[BOUQUINS] Olivier Norek & Fred Pontarolo – Impact

Nous avons vécu en harmonie avec la nature.
Puis nous l’avons domestiquée, pour ensuite l’exploiter et enfin l’épuiser.
Nous détruisons notre planète, une blessure après l’autre.
Aujourd’hui, nous allons subir sa colère.

En 2020, la parution du roman Impact d’Olivier Norek avait laissé peu de lecteurs indifférents. Qu’on l’ait adoré ou rejeté, le livre faisait partie de ces textes qui marquent durablement les esprits, tant par son propos que par sa force émotionnelle.

C’est donc avec une curiosité teintée d’appréhension que j’ai abordé son adaptation en roman graphique. Par définition, ce type de transposition implique des coupes franches : certains éléments du background des personnages disparaissent, les passages documentaires sont condensés, et tout repose alors sur la capacité du dessin à faire passer l’émotion et la tension du récit. Pari risqué.

Dès les premières planches, on retrouve le message écologique fort du roman original. Sans être martelé comme dans le texte d’Olivier Norek, il reste percutant : si rien ne change, l’humanité fonce droit dans le mur et entraînera la planète avec elle. Le propos gagne même en clarté, car la mise en images permet de ressentir l’urgence plutôt que de la subir.

Les intermèdes « Dernières nouvelles du monde », moins documentés que dans le roman, n’en sont pas moins efficaces : Fred Pontarolo réussit, par la force de ses dessins, à traduire l’effroi et l’impuissance face à la catastrophe annoncée. Chaque planche devient un coup de poing visuel.

L’un des passages les plus marquants reste la mort de la fille du couple Solal, élément déclencheur du basculement de Virgil. Dans le roman, Norek prenait le temps d’en détailler les circonstances et les conséquences sur le couple. Ici, en une double page, Pontarolo nous jette toute la noirceur de la situation au visage : le médecin qui expose les causes du décès, la stupeur et la douleur des parents… tout est dit sans un mot de trop. La puissance du dessin remplace avantageusement les longues explications.

Le duo formé par Nathan Modis, le flic, et Diane Meyer, la psychocriminologue, fonctionne aussi bien dans la version graphique que dans le roman. Au fil de l’enquête, leur complicité grandit, apportant un contrepoint humain à la radicalité du message écologique.

Quant à Virgil Solal, bien que son espace d’expression soit réduit, il apparaît paradoxalement plus humain — à défaut d’être plus sympathique. Je persiste néanmoins à affirmer que, quelle que soit l’urgence, la fin ne justifie pas les moyens qu’il emploie.

Le plaidoyer de l’avocat de Solal, moment clé du roman, bénéficie ici d’un traitement remarquable : en quelques planches, Pontarolo en extrait la substance et en restitue toute la force, sans lourdeur ni didactisme.

En définitive, cette adaptation reste fidèle à l’esprit du roman d’Olivier Norek tout en proposant une relecture plus fluide, plus rythmée, et visuellement saisissante. Le résultat est bluffant : une œuvre à part entière, capable de toucher aussi bien les lecteurs du roman original que ceux qui le découvrent à travers le dessin.

Contre toute attente, par rapport à mon ressenti sur le roman, je vais bonifier ma note d’un « Coup de poing ». Moins de matraquage et de répétition sur le niveau d’alerte de la situation permettent au message de passer en douceur plutôt que de donner la sensation de vouloir nous l’imposer.

[BOUQUINS] George Orwell, Fido Nesti – 1984

Au Ministère de la Vérité, Winston Smith réécrit l’Histoire. Adapter le passé afin de ne pas contredire le Parti, tout faire pour préserver le règne et les ambitions de Big Brother, voici les missions de cet homme dont la soif de révolte grandit pourtant jour après jour.

Mais sa liberté de penser pourrait lui coûter la vie, car la menace est permanente au cœur de cette tyrannie de la surveillance qui ressemble étrangement à notre société contemporaine…

J’ai lu 1984 il y a de longues années et très franchement je n’en garde pas un souvenir impérissable, flippant certes mais parfois chiant. Peut-être est-ce le fait d’un manque de maturité (j’étais ado, pour vous dire que ça ne date pas d’hier), et / ou d’une traduction un peu datée.

Il faut dire que le roman de George Orwell, sorti en 1950, a longtemps connu une seule traduction française, celle d’Amélie Audiberti. Il faut attendre 2018 pour qu’une nouvelle édition, traduite par Josée Kamoun, donne un nouvel élan au roman. Par la suite, six autres traductions seront proposées au public entre 2019 et 2021.

À la suite de la bascule du roman dans le domaine public (2020 ou 2021 selon les réglementations en vigueur), 1984 connaîtra cinq adaptions en roman graphique :

  • Ed. Grasset, 2020 – Adapté et dessiné par Fido Nesti
  • Ed. Sarbacane, 2021 – Adapté et dessiné par Xavier Coste
  • Ed. Soleil, 2021 – Adapté par Jean-Christophe Derrien et dessiné par Rémi Torregrossa
  • Ed. Michel Lafon, 2021 – Adapté et dessiné par Frédéric Pontarolo
  • Ed. du Rocher, 2021 – Adapté par Sybille Titeux de la Croix et dessiné par Amazing Améziane

J’ai quatre de ces adaptations en numérique alors pourquoi avoir choisi précisément celle de Fido Nesti ? Sans doute le fait que ce soit la première à avoir été publiée a joué dans mon choix, mais c’est surtout le fait que je possède aussi la version papier qui aura été décisive ; du coup je vais profiter de mes congés pour me replonger dans l’œuvre de George Orwell (pour l’anecdote la version française repose sur la traduction de Josée Kamoun).

En refermant ce bouquin je suis sur le cul, cette lecture a été une véritable redécouverte du roman de George Orwell. J’ai pris en pleine gueule toute la noirceur du récit et surtout j’en suis presque arrivé à ressentir physiquement cette sensation oppressante qui se diffuse de la première à la dernière page.

Il faut dire que le dessin de Fido Nesti, bien qu’usant d’une palette de couleurs relativement réduite, est criant de vérité et colle parfaitement à l’intrigue.

Je reconnais volontiers que cette redécouverte n’est sans doute pas le seul fait du roman graphique, j’ai bon espoir d’avoir gagné en maturité avec les années (je n’irai pas jusqu’à dire que, comme le bon vin, je me bonifie au fil des ans). Enfin la touche de modernité apportée par la traduction de Josée Kamoun a très certainement contribué à l’efficacité de l’ensemble.

Bien que paru en 1950, le roman reste malheureusement d’actualité. Fido Nesti étant brésilien et ayant travaillé sur cette adaptation alors que son pays était sous le joug de Bolsanaro, est bien placé pour le savoir.

Je ne suis pas maso, mais je reconnais volontiers que je suis friand de ce genre d’uppercut littéraire.

Ne négligez pas l’appendice consacré aux Principes du Néoparler, selon certains (dont Margaret Atwood, excusez du peu) il peut être considéré comme la véritable conclusion du roman. Ce qui, par son style narratif, apporterait une lueur d’espoir dans cette dystopie plus obscure que le trou du cul de Dark Vador !

Peut-être vous demanderez-vous pourquoi avoir attendu aussi longtemps (j’ai acheté le bouquin à sa sortie) avant de le lire. Contre toute attente c’est la lecture de La Librairie Des Livres Interdits de Marc Levy qui aura été le déclic. 1984 figurant justement parmi ces livres interdits.

[BOUQUINS] Emil Ferris – Moi, Ce Que J’Aime C’est Les Monstres – Livre Premier

Chicago, fin des années 1960. Karen Reyes, dix ans, adore les fantômes, les vampires et autres morts-vivants. Elle s’imagine même être un loup-garou : plus facile, ici, d’être un monstre que d’être une femme.

Le jour de la Saint-Valentin, sa voisine, la belle Anka Silverberg, se suicide d’une balle en plein cœur. Mais Karen n’y croit pas et décide d’élucider ce mystère. Elle va vite découvrir qu’entre le passé d’Anka dans l’Allemagne nazie, son propre quartier prêt à s’embraser et les secrets tapis dans l’ombre de son quotidien.

Les monstres, bons ou mauvais, sont des êtres comme les autres, ambigus, torturés et fascinants.

Attention OLNI (objet littéraire non identifié) en approche. Attention chef d’œuvre.

Ça fait déjà quelques années que ce roman fait partie de ma bédéthèque, j’attendais simplement la sortie du second tome pour pouvoir enchaîner sans attendre (il aura quand même fallu patienter sept ans pour découvrir le diptyque dans son intégralité).

Pour un premier essai Emil Ferris a placé la barre haut, très haut même ! Il lui a fallu six ans de travail pour venir à bout de son roman graphique, un pavé de plus de 800 pages. La genèse du bouquin, expliquée sur le rabat de la quatrième de couverture, est aussi extraordinaire que le bouquin lui-même. Je n’en dirai pas plus, les plus curieux – et accessoirement les plus fainéants – peuvent toutefois aller sur la page Wikipédia de l’auteure pour en apprendre davantage.

Avant de découvrir le fond, c’est d’abord la forme qui frappe le lecteur. Ça envoie du lourd (au sens propre, comme au figuré). Emil Ferris opte en effet pour un dessin presque exclusivement réalisé au stylo-bille (un choix d’autant plus audacieux qu’il laisse peu de marge pour les corrections… un loupé et c’est toute la planche qu’il faut redessiner) et donne vie à ses illustrations à grand renfort de hachures. D’autre part l’auteure revendique sa volonté de casser les codes de la bande dessinée traditionnelle, optant pour une mise en page qui peut, de prime abord, paraître chaotique, avant de s’avérer parfaitement réfléchie.

Au fil des pages nous suivrons Karen Reyes, une jeune fille pas forcément très bien dans sa peau qui cache son mal-être sous un déguisement de loup-garou. Le bouquin se présente comme un mix entre journal intime et carnet de croquis, Karen nous raconte pêlemêle son quotidien auprès de sa mère et de son frère Deeze, son « enquête » sur la mort de la voisine, Anka Silverberg, qui va la plonger au cœur de l’Allemagne nazie et ses réflexions sur la société américaine. Là encore ça peut paraître un peu fourre-tout, mais à aucun moment le lecteur ne se sentira perdu.

Difficile de ne pas ressentir d’empathie pour le personnage de Karen, son histoire est plaidoyer pour le droit à la différence, ou plus exactement pour le droit d’être soi-même, sans avoir à se soucier de ce qu’en penseront les autres. J’ai aussi eu un faible pour le frangin, Deeze, un curieux mélange de bad boy et de Dom Juan.

Au fil des pages on trouvera de nombreuses références à l’art, avec notamment des reproductions de l’auteure de toiles existantes. J’avoue que je n’ai pu résister à l’envie de comparer les œuvres originales avec les reproductions de l’auteure et son style graphique très particulier, force est de constater que le résultat est bluffant.

Dès sa publication le bouquin a connu un énorme succès public et critique mais il a aussi été salué par de grands noms de la bande dessinée contemporaine (notamment part Art Spiegelman, l’auteur du roman graphique Maus). Il s’est aussi imposé dans de nombreux festivals dédiés à la BD, raflant plusieurs prix, dont Eisner en 2018 (meilleur album, meilleur auteur et meilleure colorisation) et le Fauve d’or (distinction qui récompense le meilleur album) au festival d’Angoulême 2019.

Un grand merci aux éditions Monsieur Toussaint Louverture qui nous livre une véritable œuvre d’art, grâce à leur travail, le contenant est à la hauteur du contenu.

Je m’en vais de ce pas (ou presque) me lancer dans la lecture du second opus.

[BOUQUINS] Jodorowsky & Giménez – La Caste Des Métabarons – Tomes 5 à 8

Depuis des siècles, les Castaka exploitent seuls la planète Marmola, grâce au secret de l’épyphite, une huile antigravitationnelle qui leur permet de manipuler le marbre comme s’il ne pesait rien. Lorsque l’existence de l’épyphite est dévoilée à la galaxie, c’en est fini de la tranquillité de la famille, et l’histoire des méta-barons va commencer, dans le sang, la mort, et la trahison, quand tous les vautours de la galaxie vont les assiéger pour leur arracher leur secret.

L’année 2024 du blog s’est achevée sous le signe du roman graphique, 2025 s’ouvre de même avec ce second opus de l’intégrale de La Caste Des Méta-Barons. Il devrait en être de même pour ce début janvier, ayant la ferme intention de découvrir le diptyque des Monstres d’Emil Ferris.

Ces quatre tomes constituent la seconde et dernière partie de La Caste Des Méta-Barons, publiés entre 1998 et 2003 ils vous invitent à poursuivre l’histoire des méta-barons en découvrant, tour à tour (et parfois en destins croisés), les destins de Tête d’Acier, Aghora et Sans-Nom, le dernier de la lignée.

Un quotidien fait de violence et de combats, d’une part en raison du processus initiatique des méta-barons qui leur impose d’endurer maintes souffrances afin de prouver leur valeur, avec en guise d’ultime épreuve un duel à mort contre son propre père. Le méta-baron étant par essence un mercenaire, œuvrant principalement au service de l’Empire, il devra aussi affronter les envahisseurs qui menacent Terra 2014. Sans parler de divers complots et trahisons internes qui viendront alimenter un emploi du temps déjà bien chargé.

On retrouve le même univers graphique fortement empreint de biotechnologie qui fait parfois penser au génialissime H.R. Giger (à qui l’on doit notamment le xénomorphe du film Alien ainsi que son vaisseau).

L’histoire des méta-barons nous est toujours contée par Lothar et Tonto, les deux robots qui attendent le retour de leur maître, Sans-Nom. Les deux tas de ferrailles sont toujours aussi prompts à se chamailler à grand renfort de noms d’oiseaux robotiques.

Le huitième et dernier tome marque clairement la fin d’un cycle… et pour moi la fin de mon immersion dans l’univers des méta-barons, je passe mon tour pour la série Méta-Baron qui rebondit sur la conclusion de la présente série.

Les couvertures originales des tomes 5 et 6

Les couvertures originales des tomes 7 et 8

[BOUQUINS] Larcenet – La Route

L’apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d’objets hétéroclites, censés les aider dans leur voyage. Sous la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l’humanité. Survivront-ils à leur périple ?

Le roman de Cormac McCarthy est pour le moins atypique, une adaptation visuelle pouvait sembler un défi impossible à relever. En 2009 John Hillcoat a relevé le défi avec une adaptation sur grand écran portée par Viggo Mortensen dans le rôle du père, même si on ne retrouve pas totalement le côté désespéré du roman, le résultat est plutôt satisfaisant. En 2024 c’est Manu Larcenet qui se frotte au challenge avec cette adaptation en roman graphique.

Je connais Manu Larcenet essentiellement via son travail au sein de l’équipe de Fluide Glacial… Inutile de vous dire que le changement de registre est radical.

Comme le roman la version graphique peut être déconcertante, des dialogues minimalistes, un décor où tout est mort, peu d’action et aucun texte de narration. Comme l’explique fort justement Larcenet, ce sont ses dessins qui ont remplacé le texte de McCarthy.

Et force est de constater que l’effet est d’une redoutable efficacité, chaque planche est un régal pour les yeux. On scrute chaque case afin d’y déceler le moindre détail, sans difficulté l’histoire s’écrit petit à petit. Le pari était osé mais ça fonctionne à la perfection.

On retrouve toute la noirceur et le désespoir du roman, la seule éclaircie vient de la relation entre ce père et son fils. Leur longue marche vers le sud, vers un avenir plus incertain que jamais où chaque pas peut les exposer à une mauvaise rencontre.

Seuls une poignée d’humains a survécu à l’apocalypse, la cendre a achevé de détruire toute forme de vie qui aurait échappé au cataclysme. Parmi les survivants certains ne reculeront devant rien pour assurer leur survie, des hordes traquent en effet les rescapés pour s’en nourrir.

Au départ Larcenet avait opté pour le noir et blanc mais selon lui ça donnait trop de noirceur au récit, il a donc préféré jouer sur les nuances de gris, parfois avec quelques touches colorées judicieusement choisies. Pour les curieux la version noir et blanc est aussi proposée à la vente avec une couverture différente (une vue de profil du visage du père).

Le roman de McCarthy m’avait fait l’effet d’une magistrale claque dans la tronche, cette adaptation de Larcenet est un uppercut qui m’a laissé KO debout. C’est un pur chef d’œuvre, je n’irai pas jusqu’à dire que l’auteur arrive à transformer l’horreur en beauté, mais il lui confère une esthétique incontestable.

Chose rare chez moi, après avoir refermé le bouquin je suis revenu sur certaines planches afin d’y déceler des détails qui auraient pu échapper à une première lecture.

[BOUQUINS] Venayre & Micol – Les Crieurs Du Crime

Paris, février 1907. Une fillette a disparu du côté de Ba-Ta-Clan. La police est sur le coup et, en cet âge d’or de la presse française, les reporters aussi.

Quand on retrouve le corps, l’émotion est à son comble. L’assassin a avoué. Il s’appelle Soleilland.

De nombreuses voix s’élèvent pour réclamer son exécution. Mais le gouvernement prépare justement un projet d’abolition de la peine de mort.

« L’affaire Soleilland » qui sert de base à ce roman graphique est malheureusement bien réelle (cf. la page Wikipédia consacrée à A. Soleilland), sachez d’entrée de jeu que si vous cherchez les sensations fortes d’une enquête de police ou d’une enquête journalistique vous pouvez passer votre chemin.

Les auteurs se servent de ce fait-divers et de leur héros, un petit reporter – fait-diversier – qui se rêve romancier, pour retracer l’évolution de la presse écrite entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Avec notamment la mise en avant des faits-divers comme argument de vente… et plus il y a de détails sordides, plus c’est racoleur et plus ça se vend bien.

Au cours de cette période la presse écrite française va « s’américaniser », avec l’apparition des interviews dans les articles et la course au scoop.

La presse jouait déjà sur le sentiment d’insécurité autour des gangs d’apaches qui sévissaient à Paris, cette affaire va amplifier la tendance. L’indignation et l’émoi suscités par cette sordide affaire entraîneront même des répercussions sur les débats politiques de l’époque : le président de la République, Armand Fallières, avocat de profession et abolitionniste convaincu, espérait faire abolir la peine de mort ; son projet de loi sera finalement rejeté par la Chambre des Députés.

D’autres thèmes sociétaux seront abordés au fil des échanges entre les personnages, il sera notamment question de la place de la femme dans le monde professionnel, l’évolution des textes de loi avec la reconnaissance de l’infanticide, évolution aussi des forces de police. Le truc qui m’a le plus surpris a été de découvrir que la morgue était alors ouverte au public, sa visite était même conseillée par les guides touristiques, c’est en mars 1907 que son accès sera restreint.

Les dessins à la gouache nous plongent au cœur de Paris au début du XXe siècle, chaque journée s’ouvre d’ailleurs sur une double page représentant une scène de vie ou des bâtiments parisiens (dont le Ba-Ta-Clan qui deviendra plus tard le Bataclan).

A la fin du récit trois pages de notes viennent éclairer les plus curieux sur divers points évoqués par les personnages.

Je referme ce bouquin plutôt satisfait par cette découverte, sans être trop didactiques, les auteurs nous apprennent une foule de détails qui viennent enrichir notre culture générale.

[BOUQUINS] Steve Cuzor – Le Combat D’Henry Fleming

Henry Fleming, un jeune fermier de 18 ans, a quitté sa mère pour s’engager dans l’armée nordiste. Mais au fur et à mesure que le temps passe sans qu’il ne combatte ni n’aperçoive un seul rebelle sudiste, la motivation d’Henry s’effiloche. Jusqu’au jour où arrive la nouvelle que la bataille est pour bientôt… Cette fois, Henry n’a d’autre choix que de se poser clairement la question : aura-t-il le courage de participer à la grande boucherie des marées humaines se percutant ? Il trouvera la réponse au cœur des détonations de la bataille, mais aussi du dialogue mené avec lui-même dans l’intimité de son âme tourmentée…

Je remercie les éditions Dupuis et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

Le présent roman graphique est une adaptation du roman de Stephen Crane, L’Insigne Rouge Du Courage, publié en 1895. Une œuvre considérée comme majeure dans la littérature américaine. Elle connaîtra plusieurs traductions en français entre 1911 (Mercure de France) et 2019 (Gallmeister). Elle fera aussi l’objet d’une adaptation au cinéma sous le titre La Charge Victorieuse de John Huston (1951).

Henry Fleming s’engage dans l’armée nordiste alors qu’il vient d’avoir 18 ans. Un jeune homme insouciant qui veut défendre les valeurs de son pays et rêve de gloire, une recrue parmi tant d’autres… Mais la réalité est tout autre, son régiment ne s’engage sur aucune bataille, l’ennui et la désillusion le gagne peu à peu. Jusqu’à ce jour du printemps 1863 où les troupes sont enfin appelées à aller se frotter aux rebelles sudistes.

Bien que rien n’indique clairement de quelle campagne il s’agit, les dates d’engagement et le fait que le régiment d’Henry Fleming soit situé sur les rives de la rivière Rappahannock font pencher la balance vers la bataille de Chancellorsville qui se déroula du 1er au 6 mai 1863.

Le roman se concentre sur le personnage d’Henry Fleming, sur le champ de bataille le jeune soldat découvre une réalité bien loin des idéaux qu’il avait imaginés. Entre manœuvres inutiles, voire dangereuses, incompétence de l’état-major qui n’hésite pas à sacrifier les troupes et dureté des combats, il sera sans cesse tiraillé entre résignation, désillusion, lâcheté et courage.

Si les scènes de combat sont bel et bien présente au fil des pages, l’auteur priorise l’impact de la guerre sur la psyché de l’humain. Son personnage n’a rien d’un héros invincible, c’est une jeune recrue lambda qui va se retrouver confrontée à une situation qui dépasse l’entendement… et forcément face à l’horreur et à l’incompréhension ça cogite dur dans sa tête.

Au niveau du graphisme Steve Cuzor opte pour des planches en bichromie noircies à l’encre de chine et joue énormément avec les ombres. Contre toute attente (je craignais des planches trop sombres), le rendu est des plus convaincants, que ce soit dans les décors ou les expressions des personnages, le résultat est criant de vérité.

Le roman se décompose en dix actes qui ne correspondent pas forcément à différentes phases de l’intrigue. Peut-être un choix scénaristique visant à souligner l’incohérence de cette guerre fratricide qui restera malgré tout fondatrice des États-Unis tels qu’on les connaît aujourd’hui.

La grande force de ce roman demeure son intemporalité, je suis en effet convaincu qu’aujourd’hui encore, le soldat lambda envoyé au front pour la première fois, qu’il sorte d’une école militaire ou soit engagé volontaire, doit se poser bien des questions au moment où éclatent les hostilités.

Pour la petite histoire l’insigne rouge du courage (red badge of courage en version originale) fait référence à une blessure de guerre.

[BOUQUINS] Bécu & Trifogli – Morpheus

Depuis l’apparition du virus Morpheus, l’humanité est condamnée au sommeil vingt heures par jour. Pour tenter de survivre à ce chaos, les principales capitales ont déclaré leur indépendance dans une Europe au bord de l’implosion.

A Prague, la mercenaire Juliette tente d’offrir une vie décente à sa fille en multipliant les missions périlleuses et en prenant des drogues pour rester éveillée. Sa rencontre avec le professeur Ivanov lui redonne l’espoir d’éradiquer le virus et de sauver sa fille.

Commence alors pour eux une course frénétique à travers le no-man’s land européen, avec plusieurs groupes armés à leurs trousses…

Je remercie Les Humanoïdes Associés et la plateforme Net Galley pour leur confiance.

Yann Bécu s’est inspiré de l’univers imaginé lors de l’écriture de son roman Les Bras De Morphée pour construire le scénario de Morpheus.

Dans ce monde post-apocalyptique le méchant virus n’a pas éradiqué l’humanité mais la condamne à de longues phases de sommeil (20 heures par jour). Les grandes capitales européennes ont déclaré leur indépendance et vivent quasiment en autarcie. Le reste de l’Europe est devenu un vaste no man’s land où la survie s’organise tant bien que mal.

L’histoire commence à Prague, on y rencontre Juliette, une jeune femme qui vit seule avec sa fille, Chloé, et leur bot Teacher. Pour gagner sa vie elle exerce le métier de chasseuse, une espèce de mercenaire officielle. Elle vient justement se voir confier une mission consistant à déjouer les plans de Trolls (des terroristes opposés au pouvoir et à la science).

C’est au cours de cette mission qu’elle va sauver la vie du Pr Yuri Ivanov, un scientifique qui travaille depuis des années sur la recherche d’un remède à Morpheus. Recherches qui étaient quasiment abouties avant l’attaque des Trolls et la destruction de ses échantillons d’ADN archas (des humains naturellement immunisés contre le virus). Juliette y voit l’opportunité de soigner sa fille, mais cela implique de se rendre à Berlin alors qu’il est formellement interdit de quitter sa cité d’origine.

L’intrigue est originale en sortant du cadre post-apocalyptique habituel, les personnages sont bien travaillés (pas toujours évident de restituer des traits de personnalité via le format graphique).

Si je devais y trouver un bémol, je pourrais, en pinaillant, reprocher à l’intrigue une certaine linéarité. Les jours se suivent et se ressemblent avec leur lot de mauvaises rencontres tandis que la relation entre Juliette et Yuri évolue.

Le découpage irrégulier des différentes planches donne toutefois une réelle dynamique à l’intrigue. Ajoutez à cela le dessin très fin et soigné de Francesco Trifogli (aussi bien dans le traitement des décors que des personnages), associé à une mise en couleurs irréprochable d’Axel Gonzalbo et vous aurez une petite pépite, visuellement parlant.

Belle trouvaille aussi qu’est le traitement réservé aux bots, avec le temps (et les conséquences du virus), ils ont acquis une part d’humanité qui est parfaitement dosée pour interagir avec leurs interlocuteurs humains et entre eux.

Au niveau des surprises un peu moins agréables mais qui ouvrent toutefois de belles perspectives, ce roman graphique semble être le premier opus d’une série à venir. Dommage que rien ne l’indique sur la couv’ ou la page de titre, le lecteur le découvre en butant sur une fin des plus abruptes. Yapuka attendre la suite…

[BOUQUINS] Guillaume Musso & Miles Hyman – La Vie Secrète Des Écrivains

Après avoir publié trois romans devenus cultes, le célèbre écrivain Nathan Fawles annonce qu’il arrête d’écrire et se retire à Beaumont, une île sauvage et sublime au large des côtes de la Méditerranée.

Vingt ans après, alors que ses romans continuent de captiver les lecteurs, Mathilde Monney, une jeune journaliste, débarque sur l’île, bien décidée à percer son secret. Commence entre eux un dangereux face-à-face, où se heurtent vérités et mensonges, où se frôlent l’amour et la peur…

Je n’ai pas pour habitude de relire un bouquin déjà lu, d’une part parce que je n’en vois pas forcément l’intérêt, d’autre part parce que mon Stock à lire Numérique ne cesse d’enfler plus vite que je ne lis.

Bien qu’ayant déjà lu La Vie Secrète Des Écrivains (lien vers ma chronique), j’étais curieux de découvrir ce que pouvait donner son adaptation graphique. Raconter la même histoire sur moins de 200 pages (le roman compte tout de même 352 pages) sans la dénaturer me semblait être un sacré challenge.

Autre challenge, plus personnel cette fois : comment écrire la chronique d’un roman déjà chroniqué sans radoter ? En relisant mon billet concernant le roman de Guillaume Musso j’ai constaté que j’avais fait l’impasse sur le personnage de Mathilde, me concentrant sur le binôme Nathan / Raphaël. Du coup la réponse s’est imposée d’elle-même, non seulement rendre à Mathilde la place qui lui appartient, mais aussi me centrer davantage sur l’aspect policier du bouquin.

Force est de reconnaître une première impression des plus positives, d’emblée j’ai retrouvé l’ambiance du roman, avec en bonus un visuel du plus bel effet.

Nathan Fawles était un écrivain à succès qui a mis fin à sa carrière du jour au lendemain il y a une vingtaine d’années. Depuis il s’est retiré sur l’île de Beaumont où il coule des jours heureux. Mais ça, c’était avant…

Coup sur coup il va recevoir la visite de Raphaël Bataille, un écrivain en herbe qui veut à tout prix lui soumettre son manuscrit et de Mathilde Monney, une jeune et séduisante journaliste suisse sans pas si innocente qu’elle ne le laisse à penser. Pour essayer de percer les secrets de Mathilde, Nathan va devoir, à son grand désarroi, faire appel à Raphaël.

Cerise sur le gâteau, v’là t’y pas qu’un cadavre est retrouvé, le corps exposé dans une mise en scène macabre. Du coup les autorités décrètent un blocus de l’île.

Dans le roman chaque chapitre s’ouvre sur une citation d’un auteur (Umberto Eco, Margaret Atwood, Agatha Christie, Milan Kundera…), le principe est repris et magnifié ici puisque ladite citation est enrichie d’une illustration mettant en avant son auteur.

On retrouve bien les ingrédients du thriller psychologique dans le face-à-face entre Mathilde et Nathan. Il a beau soupçonner que cette femme peut être dangereuse, voire lui être fatale, il va entrer dans son jeu de séduction sans toutefois baisser totalement sa garde.

Chacun cherche la vérité, mais laquelle ? Comme le dit Nathan : « La vérité n’existe pas. Ou plutôt si, elle existe, mais elle est toujours en mouvement, toujours vivante, toujours changeante. » Une affirmation qui va prendre tout son sens dans la dernière partie du roman.

Le lecteur va quant à lui se balader au cœur d’une intrigue riche en rebondissements, certes si vous avez déjà lu le roman vous n’apprendrez rien de nouveau, mais cela ne m’a pas dérangé outre mesure. À vrai dire je n’ai pas eu l’impression d’une relecture, mais plus de la lecture d’une réécriture, à la fois fidèle à l’original tout en proposant une construction différente.

Le trait et le choix des couleurs de Miles Hyman collent parfaitement au récit. On en viendrait presque à regretter que cette île de Beaumont soit fictive, les illustrations nous donnent vraiment envie d’y passer des vacances… et plus si affinités.

Résultat des courses, j’ai dévoré cette lecture d’une traite. Revenant même parfois en arrière pour le seul plaisir de profiter pleinement des illustrations. Une belle (re)découverte qui pourrait bien me pousser vers d’autres adaptations graphiques de romans déjà lus.

[BOUQUINS] Kami Garcia – Joker / Harley – Criminal Sanity

AU MENU DU JOUR


Titre : Joker / Harley – Criminal Sanity
Scénario : Kami Garcia
Dessins : Mico Suayan, Jason Badower, Mike Mayhew, David Mack et Cat Staggs
Consultant : Dr Edward Kurtz
Éditeur : DC Comics / Urban Comics
Parution : 2021
Origine : États-Unis (2019)
312 pages

De quoi ça cause ?

Profiler de renom, Harleen Quinzel est embauchée par le GCPD pour enquêter sur une vague de crimes particulièrement sordides. Mais elle est elle-même hantée par une affaire passée lorsque sa colocataire a été sauvagement assassinée par le tueur en série surnommé le Joker.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Dans l’univers des super-héros je suis nettement plus attiré par ceux de l’écurie Marvel que par ceux de DC. Batman, et plus globalement le batverse dans son ensemble, est l’exception qui confirme la règle.

Le Joker est un incontournable de cet univers, j’étais donc curieux de découvrir une réécriture totalement nouvelle de sa relation avec Harley Quinn.

Ma Chronique

Initialement ce roman graphique a été diffusé sous forme d’un feuilleton de 8 épisodes plus un hors-série (Secret Files), Urban Comics permet aux lecteurs francophones de découvrir l’intégrale de cette histoire en un volume unique.

Kami Garcia, à qui l’on doit le scénario du présent roman graphique, est plutôt habituée à la littérature young adult (elle est notamment l’auteure de la série Sublimes Créatures), c’est d’ailleurs dans ce registre qu’elle s’est fait connaître chez DC Comics avec ses collaborations aux séries Teen Titans et Raven.

Pour cette réécriture de la relation entre Joker & Harley Quinn, Kami Garcia change complétement de registre, de son propre aveu elle a imaginé cette intrigue comme un thriller psychologique sur fond très très noir. Histoire de ne rien laisser au hasard, elle s’est adjoint les services d’un véritable psycho-criminologue, le Dr Edward Kurtz.

Pour les dessins ce sont pas moins de cinq dessinateurs qui ont rejoint le projet. Mico Suayan a assuré toute la partie en noir et blanc qui se concentre sur l’intrigue actuelle. Les planches en couleurs, que l’on doit à Mike Mayhew et à Jason Badower, permettent d’identifier les flashbacks. Les deux autres dessinateurs, David Mack et Cat Staggs n’interviendront que sur la chapitre Secret Files.

Dès les premières pages on est bluffé par la qualité photo-réaliste du dessin. Certaines planches sont mêmes de véritables merveilles qui nous en mettent plein les mirettes. Par contre ce même aspect photo réaliste rend la scène de crime visuellement très explicite.

Les puristes de l’univers DC seront sans doute un peu surpris de découvrir un Joker sans une once de folie et une Harley Quinn totalement mature et au moins aussi futée que son rival. Outre le jeu du chat et de la souris que se livreront les deux protagonistes, c’est aussi un véritable duel psychologique qui va les opposer.

Point de romance à l’horizon non plus, ici Harley voue une haine viscérale au Joker et ne souhaite rien plus ardemment que la mort de son ennemi.

Batman est à peine mentionné, on sait juste qu’il semble avoir déserté Gotham City depuis quelques temps sans en connaître les raisons. Il apparait sur une vignette lors de l’accident qui coûtera la vie à la mère de John Kelly.

Les flashbacks permettent de réaliser que Joker et Harley, s’ils ont des parcours de vie radicalement différents, partagent une enfance difficile. Lui subit la violence d’un père abusif et alcoolique depuis le décès de sa femme. Elle doit affronter une mère tyrannique et non aimante. Chacun coupera les ponts avec le passé à sa façon.

Si Harley occupe le devant de la scène au niveau de l’enquête, elle n’en reste pas moins placée sous la responsabilité du commissaire Gordon en tant que consultante externe du GCPD (Gotham City Police Department). Un autre personnage indissociable du batverse, même si présentement il est plutôt placé au second plan.

Peut-être que les puristes convulseront face à cette revisite audacieuse de deux personnages phares du batverse, pour ma part j’ai totalement adhéré au côté thriller psychologique parfaitement maîtrisé. Que ce soit par son intrigue ou par ses dessins, ce volume est à déconseiller aux âmes les plus sensibles.

Quid d’une éventuelle suite ? La fin reste ouverte sur deux options, un retour vers la trame classique ou une poursuite dans la direction soulevée par Harley dans la dernière vignette. Ni l’une ni l’autre ne semble malheureusement dans les tuyaux de DC.

MON VERDICT

Coup double