[BOUQUINS] Stephen King – Conte De Fées

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Titre : Conte De Fées
Auteur : Stephen King
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2023
Origine : États-Unis
736 pages

De quoi ça cause ?

Charlie Reade, 17 ans, est un lycéen comme les autres, jusqu’au jour où il vient en aide à un voisin reclus et irascible, Howard Bowditch. La relation entre le vieil homme et l’adolescent, tendue au début, va peu à peu évoluer vers une confiance mutuelle, voire une amitié improbable. Jusqu’à ce que Howard révèle à Charlie un secret qui va à jamais changer sa vie…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

C’te question ! Stephen King, le seul et unique.

Ma Chronique

Stephen King est un touche-à-tout qui réussit presque à tous les coups à surprendre ses lecteurs (je n’ai toujours pas digéré Sleeping Beauties, même si depuis il a largement su se faire pardonner). Ce n’est pas la première fois qu’il met en scène des univers parallèles (Le Talisman Des Territoires, coécrit avec feu Peter Straub), tout comme il s’est déjà essayé à la fantasy avec Les Yeux Du Dragon (plutôt destiné à un public jeune) ou encore le cycle de La Tour Sombre (il faut absolument que je trouve le temps – c’te bonne blague – de le reprendre depuis le début et d’aller jusqu’au bout cette fois).

Dès la dédicace le King annonce la couleur en pensant à REH (Robert E. Howard, créateur, entre autres, de Conan et Solomon Kane), ERB (Edgar Rice Burroughs, papa notamment de Tarzan et de John Carter) et bien évidemment l’incontournable HPL (H.P. Lovecraft, père fondateur du mythe de Cthulhu).

Un petit mot sur la forme avant d’entrer dans le vif du sujet, chaque chapitre (il y en 32, plus l’épilogue) est présenté par une illustration de Gabriel Rodriguez (chapitres impairs) ou de Nicolas Delort (chapitres pairs). Un choix qui ne s’imposait sans doute pas mais qui ajoute un incontestable bonus esthétique au roman, même si certaines viennent spoiler la suite des événements (je pense surtout au sort du Grand Intendant).

Qui saurait mieux raconter cette histoire que Charlie lui-même ? L’auteur opte donc naturellement pour un récit à la première personne avec son jeune héros comme narrateur.

Charlie prend le temps de nous raconter son histoire et notamment les épreuves qu’il a dû traverser (le décès brutal de sa mère et l’alcoolisme de son père en réponse à ce drame). On pourrait penser que c’est juste afin de faire pleurer dans les chaumières mais ce serait mal connaître le King. Rien n’est laissé au hasard sous la plume du maître, sans ces deux épreuves Charlie n’aurait sans doute pas pris les mêmes engagements vis-à-vis de M. Bowditch.

Vient ensuite la rencontre avec M. Bowditch alors que ce dernier est en bien mauvaise posture… et le coup de foudre de Charlie pour la chienne Radar. Puis l’on suit l’évolution de la relation entre le vieil homme et l’adolescent. C’est à travers cette relation que l’on éprouve rapidement de l’empathie pour ce vieux grincheux (pas de problème au niveau de Charlie, il gagne immédiatement nos cœurs).

Stephen King n’a pas son pareil pour décrire cette relation intergénérationnelle, ainsi que lien qui va se nouer entre Charlie et Radar. Il ne se passe grand-chose de vraiment palpitant pendant ce premier tiers du roman, et pourtant le lecteur (moi en tout cas) ne s’ennuiera jamais tant le récit est vivant et vibrant d’humanité.

Et puis tout bascule. Charlie apprend qu’il existe un mode parallèle, Empis, auquel on peut accéder en descendant un long escalier camouflé par le cabanon de jardin de M. Bowditch. Sceptique dans un premier temps, Charlie va constater par lui-même que son vieil ami ne délirait pas en lui faisant ces révélations.

Dans un premier temps c’est par amour pour Radar que le jeune homme va s’aventurer dans les profondeurs d’Empis et affronter les dangers de la Citadelle. Frappé par l’injustice qui dévaste les habitants d’Empis, soumis à la folie vengeresse d’un tyran de plus en plus incontrôlable, Charlie va prendre fait et cause pour les Empisariens.

Là encore le talent de conteur de Stephen King fait des merveilles. Il donne véritablement vie à ce monde imaginaire. Pour ce faire il puise dans les contes de fées, dans leur forme originelle, pas les versions aseptisées et édulcorées de Disney, mais aussi et surtout dans l’univers de Lovecraft (souvent cité par Charlie).

On découvre alors de nouveaux personnages, parfois surprenants, pour ne pas dire déroutants (à l’image du Snab). Des réfugiés qui essayent tant bien que mal d’échapper au fléau gris qui s’étend inexorablement, les condamnant à une lente et douloureuse agonie. Une famille royale en déroute, frappée elle aussi par une terrible malédiction. Des habitants « sains » (comprendre épargnés par le gris) pourchassés par les troupes du tyran et emprisonnés dans les pires conditions.

Dans le camp du Mal il faudra se montrer patient pour découvrir le tyran en question… mais il sera à la hauteur de sa sinistre réputation. Avant ça nous aurons croisé le chemin d’une géante cannibale et pétomane, d’une escouade de morts-vivants électrifiés et bien d’autres surprises… souvent mauvaises pour Charlie et ses amis.

Alors oui certains diront que c’est un tantinet manichéen, mais après tout Stephen King nous offre un conte de fée pour adultes dans un univers où tout est permis. Le combat qui oppose le Bien au Mal n’a jamais cessé – et ne cessera sans doute jamais – d’être source d’inspiration pour les auteurs. À ce petit jeu Stephen King et son Conte De Fées tirent leur épingle du jeu.

MON VERDICT

Illustration de Nicolas Delort

Illustration de Gabriel Rodriguez

[BOUQUINS] Maxime Chattam – La Constance Du Prédateur

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Titre : La Constance Du Prédateur
Série : Ludivine Vancker – Tome 4
Auteur : Maxime Chattam
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2022
Origine : France
448 pages

De quoi ça cause ?

Une page se tourne pour Ludivine Vancker qui va intégrer le Département des Sciences du Comportement (DSC) de la gendarmerie et ses équipes de profilers.

À peine arrivée, elle est plongée dans le feu de l’action. Un charnier a été découvert dans le puit désaffecté d’une mine en Alsace. De prime abord toutes les victimes ont été tuées suivant un même mode opératoire entre les années 70 et 90.

L’affaire, déjà complexe, se corse lorsque l’ADN du tueur présumé est retrouvé sur deux nouvelles victimes… tuées au cours de ces dernières semaines.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Maxime Chattam et parce qu’il nous offre l’occasion de retrouver Ludivine Vancker dans une nouvelle enquête.

Ma Chronique

Avec ce roman, Maxime Chattam fête ses 20 ans d’écriture (aventure débutée en 2002 avec L’Ame Du Mal, le premier opus de La Trilogie Du Mal). C’est le vingt-huitième roman de l’auteur (sans parler des nombreuses nouvelles qu’il a publié en parallèle à sa carrière romanesque).

C’est avec un réel enthousiasme que je retrouve Ludivine Vancker et ses collègues de la SR (Section de Recherches) de Paris. Mais au bout de quelques pages je découvre que Ludivine va être mutée au Département des Sciences du Comportement (DSC). Adieu les collègues de la SR, et let’s go pour de nouvelles aventures !

Oui… et non. Si Ludivine intègre bel bien le DSC (à sa demande), l’affaire à laquelle ils vont se frotter s’annonce tellement énorme que la SR de Paris va être appelée en renforts. Une sorte de transition en douceur, plutôt qu’une rupture nette. Bien joué Maxou !

Le DSC de la Gendarmerie Nationale a été créé en 2001 (mais n’est opérationnel qu’à partir de 2002), son rôle est de dresser le « profil » d’un criminel au vu de la scène de crime. Pour cela des experts en psychocriminologie travaillent de pair avec des enquêteurs de terrain. Pour faire simple, nos gendarmes du DSC sont plus ou moins l’équivalent des fameux profilers américains. Dans les faits les méthodes du DSC s’apparentent davantage aux techniques d’analyses comportementales développées par la Gendarmerie royale canadienne et la police sud-africaine.

Si Ludivine va retrouver ses anciens collègues (Segnon, Guilhem, Magali et Franck), elle va aussi et surtout devoir travailler de concert avec sa supérieure hiérarchique, la chef d’escadron Lucie Torrens et s’adapter aux méthodes d’investigations du DSC.

J’ai apprécié de retrouver le personnage de Ludivine Vancker débarrassée (plus ou moins) de ses anciens démons, le couple qu’elle forme avec Marc semble avoir un effet positif et apaisant sur sa personnalité.

J’avoue avoir eu un énorme coup de cœur pour le personnage de Lucie Torrens. Elle mériterait presque que Maxime Chattam lui consacre au moins au roman… mais bon, il fait ce qu’il veut, c’est un grand garçon (et vu les idées sombres qui lui passent par la tête, vaut mieux pas lui chercher des noises).

Superbe (la modestie ne m’étouffe pas) transition qui m’amène à dire quelques mots de l’intrigue. Sans mentir c’est peut-être l’une des plus machiavéliques parmi les nombreux thrillers que j’ai lu ces dernières années. Vous n’avez pas fini de vous triturer les méninges pour démêler pareil écheveau.

La violence est omniprésente mais au service de l’intrigue, et encore je trouve que l’auteur a été plutôt soft vu la perversité de Charon, le tueur en série qui va donner bien du fil à retordre au DSC et à la SR parisienne. Si violence il y a, c’est plutôt le contexte imaginé par l’auteur qui fait froid dans le dos ; dans le genre plongée au cœur de ce que l’humain a de plus pourri et pervers, on peut difficilement faire pire dans l’innommable…

En refermant ce roman vous réaliserez à quel point le titre colle parfaitement à l’intrigue.

Ce roman confirme ce que l’on avait déjà pressenti ces dernières années, Maxime Chattam excelle quand il fait du Chattam pur jus… pas quand il cherche à imiter les autres (je fais ici référence aux romans Le Signal et Illusion qui ne m’ont vraiment pas convaincu).

MON VERDICT

Coup de poing

Extrait – Prologue

Voici les premières phrases du roman :

Claire n’aimait pas sucer.
Elle détestait ça même. L’acharnement un peu vain, illusoire, de vouloir faire durer les choses. La perte de temps, d’efficacité. Et puis les sons que cela produisait ! Claire avait un vrai problème avec les clapotements de joues, les claquements humides de langue, les décollements successifs des lèvres moites ou les déglutitions à répétition.

Osez affirmer sans ciller que vous n’avez pas immédiatement pensé à la même chose que moi !

Alors, esprit mal tourné ou pas ? Vous le saurez en lisant la suite.

Une sacrée mise en bouche, si j’ose dire (ah oui, j’ai osé).

[BOUQUINS] Bernard Werber – La Diagonale Des Reines

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Titre : La Diagonale Des Reines
Auteur : Bernard Werber
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2022
Origine : France
480 pages

De quoi ça cause ?

Nicole O’Connor vit en Australie avec son père, un riche homme d’affaire. Fidèle à la devise familiale, elle ne jure que par la force du groupe.

Monica Mac Intyre vit aux Etats-Unis avec sa mère au cœur d’un foyer modeste. Son crédo est la réussite individuelle.

C’est en 1972 que les deux adolescentes se rencontrent et s’affrontent à l’occasion d’un tournoi d’échecs. Une confrontation qui va s’étaler sur plusieurs années, bien au-delà du jeu d’échecs. Leur plateau de jeu sera le monde, les règles sont simples : tous les coups sont permis.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Bernard Werber, je l’ai découvert avec la trilogie des Fourmis et j’ai tout de suite été happé par son univers littéraire. Même si j’ai raté quelques rendez-vous, ces dernières années j’essaye d’être fidèle au poste. Un auteur qui ne m’a jamais déçu malgré une œuvre inégale.

Ma Chronique

Pour son nouveau roman Bernard Werber s’inspire de la notion de Némésis, en opposition de l’âme sœur, elle est l’âme damnée – l’ennemie ultime – de son alter ego. Pour construire son intrigue il va s’appuyer sur deux femmes que tout oppose mais qui – paradoxalement – se ressemblent. Une partie d’échecs qui va se jouer à grandeur nature sur fond d’opposition entre les deux blocs Ouest (avec les Etats-Unis aux commandes) et Est (dirigé par l’URSS, puis la Russie).

Le bloc de l’Ouest sera incarné par Monica Mac Intyre, anthropophobe (personne qui fuit les relations interpersonnelles) revendiquée qui ne jure donc que par la réussite individuelle.

Le bloc de l’Est sera représenté par Nicole O’Connor, autophobe (individu qui redoute la solitude) pleinement assumée pour qui le succès ne peut venir que de la force du groupe.

Dans les premiers chapitres nous sommes encore loin de cette confrontation aux enjeux planétaires. En 1972, de sont deux adolescentes d’une douzaine d’année qui se rencontrent pour la première fois à l’occasion de la finale d’un tournoi d’échecs. Une défaite qui se soldera par une première agression physique. Six ans plus tard, nouvelle confrontation sur un plateau d’échecs. L’heure de la revanche a sonné… mais ce sera aussi le déclencheur du premier sang versé.

Deux héroïnes brillantes qui vont cultiver une haine grandissante l’une pour l’autre, et se livrer, au fil des années, à un affrontement sans merci dans lequel tous les coups – surtout les coups bas – sont permis.

Avec ce roman Bernard Werber s’offre une rétrospective des grands événements survenu aux XXe et XXIe siècles. Rétrospective doublée d’une relecture afin de les faire coller à son intrigue. Un exercice qui pourrait facilement s’avérer casse-gueule mais dans lequel l’auteur tire parfaitement son épingle du jeu. On en viendrait presque à se demander si tous ces grands bouleversements (souvent dramatiques) ne pourraient pas être les conséquences – et accessoirement les dommages collatéraux – d’une lutte qui se joue dans l’ombre entre les éminences grises des puissants de ce monde.

Fidèle son habitude Bernard Werber émaille ses chapitres de nombreux extraits de son Encyclopédie Du Savoir Relatif Et Absolu, qu’il s’agisse de rappels historiques, d’anecdotes ou de simples faits constatés, ils sont toujours forts appréciables et souvent instructifs.

Est-il besoin de préciser que pour porter une telle intrigue il faut que l’auteur apporte un soin tout particulier à ses personnages, surtout à ses deux « reines » rivales ? Bernard Werber ne laisse rien au hasard en nous faisant découvrir le parcours personnel et professionnel de ces deux héroïnes au caractère bien trempé. Deux personnalités radicalement différentes mais mues par la même volonté de s’imposer.

Le lecteur pourra choisir son camp selon ses propres idéaux et / ou le personnage dont il se sentira le plus proche.  Pour ma part je serai tenté d’enfoncer une porte ouverte en disant que la solution idéale ne se trouve certainement pas dans les extrêmes. Si toutefois je devais choisir je pencherai plutôt pour Monica, d’une part parce que Staline, Mao et consorts ne sont pas vraiment ma tasse de thé, d’autre part parce que Nicole, pour arriver à ses fins, va nouer des alliances avec des engeances de la pire espèce.

En toute franchise avec ce roman je retrouve Bernard Werber au summum de son talent, incontestablement un très grand cru. Sur ces dix dernières années et les onze romans publiés entre 2012 et 2022 (je sais ça fait 11 ans mais je ne voulais pas amputer le cycle Troisième Humanité), c’est la première fois que j’attribue la note maximale, doublée d’un coup de cœur à un roman de l’auteur.

J’ai adoré tout simplement, même en creusant je ne lui trouve aucun défaut, tout au plus une étrangeté dont je ne peux parler au risque de spoiler gravement l’intrigue. Pour ceux et celles qui se poseraient la question de savoir s’il faut connaître et aimer le jeu d’échecs pour apprécier pleinement ce bouquin, je suis la preuve vivante que non. Je connais les règles de base du jeu (déplacements des pièces) mais je n’ai jamais éprouvé le moindre plaisir à y jouer.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Stephen King – Billy Summers

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Titre : Billy Summers
Auteur : Stephen King
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2022
Origine : États-Unis (2021)
560 pages

De quoi ça cause ?

Billy Summers est un tueur à gages, l’un des meilleurs dans sa catégorie. Il n’accepte que les contrats pour lesquels la cible est un vrai méchant.

Billy Summers a envie de raccrocher et de passer à autre chose, mais avant ça il va accepter un dernier coup qui devrait lui assurer une retraite dorée…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Stephen King ! What else ?

Ma Chronique

Stephen King n’a plus rien à prouver depuis belle lurette, on sait notamment qu’il est capable d’écrire d’excellents romans sans y ajouter une once de fantastique (il suffit de lire Misery ou Jessie pour s’en convaincre). Nul doute donc que quand il entreprend d’écrire un roman autour du dernier coup d’un tueur à gages, il va aller bien au-delà de ça.

Les amateurs le savent mieux que personne, dans la littérature ou le cinéma, le dernier coup est celui où rien ne se passe comme prévu. Même le meilleur des plans va forcément dérailler, sinon ça ne serait pas drôle.

Comme son nom l’indique fort justement Billy Summers est avant tout l’histoire de Billy, ancien sniper chez les marines devenu tueur à gages. Un tueur à gages qui cultive le paradoxe puisqu’il n’accepte que les contrats visant de véritables méchants… se classant ainsi lui-même dans la catégorie des méchants – ce dont il a parfaitement conscience.

Pour honorer ce dernier contrat il va devoir, pour une durée indéterminée, endosser le rôle de David Lockridge, un apprenti écrivain qui s’est retiré dans un coin perdu pour travailler d’arrache-pied sur son premier roman.

Pour ne pas attirer l’attention Billy va devoir se fondre totalement dans ce rôle et se mêler étroitement à son nouvel entourage (aussi bien privé que professionnel)… une tâche dont il va s’acquitter au-delà de toutes ses attentes.

Ce sera aussi l’occasion pour Billy de raconter sa propre histoire sous forme d’une fiction, travail dans lequel il s’investira complètement, réveillant ainsi de vieux démons du passé… pour mieux les exorciser en les couchant sur le papier.

Trois histoires pour le prix d’une, Billy Summers (lui-même a deux facettes), David Lockridge et Benjy Compson (le double fictionnel de Billy). Et ce n’est que le début, l’arrivée inattendue d’un nouveau personnage va complètement rebattre les cartes.

Je ne spoilerai pas grand-chose en vous disant que le dernier coup de Billy ne va pas vraiment se passer comme il l’espérait. Le chasseur va se transformer en proie, mais une proie déterminée à donner du fil à retordre à ses poursuivants. Une proie qui ne va se contenter de jouer les fugitifs, Billy veut comprendre tous les tenants et les aboutissants de ce coup foireux.

Stephen King va, une fois de plus, s’avérer être un scénariste et un raconteur d’histoire hors pair. Son intrigue se densifie au fil des pages et des rebondissements avec quelques brusques poussées d’adrénaline. D’un autre côté l’auteur ne perd jamais une occasion de mettre en avant le côté profondément humain de son anti-héros ; ce sera encore plus vrai après sa rencontre avec Alice (une rencontre pas franchement ordinaire… une rencontre à la sauce King).

Ce roman est aussi une ode à l’Amérique profonde, loin des mégapoles ; dans ces petites villes où les voisins ne se regardent pas en chien de faïence ou en ces lieux sauvage où la nature peut exposer toute sa grandeur et sa richesse.

À côté de ça le King ne perd pas une occasion d’égratigner certains travers de cette Amérique qu’il aime tant… à commencer par la sombre période trumpiste, mais aussi celle de Bush Jr et sa gestion calamiteuse de la seconde guerre du Golfe.

Comme il a coutume de le faire, l’auteur ne manque pas de placer çà et là quelques clins d’œil à son univers littéraire (Hôtel Overlook, ça vous parle ?). C’est aussi l’occasion de déclarer sa flamme à la littérature (son héros est un inconditionnel de Zola et ne manque pas de faire référence à d’autres grands noms de la littérature).

Un roman qui devrait vous tenir en haleine de la première à la dernière page. Et quelle fin ? À la hauteur du reste du roman, toute en justesse et brillante d’humanité. Incontestablement le King est au sommet de son art.

Un roman qui devrait séduire un public plus large que les seuls afficionados du King tant il s’éloigne de ses codes habituels. Que vous soyez amateurs de romans noirs, de polars, de road trips ou simplement à la recherche d’une lecture forte, Billy Summers saura répondre à toutes vos attentes… et même aller au-delà.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Bernard Werber – La Prophétie Des Abeilles

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Titre : La Prophétie Des Abeilles
Auteur : Bernard Werber
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2021
Origine : France
592 pages

De quoi ça cause ?

Au cours d’une séance d’autohypnose, René Tolédano rencontre son homologue du futur. L’humanité est au bord de l’effondrement, son alter ego lui confie alors la lourde mission de changer le futur, précisant simplement que les réponses se trouvent dans un texte du XIe siècle, La Prophétie des Abeilles, écrit par le chevalier Salvin de Bienne.

Pour avancer dans sa quête, René Tolédano va devoir rencontrer celui qu’il était au XIe siècle avant de remonter la piste de cette fameuse prophétie dont personne, de nos jours, ne semble connaître l’existence…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Bernard Werber, un auteur qui ne m’a jamais déçu à travers ses écrits… même si certains m’ont moins emballé que d’autres.

Après les fourmis et les chats, ce brave Bernard Werber se penche maintenant sur le cas des abeilles. J’étais forcément curieux sous quel angle il aborderait la question.

Ma Chronique

Contrairement à une idée reçue, Albert Einstein se souciait comme de sa première branlette des abeilles ; c’est donc à tort que l’on lui attribue l’affirmation que sans les abeilles, l’humanité n’aurait que quelques années à vivre. Ce n’est toutefois pas une raison pour rejeter en bloc cette idée ; en effet, on sait aujourd’hui que la disparition des abeilles (un phénomène qui s’observe depuis quelques années, pour diverses raisons) aurait de lourdes conséquences sur l’environnement et donc sur le devenir de l’humanité.

Si le grand Albert n’avait pas grand-chose à foutre de la question des abeilles (à sa décharge, il avait d’autres chats à fouetter), Bernard Werber s’est quant à lui penché sur la question pour construire l’intrigue de son nouveau roman. Dommage qu’en guise d’exergue, l’auteur reprenne cette citation indument attribuée à Einstein…

Les lecteurs les plus assidus de Bernard Werber retrouveront le personnage de René Toledano (déjà croisé dans La Boite De Pandore), qui maîtrise désormais parfaitement les techniques d’hypnose régressive (permettant de remonter les vies passées de l’hypnotisé) et travaillant sur une hypnose prospective (idem, pour les vies futures de l’hypnotisé).

D’emblée si vous êtes totalement réfractaire à l’hypnose, passez votre chemin, ce bouquin n’est définitivement pas fait pour vous. Ce n’est heureusement pas mon cas (il était déjà fortement question d’hypnose régressive dans La Boîte De Pandore).

Le moins que l’on puisse dire c’est que les perspectives ne s’annoncent pas sous les meilleurs auspices pour René Toledano ; dans les premiers chapitres, il va plutôt cumuler les tuiles et les imprévus.

J’en vois déjà qui font une moue sceptique, René Tolédano et hypnose régressive, ça a comme un parfum de déjà-vu, non ? Que nenni ami(e)s lecteurs et lectrices ! Bernard Werber vous propose bel et bien une intrigue 100% inédite, qui conduira René Toledano (et ses amis) à rencontrer ses moi antérieurs de la prise de Jérusalem en 1099 jusqu’à la chute de l’Ordre des Templiers (en 1312).

René Toledano ne sera pas seul pour traverser les nombreuses épreuves qui l’attendent, il pourra en effet compter sur le soutien de son ami Alexandre Langevin, féru d’Histoire et actuel président de la Sorbonne, et de la fille de ce-dernier, Mélissa, professeure d’Histoire dans cette même université.

Un périple qui leur fera voir du pays (Israël et Chypre) avant de rentrer en France pour l’ultime étape de la course à la prophétie !

Si l’intrigue reste intéressante à suivre, j’avoue que j’ai parfois été lassé par son aspect répétitif dans son déroulé : deux pas dans le passé, un pas dans le présent et bis repetita, encore et encore. Heureusement que la partie historique (même un peu revisitée) est bien ficelée, sinon je ne pense pas que j’aurai réussi à aller jusqu’au bout.

Dans le même ordre d’idée, les référence au MNEMOS de René Toledano sont beaucoup trop axée sur l’histoire des peuples d’Israël. Je n’ai aucune honte à avouer qu’au bout d’un moment je les ai survolés, ne m’attardant que sur les rares passages susceptibles d’apporter quelque chose à l’intrigue.

Le fait de faire interagir des personnages fictifs avec des personnages historiques n’est pas nouveau, mais Bernard Werber exploite plutôt bien le filon. On se prend aisément au jeu même si j’ai globalement trouvé la genèse de la prophétie un peu tirée par les cheveux.

Je ne m’attarderai pas sur le face à face final, opposant René Toledano et ses amis à leur adversaire… on est davantage dans la farce burlesque que dans la poussée d’adrénaline.

Je n’irai pas jusqu’à dire que je me suis ennuyé à la lecture de ce roman, mais j’ai connu Bernard Werber nettement plus inspiré ; sur ce coup il ne m’a clairement pas emballé. Heureusement l’auteur évite le naufrage grâce à la qualité de la narration, en parfait conteur, il parvient à garder le lecteur en haleine… mais pas suffisamment pour faire oublier les bémols évoqués précédemment.

MON VERDICT

En aparté

Les livres du programme de français qu’on lui imposait de lire ont failli le dégoûter de la lecture.

Ah que voilà une phrase qui trouve une résonnance toute particulière en moi.

Ce ne sont certainement pas les bouquins inscrits au programme scolaire des cours de français qui m’ont donné goût à la lecture… au contraire, à de rares exceptions près, ils auraient plutôt eu tendance à me faire considérer le livre comme un instrument de torture.

Il en va de même pour cette manie des profs de français qui veulent tout expliquer, analyser et décortiquer en oubliant l’essentiel. Lire un livre ce n’est pas comme disséquer une grenouille, il n’y a pas de méthode meilleure qu’une autre, parfois il vaut mieux se laisser porter par les mots et les émotions qu’ils génèrent… quitte à ne pouvoir les verbaliser ensuite.

Heureusement le goût de la lecture m’a été transmis par mes parents et mes grands-parents, c’est donc en prenant mes distances avec les titres imposés par le système scolaire, que j’ai appris à apprécier pleinement la lecture. Je ne saurai dire quels sont les premiers « vrais » livres que j’ai lus, adolescent, mes parents m’avaient abonné à un club du livre qui envoyait à ses membres deux titres par mois, c’est ainsi que j’ai découvert – et dévoré – des auteurs tels que Jack London (Croc Blanc, L’Appel De La Forêt), James Fenimore Cooper (Le Dernier Des Mohicans, La Prairie), Mark Twain (Tom Sawyer) mais aussi la Comtesse de Ségur (L’Auberge De L’Ange Gardien, Le Général Dourakine)… et bien d’autres !

[BOUQUINS] Stephen King – Après

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Titre : Après
Auteur : Stephen King
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2021
Origine : États-Unis
320 pages

De quoi ça cause ?

Jamie Conklin est un enfant comme les autres, à ceci près qu’il peut voir les morts et leur parler. Et un mort est condamné à ne jamais mentir. Un don qui peut vite se transformer en malédiction comme Jamie le découvrira en croisant la route de Kenneth Therriault, un tueur en série qui s’est suicidé alors que l’étau policier se resserrait autour de lui…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Stephen King… what else ?

Ma Chronique

La première surprise de ce Stephen King cuvée 2021 vient de la taille de l’objet (je parle bien entendu du bouquin… juste pour qu’il n’y ait pas de malentendu). À peine plus de 300 pages alors qu’il nous avait habitué à des pavés de 600 pages, et plus si affinités ! Vérifions si l’adage populaire qui affirme que la taille ne compte pas va se vérifier sous la plume du King.

Pour rester dans les premières impressions (avant lecture), je trouve que le visuel de la couv’ est superbe, bien plus réussie que la couv’ de la VO qui, à mon sens, ne rend pas hommage au récit avec ses airs de romans de gare vintage.

L’auteur donne la parole à Jamie qui âgé de 22 ans et bénéficiant d’un certain recul va nous raconter son histoire pas franchement ordinaire. Une histoire qui commence alors qu’il a six ans et qu’il rentre de l’école avec sa mère, une journée qui aurait pu ressembler à toutes les autres si leur voisine n’avait pas décidé de mourir. Une histoire qui va se prolonger jusqu’à l’année de ses 18 ans.

Jamie a une relation fusionnelle avec sa mère, Tia, responsable d’une petite maison d’édition. La vie leur sourie jusqu’en 2008 et la crise économique, les économies du foyer fondent comme neige au soleil à la suite de mauvais placements, exit le bel appartement et les beaux quartiers, exit l’école privé… il faut serrer la ceinture pour joindre les deux bouts. L’année suivante la maison d’édition perd son auteur fétiche qui meurt avant d’avoir pu achever le dernier tome d’une série à succès (toute ressemblance avec un certain GRR Martin… pas encore mort, mais pas pressé de nous livrer la suite du Trône de Fer…).

Je ne vais pas vous raconter tout le bouquin mais je pense que vous voyez à peu près comment Tia et son fils peuvent rebondir face à cette nouvelle épreuve (si vous ne voyez pas, je vous invite à lire le roman). De toutes façons ce n’est que le début de l’intrigue, les choses sérieuses ne commenceront que quelques années plus tard…

Stephen King nous livre une intrigue totalement addictive entre thriller et fantastique (un cocktail dont il maîtrise les règles) avec quelques scènes sanglantes mais pas de quoi donner le grand frisson aux lecteurs. Et c’est justement mon principal (et sans doute même unique) regret vis-à-vis de ce bouquin : il est maîtrisé de bout en bout, pas la moindre fausse note ne vient faire dérailler la mécanique imaginée par l’auteur, mais il manque un petit quelque chose pour en faire un grand cru du King.

Écrit par un autre auteur j’aurai sans doute été tenté de porter aux nues ce roman (malgré quelques ressemblances frappantes avec Le Sixième Sens, le film de M. Night Shyamalan), mais je reste convaincu que Stephen King aurait pu nous offrir un récit encore plus abouti.

À côté de ce petit bémol je ne peux que souligner les qualités incontestables de ce bouquin, à commencer par ses personnages et son intrigue, mais le véritable tour de force de l’auteur réside dans l’évolution du style du récit au fil des chapitres. On a parfois l’impression de lire un journal intime de Jamie plutôt qu’un récit fait avec quelques années de recul.

Pas un grand cru mais un très bon roman que les plus gourmands dévoreront d’une traite. Comme quoi quantité et qualité ne vont pas toujours de pair ; la taille de compte pas, CQFD !

MON VERDICT

[BOUQUINS] Jean-Christophe Grangé – Les Promises

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Titre : Les Promises
Auteur : Jean-Christophe Grangé
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2021
Origine : France
656 pages

De quoi ça cause ?

Berlin 1939. L’Allemagne nazie est aux portes de la guerre, c’est dans ce contexte qu’un mystérieux tueur en série choisit ses victimes parmi les épouses de dignitaires du régime.

Avant que l’affaire ne s’ébruite, la Gestapo charge l’officier SS Franz Beewen de résoudre cette affaire aussi discrètement que rapidement. L’enquête piétinant Beewen va solliciter – à contrecœur – l’aide de Simon Kraus, un psychiatre qui suivait les victimes et de Minna von Hassel, directrice de l’asile d’aliénés dans lequel son père est suivi.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Jean-Christophe Grangé, un auteur (peut-être même le seul) que je suis depuis ses débuts et dont je n’ai raté aucun titre. Non seulement il s’écarte de la série TV Les Rivières Pourpres (les deux précédents romans étant l’adaptation littéraire des deux premières saisons de la série), mais en plus il s’aventure, pour la première fois, dans le thriller sur fond historique.

Ma Chronique

En découvrant le pitch de son dernier roman, Les Promises, j’ai été agréablement surpris de constater que Jean-Christophe Grangé s’écartait de la série TV Les Rivières Pourpres (série dont il est le scénariste). Même si j’ai bien aimé ses deux précédents romans, inspirés respectivement de la première et de la seconde saison de la série TV, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il jouait la carte de la facilité en développant de façon plus littéraire un scénario déjà écrit.

La seconde surprise vient du fait que malgré une carrière littéraire bien garnie (15 romans publiés entre 1994 et 2020), l’auteur est encore capable de surprendre ses lecteurs en s’aventurant sur des sentiers qu’il n’avait jamais explorés par le passé. En effet ce seizième roman s’inscrit clairement comme un thriller historique en se plaçant dans l’Allemagne nazie aux portes de la Seconde Guerre mondiale.

Certains de ses romans antérieurs étaient fortement empreints d’événements historiques survenus antérieurement à l’intrigue, mais ladite intrigue restait contemporaine. Dans Les Promises l’auteur place ses personnages au cœur d’un passé aussi trouble qu’obscur.

Le choix peut surprendre, mais Jean-Christophe Grangé l’explique en l’inscrivant comme une évidence dans son parcours littéraire. En effet l’auteur explique avoir exploré les différentes facettes du mal tout au long de son œuvre, il lui semblait donc impossible de faire l’impasse sur le nazisme qui est quand même le pire du pire dans le genre.

Jusqu’au-boutiste et perfectionniste, on devine que l’auteur a dû se livrer à un énorme travail de documentation afin de restituer le Berlin de 1939 et la vie des berlinois(es) totalement réaliste. Sans être un spécialiste (loin s’en faut) j’ai été en totale immersion dans ce contexte très particulier où le contraste entre les petits protégés du Reich et ses ennemis (avérés ou supposés) est aussi saisissant que glaçant.

Rien de nouveau sous le soleil noir du Reich me direz-vous, en effet l’auteur n’invente rien en prenant la Seconde Guerre mondiale comme cadre de son intrigue, même le point de vue allemand a été lu et relu, mais Jean-Christophe Grangé nous propose de suivre l’affaire d’un point de vue militaire, mais aussi civil.

Le point de vue militaire est assuré par Franz Beewen, un officier SS travaillant à la Gestapo qui attend la guerre avec impatience afin de pouvoir monter au front et se frotter aux Français. Pas franchement le profil type du gendre idéal !

Dépassé par les événements il va devoir, à contrecœur, s’associer avec deux psychiatres (une profession qui n’est pas vraiment en odeur de sainteté sous la bannière du Reich).

Simon Kraus connaissait les victimes qu’il suivait en thérapie ; un type égocentrique et opportuniste, complexé par sa petite taille qui couche avec ses patientes et accessoirement les fait chanter.

La moins pire du trio est Minna von Hassel, elle dirige un asile d’aliénés dans lequel le père de Franz est interné ; son pêché mignon est un net penchant pour les substances illicites. Issue d’une famille de la haute société, elle vomit le régime nazi sans toutefois chercher à le combattre.

Un trio qui n’est pas vraiment à même d’attirer l’empathie du lecteur, l’auteur saura malgré tout y faire pour nous les rendre attachants (à défaut d’être sympathiques). Trois enquêteurs qui n’en sont pas vraiment et qui vont devoir faire abstraction de leurs antagonismes et apprendre à travailler ensemble.

Niveau intrigue, Jean-Christophe Grangé nous livre un sans-faute maîtrisé de la première à la dernière page. Comme dans tout thriller réussi on a le droit aux fausses pistes et à des rebondissements plus ou moins imprévisibles.

Comme à son habitude l’auteur ne ménage pas ses efforts quand il s’agit de faire mourir ses personnages, et vous vous doutez bien qu’ils ne meurent pas paisiblement pendant leur sommeil. Toutefois il n’y a aucune surenchère gore ou trash, les victimes et les sévices qu’elles ont subis sont là pour servir l’intrigue.

Pour une première incursion dans le thriller historique, Grangé nous offre un grand cru et ajoute une corde à son arc (déjà bien – voire très bien – chargé).

Une petite précision pour clore cette chronique. S’il m’a fallu pas loin de trois semaines pour boucler la lecture du bouquin ce n’est pas sa qualité qui est à remettre en cause mais bel et bien mes disponibilités. Entre un emploi du temps professionnel particulièrement chargé et une période de confinement, les facteurs extérieurs se sont accumulés contre mon temps de lecture.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Pierre Lemaitre – Le Serpent Majuscule

AU MENU DU JOUR


Titre : Le Serpent Majuscule
Auteur : Pierre Lemaitre
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2021
Origine : France
336 pages

De quoi ça cause ?

Mathilde, 63 ans, petite, large et lourde comme elle se définit elle-même, a tout de la madame Tout-le-Monde qui se fond, anonyme et invisible, dans la foule. Les apparences sont parfois trompeuses, Mathilde est une tueuse professionnelle d’une redoutable efficacité.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Pierre Lemaitre et qu’il nous propose de découvrir son premier roman, écrit en 1985, et jamais publié jusqu’à ce jour.

Ma Chronique

En nous proposant de découvrir ce roman inédit, oublié au fond d’un tiroir, Pierre Lemaitre fait ses « adieux » au polar (c’est votre dernier mot Pierre ? je ne perds pas espoir qu’à l’image de certaines stars du showbiz, ces adieux ne soient qu’un au revoir dissimulé).

Un roman écrit en 1985 dont l’intrigue se situe cette même année. Une époque où l’être humain lambda n’avait pas un smartphone greffé au bout du bras H24, où les gadgets connectés en tout genre n’existaient que dans les romans de science-fiction les plus visionnaires… comme dirait l’autre (merci Charles), je vous parle d’un temps, que les moins de 20 ans, ne peuvent pas connaître

Un polar noir qui adopte un ton décalé totalement assumé et affiche fièrement son intrigue hautement amorale. Une intrigue qui balaie allégrement le politiquement correct aseptisé et hypocrite. Un plaisir jubilatoire à lire !

Une intrigue portée par une héroïne pour le moins atypique. C’est qu’on lui donnerait le Bon Dieu sans confession à cette petite vieille qui se perd dans la masse. L’habit ne fait pas le moine et si la Mathilde a un contrat sur votre tête elle n’hésitera pas à faire parler la poudre. La rencontre entre une balle tirée par un Desert Eagle et une paire de couilles ne se joue pas à l’avantage de cette dernière… et de son propriétaire. C’est que la Mathilde (qu’est revenue) a une attirance particulière pour les gros calibres !

Un premier roman qui a certes quelques faiblesses sur la forme, mais le fond est tellement jouissif que l’on pardonne sans mal ces légères erreurs de jeunesse. Un bouquin donne du pep’s et qui force à une certaine bienveillance à son égard. 35 ans avant qu’il ne publie son premier roman (Travail Soigné, en 2006), on reconnaît déjà la griffe de Pierre Lemaitre et le plaisir sadique qu’il a à malmener ses personnages.

MON VERDICT

(BOUQUINS] Stephen King – Si Ça Saigne

AU MENU DU JOUR

S. King - Si ça saigne
Titre : Si Ça Saigne
Auteur : Stephen King
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2021
Origine : Etats-Unis (2020)
464 pages

De quoi ça cause ?

Recueil de quatre nouvelles inédites.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Stephen King et qu’il maîtrise à la perfection l’art de la nouvelle.

Ma Chronique

Quatre nouvelles sur plus de 460 pages, inutile de vous préciser que ça fait de longues nouvelles, la plus longue (presque la moitié du bouquin à elle seule) étant celle qui a donné le titre au recueil et qui nous offre l’occasion de retrouver Holly Gibney (on a fait sa connaissance alors qu’elle était l’adjointe de Bill Hodges dans la trilogie Mr Mercedes, avant de la retrouver à la tête de sa propre agence dans L’Outsider).

La première nouvelle, Le téléphone de M. Harrigan, nous narre une belle histoire d’amitié intergénérationnelle et ses suites. Si j’ai beaucoup aimé les personnages, l’intrigue ne m’a pas emballé outre mesure. Au risque de faire un jeu de mot pourri je l’ai trouvée un peu trop téléphonée…

On enchaîne ensuite avec La vie de Chuck, comme son nom l’indique on va découvrir la vie de Charles ‘Chuck’ Krantz à travers trois moments phares de son existence. L’originalité est dans le choix d’une narration antéchronologique (on commence par la fin pour revenir progressivement au début). Autre élément d’importance dans ce récit, au cours de l’acte III, nous assistons non seulement aux derniers jours de Chuck, mais aussi à ceux de l’humanité.

Arrive enfin Si ça saigne, suite du roman L’Outsider et qui nous permet donc de retrouver Holly Gibney confrontée à un nouvel outsider. Un plaisir de retrouver Holly Gibney (et quelques autres personnages déjà croisés dans la trilogie Mr Mercedes) mais j’avoue que j’ai trouvé que l’intrigue manquait d’un petit je ne sais quoi pour que la sauce prenne totalement.

Avec Rat, Stephen King aborde un sujet qui lui est cher puisqu’il est question (entre autres) du rapport entre un auteur et son œuvre (et plus particulièrement du processus créatif). Drew Larson, modeste écrivain en mal d’inspiration, a subitement une idée qu’il pourrait transformer en roman. Pour lancer son histoire, il quitte femme et enfants pour s’isoler quelques semaines dans le chalet familial. À défaut d’une grande originalité sur le fond, j’ai bien aimé la forme. Sans la moindre hésitation c’est à cette dernière nouvelle qu’ira ma préférence dans le présent recueil.

Un recueil qui ne m’a que moyennement séduit, je tiens toutefois à préciser que mon avis se base en partie sur ce que je sais pouvoir attendre du King novelliste ; pour moi il n’a clairement pas été des plus inspiré sur ce coup. Il n’en reste pas moins que globalement les nouvelles sont de très bonne qualité, nul doute que si elles n’avaient pas été signées Stephen King mon ressenti aurait été nettement plus enthousiaste… ou pas, je n’aurais sans doute pas été tenté par un recueil de nouvelles écrites par un auteur que je ne connais pas. Et puis il faut bien reconnaître que l’on retrouve la griffe du King dans chacun de ces quatre récits.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Sophie Hénaff – Voix D’Extinction

AU MENU DU JOUR

S. Hénaff - Voix d'extinction
Titre : Voix D’Extinction
Auteur : Sophie Hénaff
Éditeur : Albin Michel
Parution : 2021
Origine : France
368 pages

De quoi ça cause ?

2031. La plupart des grandes espèces animales sont en voie d’extinction. Face au péril, Martin, un généticien vétérinaire et prix Nobel, alerte les chefs d’État de la planète réunis en conclave : il faut voter d’urgence un « Traité de protection de la Nature ». Mais les résistances sont fortes et Martin ne fait pas le poids.

C’est alors que Dieu a une idée géniale : envoyer sur Terre des animaux déguisés en humains pour plaider eux-mêmes leur cause et imposer le traité. Le gorille, la truie, le chien et la chatte sauront-ils faire illusion et se montrer aussi bêtes que les hommes ?

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que j’ai adoré la trilogie Poulets Grillés de Sophie Hénaff, j’espère d’ailleurs avoir très vite l’occasion de croiser à nouveau la route d’Anne Capestan et son improbable brigade. En attendant j’étais curieux de découvrir l’auteure dans un autre registre.

Parce que j’ai trouvé le thème et l’approche audacieux.

Ma Chronique

Peut-on rire de tout ? Une question qui revient régulièrement sur le tapis à laquelle chacun est libre de répondre en son âme et conscience. Pour ma part je fais mienne la réponse de Pierre Desproges : « On peut rire de tout. Mais pas avec n’importe qui. »

Sophie Hénaff choisit la carte de l’humour pour aborder un thème qui prêterait pourtant davantage à pleurer qu’à rire, puisqu’il sera question de la sixième extinction (la disparition annoncée de très nombreuses espèces animales du fait de l’homme).

Rien que le titre donne le ton de l’intrigue à venir, un mix improbable entre l’extinction de voix et les espèces en voie d’extinction. Belle trouvaille.

Une intrigue qui va se jouer entre ciel et terre. Non qu’il soit question de voltige aérienne ou autre engins volants plus ou moins identifiés. En plus de personnages terrestres, l’auteure va aussi en piocher quelques-uns dans les hautes sphères bibliques. À commencer par le big boss himself, Dieu… sauf que c’est Déesse (bin oui, Dieu est une femme… ça vous en bouche en coin) et qu’elle est capable de colères à la hauteur de sa divinité (en plus de jurer comme un charretier). Avec une pareille Déesse aux commandes, j’en viendrai presque à avoir envie de me convertir !

Après avoir passé un savon monstre à Noé (le gars du Déluge et de l’Arche), son incapable ministre des espèces animales qui n’a rien vu venir de la menace qui pèse sur ses protégés, elle le somme de réparer ses conneries, s’il échoue elle le fout à la porte du Ciel et l’envoie rôtir en Enfer.

Déesse donnera la parole et une apparence humaine à quatre animaux qui devront plaider leur cause lors du sommet qui se prépare. A Noé de choisir les « élus » et de les former en vue de leur prochaine mission.

Aidé par son pote de pétanque Gabriel (l’Archange à l’origine de l’Immaculée Conception), ils choisiront Kombo – un gorille qui se morfond dans un zoo en rêvant de grands espaces –, TR438 – une truie parquée dans immense ferme reproductrice –, Cléo – une chatte siamoise dont la maîtresse vient de décéder et que les héritiers ne se disputent pas franchement la garde – et Bill – un dalmatien qui son maître vient d’abandonner en l’attachant à un banc dans une station-service –. Reste à préparer les heureux « élus » pour leur mission… et ça c’est pas gagné !

Ces quatre émissaires, pas franchement au courant des us et coutumes de la vie en société chez les humains, ne manqueront pas de solliciter les zygomatiques du lecteur. On passe du sourire au rire, voire parfois au franc éclat de rire tant certaines scènes sont désopilantes.

Du côté des « vrais » humains, les défenseurs de la cause animale ne font pas le poids face aux lobbyistes qui défendent les grands groupes industriels et les profits qu’ils dégagent. Une réalité que Sophie Hénaff pointe du doigt avec un certain cynisme mais aussi beaucoup de justesse.

C’est d’ailleurs l’un des paris réussis de ce roman, l’auteur use de l’humour pour nous faire réfléchir, nous remettre en question… et ça fonctionne bien mieux qu’un long discours pompeux et soporifique.

Point de longueurs ici, les chapitres sont courts (parfois à peine quelques lignes) et contribuent à assurer une lecture fluide. On sourit, on rigole… et le message fait son chemin dans notre esprit.

Rien de pompeux et de soporifique non plus, le bouquin est plein de peps et d’énergie, encore mieux qu’une double dose de Red Bull ou autre boisson énergisante pour se donner la pêche… et certainement moins nocif pour la santé (j’en consomme occasionnellement et je l’assume pleinement).

En refermant le bouquin on a envie de croire que les choses peuvent encore changer… trop tard pour les espèces que l’activité humaine a déjà détruites. Mais peut-être pas encore pour celles qui sont aujourd’hui ou à court et moyen terme menacées d’extinction. Faut pas rêver, on sera les prochains sur la liste si on ne sort pas les doigts du cul.

MON VERDICT