origine de cette mystérieuse sphère, l’intrigue et globalement bien ficelée et addictive. Pour faire court, c’est une lecture agréable, mais il manque un petit je ne sais quoi pour que l’emballement soit total.

Le bouquin se termine sur une fin que je qualifierai d’ouverte qui me convient parfaitement. Un choix susceptible de ne pas plaire à tout le monde, afin d’y remédier Maxime Chattam propose un chapitre bonus permettant de découvrir « sa vérité » sur Sphère. Je l’ai lu par curiosité et j’avoue préférer « ma vérité »… même si, avec le recul et l’un des derniers éléments de l’épilogue, ça ne pouvait pas vraiment coller.

Le roman se veut un hommage à René Barjavel et tout particulièrement à La Nuit Des Temps, je ne saurai me prononcer sur ce point, n’ayant toujours pas eu l’occasion de lire ce roman alors qu’il me fait de l’œil, du fond de mon Stock à Lire Numérique, depuis plusieurs années.

[BOUQUINS] Bernard Werber – Le Temps Des Chimères

Que deviendrait le monde si l’être humain changeait de forme ?

C’est le projet fou d’Alice Kammerer, jeune et brillante scientifique, qui parvient, au lendemain de la troisième guerre mondiale, à inventer de nouvelles espèces hybrides : des chimères, mi-homme mi-animal.

Tandis qu’elle assiste, fascinée, à l’évolution de ces bébés pourvus d’ailes, de griffes ou de nageoires, un monde différent se construit.

Il est à la fois porteur d’alliances et de conflits, de passion et d’espoir…

Mais quelle place l’ancienne humanité pourra-t-elle conserver face à ces nouveaux « voisins » ?

Malgré une production quelque peu inégale, Bernard Werber ne m’a jamais franchement déçu. Si je suis encore loin d’avoir lu tous ses romans (surtout parmi les plus anciens), j’essaye depuis quelques années d’être fidèle au poste.

Ce n’est pas la première fois que Bernard Werber suggère que la survie de l’humanité passe par une « évolution » de l’espèce humaine. Dans la trilogie Troisième Humanité, la réponse à la menace passait par les micros humains, avec Le Temps Des Chimères l’auteur va encore plus loin dans son idée évolutive.

Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si dans les deux cas la scientifique à l’origine de projet se nomme Kammerer (Aurore dans Troisième Humanité, Alice dans Le Temps Des Chimères).

Le fil rouge de l’œuvre de Bernard Werber, l’Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, en perpétuelle évolution grâce à la persévérance de la famille Wells, sera bien entendu de la partie. Des pauses culturelles aussi instructives que distrayantes, l’auteur à un véritable don quand il s’agit de vulgariser des thèmes a priori complexes.

Ami(e)s lecteurs et lectrices, vous l’aurez sans doute compris, avec ce roman l’auteur s’inscrit clairement dans le registre de la science-fiction, donc si vous êtes hermétique à ce genre vous pouvez d’ores et déjà passer votre chemin.

Force est de reconnaître que l’hybridation imaginée par Alice Kammerer franchit allégrement les frontières entre réel, plausible et imaginaire pour entrer de plain-pied dans cette dernière catégorie. Au départ j’ai eu quelques réticences, pensant que ce serait quand même un tantinet too much à accepter, mais Bernard Werber sait y faire pour nous convaincre d’ouvrir en grand les portes de notre imagination.

L’intrigue du roman s’étend sur une cinquantaine d’années. Au fil des pages, nous suivrons le périlleux chantier du projet Métamorphosis, puis l’évolution des hybrides dans un contexte post-atomique. Il sera bien sûr question des relations entre les trois espèces hybrides (Aerials, Diggers et Nautics), mais aussi de leurs liens avec les humains (les Sapiens).

Les hybrides sauront-ils tirer des leçons des erreurs des Sapiens ? Ou reproduiront-ils ces mêmes erreurs ? Comme vous vous en doutez certainement, les choses ne vont pas se passer exactement comme l’imaginait Alice Kammerer… ce ne serait pas marrant autrement !

Pour tout vous dire j’ai parfois eu du mal avec le personnage d’Alice, par moment ses réactions semblent en totale déconnexion de la réalité. Et comme elle est plutôt impulsive et peu à l’écoute des conseils des autres, ça fait parfois des étincelles. À sa décharge, il faut bien avouer qu’elle va souvent se retrouver confrontée à des situations totalement inédites pour un être humain.

Ne perdons pas de vue le double sens du mot Chimère, certes il peut désigner la créature hybride de la mythologie grecque, mais il est aussi synonyme d’illusion ou encore de grands projets séduisants mais totalement irréalisable.

Si Le Temps Des Chimères ne se classe pas dans le best of the best de Bernard Werber, ça reste pour moi une lecture très agréable. À aucun moment je ne me suis ennuyé, bien au contraire, j’avais toujours envie d’aller plus loin afin de découvrir le fin mot de l’histoire.

En parlant de fin, je trouve que celle-ci aurait mérité d’être un peu plus étoffée. Je ne reste pas sur ma faim, mais un ou deux chapitres supplémentaires n’auraient pas été de trop.

[BOUQUINS] Jean-Laurent Del Socorro – Morgane Pendragon

An 601. Île de Bretagne. Depuis la mort d’Uther Pendragon, souverain du royaume de Logres, aucun héritier n’est monté sur le trône. Pour cela, il faudrait réussir à extraire l’épée du défunt monarque, enchâssée dans la pierre. À l’aube de ce nouveau siècle, les prophètes en sont pourtant persuadés : un nouveau roi va naître. Le puissant Merlin a la certitude qu’il s’agit de son protégé, le jeune Arthur, mais c’est Morgane, la fille cachée d’Uther, qui s’empare de l’épée. Réussira-t-elle à faire face aux guerres, aux intrigues et aux trahisons, et à s’imposer comme une souveraine légitime ?

Parce que j’ai trouvé l’idée de réécrire la geste arthurienne au féminin était un pari plutôt audacieux. Du coup j’étais curieux de découvrir la légende morganienne.

J’avoue ne connaître de la geste arthurienne que les grandes lignes, mes classiques sur le sujet se résument à la série et au film Kaamelott. Pas sûr que la vision d’Alexandre Astier soit des plus rigoureuses.

Cette lacune n’est pas un problème pour aborder le roman de Jean-Laurent Del Socorro, au contraire ! Oubliez tout ce que vous savez – ou croyez savoir – l’auteur nous offre une réécriture de la légende, une revisite au féminin pouvait sembler un pari audacieux, voire même un peu fou. Un pari qu’il remporte haut la main !

Déjà l’auteur fait la part belle aux personnages féminins. Pas seulement via le personnage de Morgane qui va se retrouver reine de Logres et par extension reine de Bretagne (même si ce titre n’est jamais évoqué). Là où la légende dresse une table ronde exclusivement masculine, Jean-Laurent Del Socorro opte lui pour la mixité. Une place qui s’affirmera au fil des chapitres, les personnages féminins jouant souvent un rôle essentiel dans le déroulé de l’intrigue.

En revanche force est de reconnaître que le terme « messoeur » adopté par l’auteur comme pendant féminin de « messire », pique les yeux et fait saigner les oreilles.

De fait cela impose de réinventer le destin de certains personnages masculins, à commencer par Arthur mais c’est surtout le personnage de Merlin qui verra son rôle complétement réécrit. Un choix qui pourra surprendre mais s’avérera finalement en totale adéquation avec l’intrigue imaginée par l’auteur.

Une intrigue qui devra jongler entre les impératifs militaires, politiques, religieux et même sentimentaux (hé oui, même au cœur du tumulte et des intrigues, l’amour aura son mot à dire). Toutes ces dimensions sont parfaitement dosées et mises en scène par Jean-Laurent Del Socorro.

Sans oublier le fer de lance d’un récit de fantasy, la magie. C’est le royaume de Galles et son Roi Pêcheur qui feront souffler un vent mystique et magique sur le récit. En plus des personnages maîtrisant les arcanes magiques, nous croiserons quelques créatures magiques, parfois bienveillantes, parfois nettement plus hostiles.

De la première à la dernière page du roman l’auteur semble jouer avec les codes de la légende arthurienne. Il pioche des éléments incontournables de la geste mais leur attribue un nouveau rôle (ainsi Excalibur fera une son apparition que bien plus tard dans le déroulé de l’intrigue… à un moment où les cartes seront totalement rebattues).

Jean-Laurent Del Socorro donne un second souffle à une légende certes bien ancrée dans les esprits mais un tantinet poussiéreuse et presque machiste tant la place de la femme est reléguée au second plan. On se laisse bien volontiers entraîner dans cette revisite menée tambour battant qui vous réservera bien des surprises et des revirements de situation.

Pour sa narration l’auteur alterne entre les points de vue de Morgane et d’Arthur, des visions qui souvent se complètent mais parfois s’opposent. Morgane qui du jour au lendemain se retrouve propulsée sur le devant de la scène, devenant à la fois chef politique et chef de guerre. Arthur qui rêvait de grandeur mais verra son destin lui échapper en échouant à retirer l’épée d’Uther Pendragon.

Les personnages secondaires ne servent pas uniquement de faire valoir, à commencer par les Épées de Morgane, des chevaliers et chevalières qui formeront son conseil aussi bien politique que militaire. Mention spéciale à Guenièvre (qui trouve ici une place bien plus honorable que celle qui lui est donnée dans la série Kaamelott), Lancelot et son incroyable vanité mais aussi et surtout à Arcade, la barde chevalière.

Le Royaume de Bretagne réinventé par Jean-Laurent Del Socorro est certes rude – voire rugueux –, mais c’est aussi un modèle de tolérance où la parité hommes / femmes va au-delà des mots, où chacun est libre de vivre sa sexualité comme il/elle le souhaite, où les religions devraient pouvoir cohabiter en paix (du moins jusqu’à ce que les chrétiens viennent foutre la merde).

J’ai été totalement emballé par ce bouquin et le l’excellence de Jean-Laurent Del Socorro à nous immerger dans son récit. La geste morganienne n’a définitivement pas à rougir face à son illustre aîné.

[BOUQUINS] Jean-Christophe Grangé – Rouge Karma

AU MENU DU JOUR


Titre : Rouge Karma
Auteur : Jean-Christophe Grangé
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2023
Origine : France
592 pages

De quoi ça cause ?

Mai 68. Alors que Paris est à feu et à sang, que la Vème République vacille sur ses fondations, le corps d’une jeune fille est retrouvé, nu, mutilé, dans une position de yoga. Jean-Louis Mersch attaque l’enquête – il est flic. Hervé et Nicole le secondent, ils sont les amis de la victime.

Le trio interroge, tâtonne, et bientôt trouve : le mobile des meurtres – car il y en a eu d’autres – est au bout du monde, en Inde…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Jean-Christophe Grangé et que je suis un inconditionnel de l’auteur. Je reconnais volontiers que je n’ai pas toujours été emballé par ses romans, cependant aucun ne m’a véritablement déçu.

Ma Chronique

Aaaah, mai 68… Coupez ! Je ne vais certainement pas vous la jouer soixante-huitard nostalgique, chemise à fleurs, love and peace et pétard au coin des lèvres. J’étais certes sur les barricades, mais embarqué à l’insu de mon plein gré par mes parents – j’avais un an. Trop facile de juger à postériori et tel n’est pas l’objet de cette chronique.

Le fait est que le roman de Jean-Christophe Grangé prend sa source à Paris, dans la tourmente de mai 68. L’auteur restitue parfaitement le contexte de l’époque que ce soit du point de vue étudiant ou ouvrier, mais aussi politique avec l’inflexibilité de De Gaulle face à la crise.

Il faut dire que son trio colle parfaitement à la période. Jean-Louis Mersch, vétéran de l’Algérie et flic borderline, censé représenter l’autorité mais qui rêve secrètement du « Grand Soir » qui viendrait renverser l’ordre établi. Hervé Jouhandeau, son demi-frère, étudiant en Histoire dégingandé qui se cherche et se laisse porter par les événements. Et Nicole Bernard, étudiante en Lettres issue de la haute bourgeoisie, rousse incendiaire, pleine d’idéaux dont elle ne saisit pas forcément le véritable sens.

Un trio certes atypique mais pour lequel j’ai eu du mal à éprouver une quelconque empathie, à part peut-être pour Jean-Louis et son côté électron libre… mais c’est resté en surface.

Exit les révolutionnaires en culotte courte ! Une étudiante, proche amie de Nicole et vague connaissance d’Hervé, est retrouvée morte par ce dernier qui appelle le frangin à la rescousse. La position du corps et les mutilations qu’il a subi font rapidement comprendre à Jean-Louis que cette affaire va être hors du commun.

L’enquête va mener notre improbable trio de Paris à Calcutta, puis à Bénarès et enfin à Rome. Pas franchement des vacances de rêves, leur périple sera en effet parsemé de cadavres et au fur et, à mesure que le voile se lèvera, les deux frères en apprendront beaucoup sur leur propre histoire.

J’ai beaucoup aimé la partie parisienne de l’intrigue mais elle est relativement courte. Le travail documentaire de l’auteur se ressent quand il parle de l’Inde, de ses traditions et de sa culture, mais cela n’empêche pas l’intrigue de traîner parfois en longueur et d’être quelque peu tirée par les cheveux.

La conclusion indienne est des plus abrupte, on en serait presque réduit à se dire « Tout ça pour ça ! ». Et ce n’est pas à Rome que les choses vont s’améliorer, on passe à un niveau supérieur au niveau de l’improbable et de l’expéditif.

D’ailleurs je ne suis pas le seul à le penser à en croire un échange entre Jean-Louis et Nicole :

— Ça me semble tiré par les cheveux.
(…)
— Mais tout, absolument tout est tiré par les cheveux dans notre histoire ! Depuis la première seconde où on s’est lancés dans cette enquête !

Bref, je referme ce bouquin plutôt mitigé, pas franchement déçu mais il est incontestable que j’ai connu Jean-Christophe Grangé beaucoup plus inspiré.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Sophie Hénaff – Drame De Pique

AU MENU DU JOUR


Titre : Drame De Pique
Série : La Brigade Capestan – Livre 4
Auteur : Sophie Hénaff
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2023
Origine : France
384 pages

De quoi ça cause ?

Depuis le départ à la retraite du commissaire Buron, les Poulets Grillés de la Brigade Capestan s’emmerdent ferme (ce n’est pas moi qui le dit, c’est la capitaine Eva Rosière), ses différents successeurs les ignorant totalement.

Alors que le phénomène des « piqûres en soirée » prend de l’ampleur en France, le nouveau divisionnaire charge la brigade d’enquêter sur deux décès supposés être consécutifs à ces piqûres.

Pour la première fois la brigade sera chapeautée par la Crim’. D’autre part, si l’enquête est un succès, les Poulets Grillés pourront réintégrer le Bastion. Mais ils n’ont aucune envie de quitter leur placard transformé en petit nid douillet… iraient-ils jusqu’à flinguer une enquête pour conserver leur statut de pestiférés ?

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est le grand retour des Poulets Grillés de Sophie Hénaff, après quatre longues années d’attente, on n’y croyait – presque – plus.

Ma Chronique

Pour ceux qui ne connaîtraient pas les Poulets Grillés – et c’est bien dommage pour vous, vous ratez quelque chose –, c’est une brigade qui regroupe ceux et celles que les forces de police souhaitent éviter d’avoir dans leurs commissariats. Alcoolos, dépressifs, fous du volant, gros bavards sujets aux indiscrétions, gaffeurs… Tout ce beau monde placé sous les ordres d’Anne Capestan, elle-même placardisée pour avoir fait usage de son arme lors d’une arrestation.

Pour compléter le tableau, ils officient au sein d’un appartement/commissariat customisé et décoré selon les goûts de chacun. Inutile de vous dire que le résultat ne ressemble pas vraiment à un commissariat classique.

Drame De Pique est le quatrième roman consacré à cette brigade pour le moins atypique. Avec la crise sanitaire et les départs des uns et des autres, les rangs se sont quelque peu clairsemés ces derniers temps.

Si Anne Capestan se réjouit de pouvoir enfin plancher sur une véritable enquête, ses co-équipiers sont nettement moins enthousiastes, surtout à l’idée de quitter leur refuge pour réintégrer le Bastion. La commissaire devra même hausser le ton contre sa capitaine et amie, Eva Rosière :

C’est un commissariat, que tu le veuilles ou non, on n’est pas chez nous. On est chez le contribuable qui attend un service en retour : qu’on lui attrape les assassins quand il demande gentiment. Le contribuable, il veut boire son mojito sans prendre une seringue dans la fesse et c’est normal.

D’entrée de jeu les Poulets Grillés comprennent qu’ils vont devoir enquêter sans empiéter sur les plates-bandes de la Crim’. Ça tombe bien car leur enquête s’oriente rapidement vers une piste bien loin des piqûres sauvages, une piste qui pourrait sembler hautement improbable alors que certains éléments concrets tendent dans cette direction.

L’appel de l’enquête, le goût du mystère. Ils étaient bien foutus de résoudre l’affaire sans même le vouloir. Satané amour d’un métier qui ne vous rendait pourtant pas grand-chose.

Une enquête qui va donner bien du fil à retordre à nos chers Poulets Grillés, force est de reconnaître que Sophie Hénaff a concocté une intrigue tordue à souhait avec son lot de fausses pistes et de revirements inattendus. Et comme d’hab la Brigade Capestan va plus d’une fois sortir des sentiers battus et des procédures pour s’en dépêtrer.

Une intrigue parsemée de sourires et de francs éclats de rire. Je n’en dirai pas plus afin de ne laisser intact le plaisir de la découverte.

Ces retrouvailles avec cette brigade totalement atypique ont été un pur régal. Si vous les découvrez, vous trouverez peut-être que certains personnages ou certaines situations sont un tantinet too much, mais vous verrez que vous apprendrez rapidement à les apprécier et à vous accommoder de ces traits parfois un peu tirés à l’extrême.

Pour ma part j’ai été séduit dès le premier tome, les essayer c’est les adopter, et le charme est toujours intact à l’issue de cette quatrième enquête.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Stephen King – Conte De Fées

AU MENU DU JOUR


Titre : Conte De Fées
Auteur : Stephen King
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2023
Origine : États-Unis
736 pages

De quoi ça cause ?

Charlie Reade, 17 ans, est un lycéen comme les autres, jusqu’au jour où il vient en aide à un voisin reclus et irascible, Howard Bowditch. La relation entre le vieil homme et l’adolescent, tendue au début, va peu à peu évoluer vers une confiance mutuelle, voire une amitié improbable. Jusqu’à ce que Howard révèle à Charlie un secret qui va à jamais changer sa vie…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

C’te question ! Stephen King, le seul et unique.

Ma Chronique

Stephen King est un touche-à-tout qui réussit presque à tous les coups à surprendre ses lecteurs (je n’ai toujours pas digéré Sleeping Beauties, même si depuis il a largement su se faire pardonner). Ce n’est pas la première fois qu’il met en scène des univers parallèles (Le Talisman Des Territoires, coécrit avec feu Peter Straub), tout comme il s’est déjà essayé à la fantasy avec Les Yeux Du Dragon (plutôt destiné à un public jeune) ou encore le cycle de La Tour Sombre (il faut absolument que je trouve le temps – c’te bonne blague – de le reprendre depuis le début et d’aller jusqu’au bout cette fois).

Dès la dédicace le King annonce la couleur en pensant à REH (Robert E. Howard, créateur, entre autres, de Conan et Solomon Kane), ERB (Edgar Rice Burroughs, papa notamment de Tarzan et de John Carter) et bien évidemment l’incontournable HPL (H.P. Lovecraft, père fondateur du mythe de Cthulhu).

Un petit mot sur la forme avant d’entrer dans le vif du sujet, chaque chapitre (il y en 32, plus l’épilogue) est présenté par une illustration de Gabriel Rodriguez (chapitres impairs) ou de Nicolas Delort (chapitres pairs). Un choix qui ne s’imposait sans doute pas mais qui ajoute un incontestable bonus esthétique au roman, même si certaines viennent spoiler la suite des événements (je pense surtout au sort du Grand Intendant).

Qui saurait mieux raconter cette histoire que Charlie lui-même ? L’auteur opte donc naturellement pour un récit à la première personne avec son jeune héros comme narrateur.

Charlie prend le temps de nous raconter son histoire et notamment les épreuves qu’il a dû traverser (le décès brutal de sa mère et l’alcoolisme de son père en réponse à ce drame). On pourrait penser que c’est juste afin de faire pleurer dans les chaumières mais ce serait mal connaître le King. Rien n’est laissé au hasard sous la plume du maître, sans ces deux épreuves Charlie n’aurait sans doute pas pris les mêmes engagements vis-à-vis de M. Bowditch.

Vient ensuite la rencontre avec M. Bowditch alors que ce dernier est en bien mauvaise posture… et le coup de foudre de Charlie pour la chienne Radar. Puis l’on suit l’évolution de la relation entre le vieil homme et l’adolescent. C’est à travers cette relation que l’on éprouve rapidement de l’empathie pour ce vieux grincheux (pas de problème au niveau de Charlie, il gagne immédiatement nos cœurs).

Stephen King n’a pas son pareil pour décrire cette relation intergénérationnelle, ainsi que lien qui va se nouer entre Charlie et Radar. Il ne se passe grand-chose de vraiment palpitant pendant ce premier tiers du roman, et pourtant le lecteur (moi en tout cas) ne s’ennuiera jamais tant le récit est vivant et vibrant d’humanité.

Et puis tout bascule. Charlie apprend qu’il existe un mode parallèle, Empis, auquel on peut accéder en descendant un long escalier camouflé par le cabanon de jardin de M. Bowditch. Sceptique dans un premier temps, Charlie va constater par lui-même que son vieil ami ne délirait pas en lui faisant ces révélations.

Dans un premier temps c’est par amour pour Radar que le jeune homme va s’aventurer dans les profondeurs d’Empis et affronter les dangers de la Citadelle. Frappé par l’injustice qui dévaste les habitants d’Empis, soumis à la folie vengeresse d’un tyran de plus en plus incontrôlable, Charlie va prendre fait et cause pour les Empisariens.

Là encore le talent de conteur de Stephen King fait des merveilles. Il donne véritablement vie à ce monde imaginaire. Pour ce faire il puise dans les contes de fées, dans leur forme originelle, pas les versions aseptisées et édulcorées de Disney, mais aussi et surtout dans l’univers de Lovecraft (souvent cité par Charlie).

On découvre alors de nouveaux personnages, parfois surprenants, pour ne pas dire déroutants (à l’image du Snab). Des réfugiés qui essayent tant bien que mal d’échapper au fléau gris qui s’étend inexorablement, les condamnant à une lente et douloureuse agonie. Une famille royale en déroute, frappée elle aussi par une terrible malédiction. Des habitants « sains » (comprendre épargnés par le gris) pourchassés par les troupes du tyran et emprisonnés dans les pires conditions.

Dans le camp du Mal il faudra se montrer patient pour découvrir le tyran en question… mais il sera à la hauteur de sa sinistre réputation. Avant ça nous aurons croisé le chemin d’une géante cannibale et pétomane, d’une escouade de morts-vivants électrifiés et bien d’autres surprises… souvent mauvaises pour Charlie et ses amis.

Alors oui certains diront que c’est un tantinet manichéen, mais après tout Stephen King nous offre un conte de fée pour adultes dans un univers où tout est permis. Le combat qui oppose le Bien au Mal n’a jamais cessé – et ne cessera sans doute jamais – d’être source d’inspiration pour les auteurs. À ce petit jeu Stephen King et son Conte De Fées tirent leur épingle du jeu.

MON VERDICT

Illustration de Nicolas Delort

Illustration de Gabriel Rodriguez

[BOUQUINS] Maxime Chattam – La Constance Du Prédateur

AU MENU DU JOUR


Titre : La Constance Du Prédateur
Série : Ludivine Vancker – Tome 4
Auteur : Maxime Chattam
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2022
Origine : France
448 pages

De quoi ça cause ?

Une page se tourne pour Ludivine Vancker qui va intégrer le Département des Sciences du Comportement (DSC) de la gendarmerie et ses équipes de profilers.

À peine arrivée, elle est plongée dans le feu de l’action. Un charnier a été découvert dans le puit désaffecté d’une mine en Alsace. De prime abord toutes les victimes ont été tuées suivant un même mode opératoire entre les années 70 et 90.

L’affaire, déjà complexe, se corse lorsque l’ADN du tueur présumé est retrouvé sur deux nouvelles victimes… tuées au cours de ces dernières semaines.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Maxime Chattam et parce qu’il nous offre l’occasion de retrouver Ludivine Vancker dans une nouvelle enquête.

Ma Chronique

Avec ce roman, Maxime Chattam fête ses 20 ans d’écriture (aventure débutée en 2002 avec L’Ame Du Mal, le premier opus de La Trilogie Du Mal). C’est le vingt-huitième roman de l’auteur (sans parler des nombreuses nouvelles qu’il a publié en parallèle à sa carrière romanesque).

C’est avec un réel enthousiasme que je retrouve Ludivine Vancker et ses collègues de la SR (Section de Recherches) de Paris. Mais au bout de quelques pages je découvre que Ludivine va être mutée au Département des Sciences du Comportement (DSC). Adieu les collègues de la SR, et let’s go pour de nouvelles aventures !

Oui… et non. Si Ludivine intègre bel bien le DSC (à sa demande), l’affaire à laquelle ils vont se frotter s’annonce tellement énorme que la SR de Paris va être appelée en renforts. Une sorte de transition en douceur, plutôt qu’une rupture nette. Bien joué Maxou !

Le DSC de la Gendarmerie Nationale a été créé en 2001 (mais n’est opérationnel qu’à partir de 2002), son rôle est de dresser le « profil » d’un criminel au vu de la scène de crime. Pour cela des experts en psychocriminologie travaillent de pair avec des enquêteurs de terrain. Pour faire simple, nos gendarmes du DSC sont plus ou moins l’équivalent des fameux profilers américains. Dans les faits les méthodes du DSC s’apparentent davantage aux techniques d’analyses comportementales développées par la Gendarmerie royale canadienne et la police sud-africaine.

Si Ludivine va retrouver ses anciens collègues (Segnon, Guilhem, Magali et Franck), elle va aussi et surtout devoir travailler de concert avec sa supérieure hiérarchique, la chef d’escadron Lucie Torrens et s’adapter aux méthodes d’investigations du DSC.

J’ai apprécié de retrouver le personnage de Ludivine Vancker débarrassée (plus ou moins) de ses anciens démons, le couple qu’elle forme avec Marc semble avoir un effet positif et apaisant sur sa personnalité.

J’avoue avoir eu un énorme coup de cœur pour le personnage de Lucie Torrens. Elle mériterait presque que Maxime Chattam lui consacre au moins au roman… mais bon, il fait ce qu’il veut, c’est un grand garçon (et vu les idées sombres qui lui passent par la tête, vaut mieux pas lui chercher des noises).

Superbe (la modestie ne m’étouffe pas) transition qui m’amène à dire quelques mots de l’intrigue. Sans mentir c’est peut-être l’une des plus machiavéliques parmi les nombreux thrillers que j’ai lu ces dernières années. Vous n’avez pas fini de vous triturer les méninges pour démêler pareil écheveau.

La violence est omniprésente mais au service de l’intrigue, et encore je trouve que l’auteur a été plutôt soft vu la perversité de Charon, le tueur en série qui va donner bien du fil à retordre au DSC et à la SR parisienne. Si violence il y a, c’est plutôt le contexte imaginé par l’auteur qui fait froid dans le dos ; dans le genre plongée au cœur de ce que l’humain a de plus pourri et pervers, on peut difficilement faire pire dans l’innommable…

En refermant ce roman vous réaliserez à quel point le titre colle parfaitement à l’intrigue.

Ce roman confirme ce que l’on avait déjà pressenti ces dernières années, Maxime Chattam excelle quand il fait du Chattam pur jus… pas quand il cherche à imiter les autres (je fais ici référence aux romans Le Signal et Illusion qui ne m’ont vraiment pas convaincu).

MON VERDICT

Coup de poing

Extrait – Prologue

Voici les premières phrases du roman :

Claire n’aimait pas sucer.
Elle détestait ça même. L’acharnement un peu vain, illusoire, de vouloir faire durer les choses. La perte de temps, d’efficacité. Et puis les sons que cela produisait ! Claire avait un vrai problème avec les clapotements de joues, les claquements humides de langue, les décollements successifs des lèvres moites ou les déglutitions à répétition.

Osez affirmer sans ciller que vous n’avez pas immédiatement pensé à la même chose que moi !

Alors, esprit mal tourné ou pas ? Vous le saurez en lisant la suite.

Une sacrée mise en bouche, si j’ose dire (ah oui, j’ai osé).

[BOUQUINS] Bernard Werber – La Diagonale Des Reines

AU MENU DU JOUR


Titre : La Diagonale Des Reines
Auteur : Bernard Werber
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2022
Origine : France
480 pages

De quoi ça cause ?

Nicole O’Connor vit en Australie avec son père, un riche homme d’affaire. Fidèle à la devise familiale, elle ne jure que par la force du groupe.

Monica Mac Intyre vit aux Etats-Unis avec sa mère au cœur d’un foyer modeste. Son crédo est la réussite individuelle.

C’est en 1972 que les deux adolescentes se rencontrent et s’affrontent à l’occasion d’un tournoi d’échecs. Une confrontation qui va s’étaler sur plusieurs années, bien au-delà du jeu d’échecs. Leur plateau de jeu sera le monde, les règles sont simples : tous les coups sont permis.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Bernard Werber, je l’ai découvert avec la trilogie des Fourmis et j’ai tout de suite été happé par son univers littéraire. Même si j’ai raté quelques rendez-vous, ces dernières années j’essaye d’être fidèle au poste. Un auteur qui ne m’a jamais déçu malgré une œuvre inégale.

Ma Chronique

Pour son nouveau roman Bernard Werber s’inspire de la notion de Némésis, en opposition de l’âme sœur, elle est l’âme damnée – l’ennemie ultime – de son alter ego. Pour construire son intrigue il va s’appuyer sur deux femmes que tout oppose mais qui – paradoxalement – se ressemblent. Une partie d’échecs qui va se jouer à grandeur nature sur fond d’opposition entre les deux blocs Ouest (avec les Etats-Unis aux commandes) et Est (dirigé par l’URSS, puis la Russie).

Le bloc de l’Ouest sera incarné par Monica Mac Intyre, anthropophobe (personne qui fuit les relations interpersonnelles) revendiquée qui ne jure donc que par la réussite individuelle.

Le bloc de l’Est sera représenté par Nicole O’Connor, autophobe (individu qui redoute la solitude) pleinement assumée pour qui le succès ne peut venir que de la force du groupe.

Dans les premiers chapitres nous sommes encore loin de cette confrontation aux enjeux planétaires. En 1972, de sont deux adolescentes d’une douzaine d’année qui se rencontrent pour la première fois à l’occasion de la finale d’un tournoi d’échecs. Une défaite qui se soldera par une première agression physique. Six ans plus tard, nouvelle confrontation sur un plateau d’échecs. L’heure de la revanche a sonné… mais ce sera aussi le déclencheur du premier sang versé.

Deux héroïnes brillantes qui vont cultiver une haine grandissante l’une pour l’autre, et se livrer, au fil des années, à un affrontement sans merci dans lequel tous les coups – surtout les coups bas – sont permis.

Avec ce roman Bernard Werber s’offre une rétrospective des grands événements survenu aux XXe et XXIe siècles. Rétrospective doublée d’une relecture afin de les faire coller à son intrigue. Un exercice qui pourrait facilement s’avérer casse-gueule mais dans lequel l’auteur tire parfaitement son épingle du jeu. On en viendrait presque à se demander si tous ces grands bouleversements (souvent dramatiques) ne pourraient pas être les conséquences – et accessoirement les dommages collatéraux – d’une lutte qui se joue dans l’ombre entre les éminences grises des puissants de ce monde.

Fidèle son habitude Bernard Werber émaille ses chapitres de nombreux extraits de son Encyclopédie Du Savoir Relatif Et Absolu, qu’il s’agisse de rappels historiques, d’anecdotes ou de simples faits constatés, ils sont toujours forts appréciables et souvent instructifs.

Est-il besoin de préciser que pour porter une telle intrigue il faut que l’auteur apporte un soin tout particulier à ses personnages, surtout à ses deux « reines » rivales ? Bernard Werber ne laisse rien au hasard en nous faisant découvrir le parcours personnel et professionnel de ces deux héroïnes au caractère bien trempé. Deux personnalités radicalement différentes mais mues par la même volonté de s’imposer.

Le lecteur pourra choisir son camp selon ses propres idéaux et / ou le personnage dont il se sentira le plus proche.  Pour ma part je serai tenté d’enfoncer une porte ouverte en disant que la solution idéale ne se trouve certainement pas dans les extrêmes. Si toutefois je devais choisir je pencherai plutôt pour Monica, d’une part parce que Staline, Mao et consorts ne sont pas vraiment ma tasse de thé, d’autre part parce que Nicole, pour arriver à ses fins, va nouer des alliances avec des engeances de la pire espèce.

En toute franchise avec ce roman je retrouve Bernard Werber au summum de son talent, incontestablement un très grand cru. Sur ces dix dernières années et les onze romans publiés entre 2012 et 2022 (je sais ça fait 11 ans mais je ne voulais pas amputer le cycle Troisième Humanité), c’est la première fois que j’attribue la note maximale, doublée d’un coup de cœur à un roman de l’auteur.

J’ai adoré tout simplement, même en creusant je ne lui trouve aucun défaut, tout au plus une étrangeté dont je ne peux parler au risque de spoiler gravement l’intrigue. Pour ceux et celles qui se poseraient la question de savoir s’il faut connaître et aimer le jeu d’échecs pour apprécier pleinement ce bouquin, je suis la preuve vivante que non. Je connais les règles de base du jeu (déplacements des pièces) mais je n’ai jamais éprouvé le moindre plaisir à y jouer.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Stephen King – Billy Summers

AU MENU DU JOUR


Titre : Billy Summers
Auteur : Stephen King
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2022
Origine : États-Unis (2021)
560 pages

De quoi ça cause ?

Billy Summers est un tueur à gages, l’un des meilleurs dans sa catégorie. Il n’accepte que les contrats pour lesquels la cible est un vrai méchant.

Billy Summers a envie de raccrocher et de passer à autre chose, mais avant ça il va accepter un dernier coup qui devrait lui assurer une retraite dorée…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Stephen King ! What else ?

Ma Chronique

Stephen King n’a plus rien à prouver depuis belle lurette, on sait notamment qu’il est capable d’écrire d’excellents romans sans y ajouter une once de fantastique (il suffit de lire Misery ou Jessie pour s’en convaincre). Nul doute donc que quand il entreprend d’écrire un roman autour du dernier coup d’un tueur à gages, il va aller bien au-delà de ça.

Les amateurs le savent mieux que personne, dans la littérature ou le cinéma, le dernier coup est celui où rien ne se passe comme prévu. Même le meilleur des plans va forcément dérailler, sinon ça ne serait pas drôle.

Comme son nom l’indique fort justement Billy Summers est avant tout l’histoire de Billy, ancien sniper chez les marines devenu tueur à gages. Un tueur à gages qui cultive le paradoxe puisqu’il n’accepte que les contrats visant de véritables méchants… se classant ainsi lui-même dans la catégorie des méchants – ce dont il a parfaitement conscience.

Pour honorer ce dernier contrat il va devoir, pour une durée indéterminée, endosser le rôle de David Lockridge, un apprenti écrivain qui s’est retiré dans un coin perdu pour travailler d’arrache-pied sur son premier roman.

Pour ne pas attirer l’attention Billy va devoir se fondre totalement dans ce rôle et se mêler étroitement à son nouvel entourage (aussi bien privé que professionnel)… une tâche dont il va s’acquitter au-delà de toutes ses attentes.

Ce sera aussi l’occasion pour Billy de raconter sa propre histoire sous forme d’une fiction, travail dans lequel il s’investira complètement, réveillant ainsi de vieux démons du passé… pour mieux les exorciser en les couchant sur le papier.

Trois histoires pour le prix d’une, Billy Summers (lui-même a deux facettes), David Lockridge et Benjy Compson (le double fictionnel de Billy). Et ce n’est que le début, l’arrivée inattendue d’un nouveau personnage va complètement rebattre les cartes.

Je ne spoilerai pas grand-chose en vous disant que le dernier coup de Billy ne va pas vraiment se passer comme il l’espérait. Le chasseur va se transformer en proie, mais une proie déterminée à donner du fil à retordre à ses poursuivants. Une proie qui ne va se contenter de jouer les fugitifs, Billy veut comprendre tous les tenants et les aboutissants de ce coup foireux.

Stephen King va, une fois de plus, s’avérer être un scénariste et un raconteur d’histoire hors pair. Son intrigue se densifie au fil des pages et des rebondissements avec quelques brusques poussées d’adrénaline. D’un autre côté l’auteur ne perd jamais une occasion de mettre en avant le côté profondément humain de son anti-héros ; ce sera encore plus vrai après sa rencontre avec Alice (une rencontre pas franchement ordinaire… une rencontre à la sauce King).

Ce roman est aussi une ode à l’Amérique profonde, loin des mégapoles ; dans ces petites villes où les voisins ne se regardent pas en chien de faïence ou en ces lieux sauvage où la nature peut exposer toute sa grandeur et sa richesse.

À côté de ça le King ne perd pas une occasion d’égratigner certains travers de cette Amérique qu’il aime tant… à commencer par la sombre période trumpiste, mais aussi celle de Bush Jr et sa gestion calamiteuse de la seconde guerre du Golfe.

Comme il a coutume de le faire, l’auteur ne manque pas de placer çà et là quelques clins d’œil à son univers littéraire (Hôtel Overlook, ça vous parle ?). C’est aussi l’occasion de déclarer sa flamme à la littérature (son héros est un inconditionnel de Zola et ne manque pas de faire référence à d’autres grands noms de la littérature).

Un roman qui devrait vous tenir en haleine de la première à la dernière page. Et quelle fin ? À la hauteur du reste du roman, toute en justesse et brillante d’humanité. Incontestablement le King est au sommet de son art.

Un roman qui devrait séduire un public plus large que les seuls afficionados du King tant il s’éloigne de ses codes habituels. Que vous soyez amateurs de romans noirs, de polars, de road trips ou simplement à la recherche d’une lecture forte, Billy Summers saura répondre à toutes vos attentes… et même aller au-delà.

MON VERDICT