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Titre : Soigne, Maltraite Et Tais-Toi !
Scénario : Ferenc
Dessin : François Sanz
Couleurs : Philippe Marlu
Éditeur : La Boîte À Bulles
Parution : 2023
Origine : France
128 pages
De quoi ça cause ?
Céline Boussié a toujours eu la fibre sociale. Ce qu’elle aime, c’est aider les autres. En 2008, elle intègre l’IME de Moussaron pour prodiguer des soins aux résidents polyhandicapés.
Mais, alors qu’elle pensait avoir décroché le job de rêve, c’est une réalité tout autre que découvre Céline : à Moussaron, les équipements et locaux sont vétustes, le personnel insuffisant et, de fait, les pensionnaires subissent des traitements indignes.
Pendant 5 ans, elle essaiera de composer avec ce peu de moyen. Pendant 5 ans, on lui reprochera de se mêler de ce qui ne la regarde pas. En 2013, pour Céline, lancer l’alerte devient une nécessité.
Les réactions ne se feront pas attendre : sanctions financières, menaces, vandalisme… Elle sera licenciée puis inculpée pour diffamation – comme trois autres employé.es avant elle.
Mais elle ne baissera pas les bras et n’aura de cesse de se battre pour que cesse cette maltraitance institutionnelle et que soit reconnu son statut de lanceuse d’alerte.
Ma Chronique
Je remercie les éditions La Boîte À Bulles et la plateforme Net Galley pour leur confiance.
En lisant cette BD il est capital de ne jamais perdre de vue qu’il ne s’agit malheureusement pas d’une fiction, c’est la triste réalité que Céline Boussié découvrira en entrant à l’IME de Moussaron.
Le bouquin s’ouvre sur une préface de Nicolas Bourgouin, journaliste d’investigation qui a rencontré Céline Boussié dans le cadre d’un documentaire sur la maltraitance des enfants handicapés (Zone Interdite du 19 janvier 2014 sur M6).
Son témoignage est un uppercut. Celui qu’on ne s’attend plus à recevoir quand on pratique le journalisme d’investigation. Le genre d’histoire qui d’emblée vous investit d’une mission. Celle qui consiste à porter à la connaissance du plus grand nombre les saloperies que certains aimeraient garder pour eux. Et croiser des salopards de cette envergure, je vous jure, c’est rare dans une carrière. Avec une affaire comme celle-ci, je me suis dit qu’il ne fallait pas se planter. Pas décevoir, non plus.
Septembre 2017. Procès de Céline Boussié, poursuivie pour diffamation. Son avocat demande et obtient la diffusion du reportage de Nicolas Bourgouin pour Zone Interdite. Le ton est donné, d’entrée on se prend une méga-claque dans la gueule. On est sonné. Comment de telles pratiques sont-elles encore possibles de nos jours ?
Le plus abject demeure sans doute la réaction faussement indignée de l’avocat de l’IME (Institut Médico-Educatif) : « Madame la présidente, je ne vois pas en quoi il faut être choqué. Il s’agit de pratiques courantes… Les personnes handicapées sont partout traitées de la même manière… »
Flash-back. Les auteurs donnent la parole à Céline Boussié afin qu’elle livre son témoignage sur son expérience avec l’IME Moussaron et ses conséquences.
2008. Céline décroche le job de ses rêves dans un cadre idyllique. Elle vient en effet d’être embauchée comme aide médico-psychologique par l’IME Moussaron. L’idéal pour cette mère de famille qui a toujours eu une fibre sociale très développée.
Rapidement Céline va se rendre que l’image d’Épinal n’est qu’une façade. Malgré une situation financière apparemment confortable, les conditions d’accueil et de prise en charge des patients sont précaires et inadaptées, le manque de personnel et flagrant. Elle va aussi relever des actes de négligence et de maltraitance de la part de certains soignants.
Je vous laisse découvrir la suite qui est tout aussi hallucinante… Et après des affaires pareilles, on nous demande de faire confiance à la justice. C’est pas gagné messieurs et mesdames les dirigeants (anciens, présents… et futurs).
Pour les plus curieux, il vous suffira de taper IME Moussaron dans la barre de recherche de votre navigateur et vous aurez le détail des suites judiciaires et administratives de l’affaire… et il n’y a vraiment pas de quoi être fier.
Il n’en reste pas moins que l’on ne peut que s’incliner devant la ténacité de Céline Boussié, malgré les épreuves et les coups bas de l’IME, elle n’a jamais baissé les bras pour que la vérité éclate enfin.
Le trait est précis et sobre (il faut dire que la thématique ne se prête pas vraiment aux folies graphiques), de même la mise en couleur colle parfaitement au récit, avec des teintes sépia pour tout ce qui concerne des faits passés.
À la fin du bouquin, un parallèle est fait entre la situation à l’IME Moussaron et le scandale autour des EHPAD du groupe ORPEA (scandale dénoncé par Victor Castanet dans son livre Les Fossoyeurs). L’occasion pour Céline Boussié de souligner le fait que la cause de la perte d’autonomie semble susciter plus d’émoi que celle du handicap. Je ne m’aventurerai sur ce terrain, pour moi perte d’autonomie et handicap, même dignité, même respect, même combat !
Une lecture qui serait presque d’utilité publique, qu’il s’agisse de prendre connaissance de faits méconnus (ce qui est précisément mon cas), d’éveiller les consciences, de ne jamais oublier que cela a existé (et existe peut-être encore), et enfin espérer justement que cela ne se reproduise jamais.
Pour ceux et celles qui voudraient creuser davantage la question, Céline Boussié a publié un livre, Les Enfants Du Silence (HarperCollins, 2019), dans lequel elle livre un témoignage sans doute plus fourni que dans la présente BD.
MON VERDICT