Flamant Noir ayant placé la barre très haut avec Menace de Muriel Houri, il fallait que je découvre un autre titre de l’éditeur, au pifomètre j’ai jeté mon dévolu sur L’Amour Viendra, Petite ! de Jérôme Fansten.
J. est un privé au rabais, fauché et surtout un queutard perpétuel. Les femmes c’est son pêché mignon… et aussi sa plus grosse source d’emmerdes ! En attendant il a besoin de bosser s’il ne veut pas se retrouver à la rue…
Le moins que l’on puisse dire c’est que les premières pages sont pour le moins déconcertantes, à se demander si notre J. a bien toute sa tête. Puis en insistant un peu on se laisse entraîner sans opposer la moindre résistance.
Ce bouquin est un vibrant et brillant hommage (un tantinet décalé aussi) au roman noir, de ses origines hard-boiled, période durant laquelle de futurs grand auteurs du genre publient leurs textes dans des magazines bon marché (les fameux pulp magazines), jusqu’à des auteurs plus contemporains.
Difficile de dissocier le roman noir du jazz dans l’inconscient collectif, outre les références littéraires (romans et comics), l’auteur ne lésine pas aussi sur les références musicales. Une bande son jazzy à faire baver le fan du genre… et à faire craquer le profane le plus hermétique (qui peut rester de marbre en écoutant John Coltrane ou Miles Davis ?) !
Pour son hommage Jérôme Fansten a choisit la nouvelle, cinq récits (six si l’on inclut l’interlude en forme de livre dont vous êtes le héros) qui s’articulent autour du personnage de J. Son détective est un peu cliché, le contre pied total d’un Philip Marlowe, son crédo à lui c’est plutôt la loose absolue. L’occasion pour l’auteur de titiller parfois (souvent) les cordes de la parodie et de l’absurde.
La plume de l’auteur colle parfaitement au récit, brute de décoffrage, crue, noire, avec une pointe de vitriol… Un langage imagé et fleuri mais jamais obscène. Même si la ballade que les mots interprètent pour nous n’a rien d’un long fleuve tranquille (surtout pour J.), on se laisse bercer, guider et même bousculer par Jérôme Fansten. Une fois que l’on a succombé au charme de son écriture on est prêt à suivre l’auteur n’importe où… et on va être servi ! Vous ne pourrez pas dire que vous n’en avez pas eu pour votre argent !!!
Pour que vous aimiez l’humour noir et le second degré, alors cédez à la tentation et rejoignez J. dans ses errances ; à défaut de rire aux éclats je vous promets que vous afficherez rapidement un étrange sourire béat qui ne vous quittera plus avant le clap de fin.
Non seulement je me retrouve avec un auteur de plus à suivre de près mais il faut aussi que je garde un oeil attentif sur Flamant Noir, deux titres, deux coups de coeur : cet éditeur est dangereux !
Juste une remarque concernant l’interlude qui, comme je l’ai dit plus haut, se présente à la façon d’un livre dont vous êtes le héros (ces bouquins qui, à la fin de chaque chapitre vous propose de filer à tel ou tel autre chapitre selon votre choix). La version numérique pourrait proposer un lien direct vers le chapitre concerné. Je l’ai fait via Sigil, c’est tout de suite plus interactif.
Étiquette : Roman noir
[BOUQUINS] Eric Maravélias – La Faux Soyeuse
Le noir me colle à la peau en ce moment, ne dérogeons pas à nos bonnes habitudes et continuons sur la lancée avec La Faux Soyeuse, un premier roman pour le moins percutant signé Eric Maravélias.
Franck est un toxico en fin de course, il crèche dans un taudis merdique de la banlieue parisienne et ne survit que pour ses fix, rongé par le SIDA et la dope. Entre deux shoots, il se souvient comment il en est arrivé là…
En lisant ce bouquin je n’ai pu m’empêcher de penser à Trainspotting, le film de Danny Boyle (n’ayant pas encore lu le bouquin d’Irvine Welsh dont il est l’adaptation), tous deux nous offrent un portrait sans concession de la toxicomanie vue, vécue et subie par les toxicos. Un livre à offrir à quiconque vous dirait que goûter à cette poudreuse le tenterait bien, « juste pour essayer« …
Une fois de plus on retrouve un auteur sait de quoi il parle pour avoir tâté ce milieu (« Franck n’est pas moi et je ne suis pas lui. Mais ce qu’il a vécu, je l’ai vécu, moi aussi. En grande partie.« ) et pour en parler il ne prend pas de gants, il vous balance tout à la gueule franco. Et ça marche ! On a le droit à un récit dur et noir (saupoudré de poudre blanche ou parfois marron) criant de vérité, mais aussi, quelque part, sous la surface, plein d’humanité (à défaut d’espoir).
Ecrit à la première personne le récit vous plonge dans la peau de Franck, un toxico en sursis (je ne révèle rien en disant ça, on le comprend dès les premières pages). Il a brûlé la chandelle par les deux bouts et maintenant il attend l’inévitable retour de manivelle tout en s’accrochant à ce qu’il reste de sa vie.
L’auteur nous invite donc à suivre le parcours chaotique qui a conduit Franck là où il est aujourd’hui (en 1999 pour être exact). Du minot de banlieue qui se la joue rebelle aux coups plus ambitieux, parfois juteux, souvent foireux. Puis c’est l’arrivée (et la banalisation) de l’héroïne au début des années 80 avec ses promesses de bonheur artificiel et toutes les combines pour se procurer un nouveau fix… encore et encore… se shooter toujours plus et dégringoler toujours plus bas.
Oui les mots sont durs et crus, mais il sont vrais. De cette réalité que tout le monde connait mais que personne (ou presque) n’a vraiment envie de voir ; une réalité tristement ordinaire qui ne semble pas avoir de solution. Paradoxalement ces mots sont aussi mélodieux à l’oreille, avec un usage brillant de ce bon vieil argot français (et non le baragouin banlieusard de la racaille d’aujourd’hui).
Je ne pense pas manquer d’empathie mais je n’ai ressenti aucune sympathie pour le personnage de Franck, pas de haine non plus, juste de l’indifférence teintée d’une pointe de mépris. Je ne juge pas, personne n’est à l’abri d’un mauvais choix, en l’occurrence d’une succession de mauvais choix (Franck le dit lui même : « mon histoire n’est qu’une suite d’exemples de mon incomparable connerie« ), mais ce n’est pas pour autant que je compatis. Ceci dit ça ne m’a nullement empêché d’apprécier pleinement ce bouquin.
Non en fait je n’ai pas aimé La Faux Soyeuse… J’ai adoré ! Une totale réussite qui vous laisse un arrière goût de bile dans la gorge. Encore un bouquin qui vous broie le coeur et les tripes et vous abandonne KO debout. Game Over ! Merci Monsieur Maravélias, j’ai hâte de retrouver votre plume dans un prochain roman.
Je vais quand même me faire un petit break plus léger, sans aller jusqu’à me ruer sur la collection Harlequin, mais m’évader dans un monde un peu moins noir… Mine de rien c’est éprouvant tout ça.
[BOUQUINS] Shannon Burke – 911
Mais… Mais… Mais… Qu’est-ce qu’il fout là lui ? Il débarque en pleine Coupe du Monde et s’impose d’entrée de jeu ! De quel droit crévindiou ?
C’est pas ma faute c’est encore Sonatine qui m’a pris en traitre. J’errais tranquillement dans mon club de lecture quand soudain je le vis, j’en avais entendu parler et je l’attendais avec impatience. Je n’ai pu, ni voulu, le repousser quand il s’est jeté dans mes bras. Lui ? Mais non je n’ai pas viré ma cuti, bougre d’âne ! Je parle de 911, le roman de Shannon Burke.
Tandis qu’il prépare son concours d’entrée en médecine, Ollie Cross, se fait embaucher comme ambulancier urgentiste à la station 18, au coeur de Harlem. Il va découvrir un monde dont il était loin d’imaginer la rudesse et la noirceur…
911 (nine one one), tout le monde connaît ce numéro que ce soit par le biais de la littérature ou du cinéma. Le numéro unique des urgences aux USA. A ne pas confondre avec le tristement célèbre 9/11 (nine eleven) qui fait référence aux attentats du 11 septembre 2001.
Shannon Burke a été ambulancier à Harlem pendant cinq ans, ce bouquin, croisement de témoignage et de fiction, il le qualifie de catharsis. Une façon comme une autre de se purifier de toute la merde qu’il a vu et enduré durant ces cinq années au 911. Une purge, un exutoire, presque un exorcisme…
Quant à nous, lecteurs innocents et incrédules, on découvre avec Cross la face cachée du 911 et le moins que l’on puisse dire c’est que tout n’est pas rose. Outre les interventions parfois sordides (l’auteur va crescendo dans le glauque), les ambulanciers eux mêmes ne sont pas dépeints comme une sympathique confrérie (ils n’hésitent pas à se tirer dans les pattes, surtout dans les pattes des nouveaux). L’apparente froideur et le cynisme des plus aguerris ne sont parfois (et oui, pas toujours) que des facades (ou des blindages) pour se protéger du quotidien. Sauf que parfois la façade se fissure puis rompt…
Les personnages, essentiellement l’équipe d’ambulanciers, sont finement travaillés, chacun bénéficiant d’une personnalité qui lui est propre. Les vieux de la vieille sont figés dans leurs certitudes et attitudes ; seul Ollie Cross peut encore évoluer (reste à savoir quel exemple il suivra). Les principaux équipiers qu’il croisera sont Rutkovsky, distant mais paternaliste à sa façon avec Ollie, Lafontaine, le cynique désabusé, et Verdis, éternel optimiste un brin idéaliste. D’autres ambulanciers de l’équipe croiseront son chemin, ainsi que des policiers (le flic Pastori est de loin le plus vérolé du bouquin).
De par sa construction le bouquin peut surprendre, aucun chapitrage, juste une succession de situations et d’interventions, mais c’est loin de n’avoir ni queue ni tête. D’une part l’ordre chronologique est respecté, d’autre part cela permet de suivre l’évolution du personnage d’Ollie Cross au contact de ses équipiers et des victimes. Histoire de nous plonger en totale immersion l’auteur prend le parti de nous proposer un récit écrit à la première personne.
Bref du brut de décoffrage, livré sans chichis ni blablas, du noir et encore du noir, teinté de rouge sang, entre violence et désespoir, avec quelques lueurs d’espoir autour de l’esprit d’équipe (fragile) qui anime cette station réputée pour être la plus dure de Manhattan. On peut supposer que l’auteur a volontairement fait dans la surenchère, non dans la description des interventions qu’il expose mais en éliminant celles plus bénignes qui doivent quand même bien exister, même au coeur de Harlem.
Encore une lecture coup de poing qui vous prendra aux tripes et les vrillera jusqu’au point de rupture. C’est dur, c’est cash, parfois dérangeant, souvent troublant… Mais on en redemande. Le genre de bouquin sur lequel on voudrait écrire encore et encore mais où l’on doit réprimer ses ardeurs afin de laisser intact le plaisir de la découverte. Que vous adhériez ou non je suis convaincu que ce bouquin ne vous laissera pas indifférent. Encore une perle rare offerte par Sonatine.
[BOUQUINS] Michaël Mention – Adieu Demain
Un bouquin sur lequel j’ai jeté mon dévolu suite aux chroniques ô combien élogieuses de Gruz et Belette (et oui encore eux !) ; d’un autre côté j’ai la quasi certitude de passer un bon moment avec cet Adieu Demain de Michaël Mention. Alors info ou intox ?
1995-2001, Comté du Yorkshire (Angleterre). Un tueur en série semble s’inspirer des crimes commis par l’Eventreur du Yorkshire 20 ans plus tôt. Mark Burstyn, superintendant à Scotland Yard, et son assistant, l’inspecteur Clarence Cooper, savent qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur dans cette enquête. Mais le tueur demeure insaisissable…
Si je ne devais retenir qu’une chose de ce bouquin c’est qu’il suffit d’une petite bestiole pleine de pattes et de poils pour faire disjoncter une grande bestiole montée sur deux pattes jusque là sans histoire (ou presque)… Je reconnais volontiers ne pas raffoler des araignées mais pas au point de péter une durite. Non je déconne, dans ce bouquin il y a bien plus qu’une simple question d’arachnophobie. Même si la peur tient une place essentielle dans l’intrigue, et pas seulement chez Peter et sa phobie.
Pour son tueur, l’auteur s’inspire « très librement » du parcours de Stephen Griffiths, un tueur qui sévît dans le Yorkshire entre 2009 et 2010 (3 victimes, le minimum syndical pour devenir tueur en série). La réalité des faits est déjà bien glauque, mais Michäel Mention a pris le parti d’aller encore plus loin.
Bien qu’écrit à la troisième personne le bouquin réussit à nous plonger dans les méandres de l’esprit dérangé (phobique) de Peter, et croyez moi c’est une expérience pour le moins troublante. En fait l’auteur nous balade avec la même efficacité dans les têtes de Mark et de Clarence, certes le séjour est moins dérangeant (quoique… vous le découvrirez par vous même) mais on reste en totale immersion. Et ce n’est pas le seul tour de force de l’auteur, on vit littéralement son récit tant il est criant de vérité ; c’est presque comme s’il nous collait à la peau, visqueux et gluant à souhait (comme une toile d’araignée).
Michael Mention ne nous plonge pas directement dans le feu de l’action, il remonte d’abord à l’enfance puis à l’adolescence de Peter (de jeunes années qui ne furent pas un long fleuve tranquille) ; le personnage prend corps dans notre esprit, la graine est plantée. Et vous pouvez compter sur l’auteur pour la faire germer, lentement mais sûrement, insidieusement même. L’essentiel du bouquin et surtout de l’enquête du Yard se déroule entre mai et septembre 2001.
Entre Peter, Mark et Clarence on a le droit à trois fortes personnalités, trois personnages que l’auteur nous mitonne aux petits oignons, trois individus qui ont un trait de caractère en commun : ils sont tous obsessionnels. Je ne m’étendrai pas d’avantage sur les personnages (beerk… ça va pas non !), en dire plus serait trop en dire.
Non seulement l’auteur nous tient en haleine par son intrigue, parfaitement maîtrisée, parsemée d’indices et de fausses pistes, mais aussi par son écriture et la construction même du roman. Difficile à expliquer mais l’ensemble s’imbrique à la perfection, le bouquin vous prend aux tripes dès les premières pages pour ne plus vous lâcher avant la fin. Etripé, essoré, vidé…
Petit plus, pas indispensable mais bien agréable tout de même, au fil des pages l’auteur nous fait revivre quelques pages du passé, entre actualités internationales, faits divers anglais, sorties (et rétrospectives) musicales et cinématographiques. Pour ne rien gâcher dans ces derniers domaines l’auteur fait preuve d’un bon goût évident.
Adieu Demain est le second opus d’une trilogie anglaise (après Sale Temps Pour Le Pays, roman qui tourne autour de l’Eventreur du Yorkshire) ; d’une part il m’a donné envie de découvrir ce premier opus, et d’autre part j’attends déjà avec impatience le suivant.
Comme vous pouvez le constater je fais dans le roman noir (quoique présentement on a le droit à un mix subtil entre le roman noir, le polar et le thriller psychologique) ces derniers temps, n’allez pas croire que mon humeur est à l’image de mes lectures. Je (re)découvre un genre que je n’ai pas abordé depuis un moment, un genre qui s’est considérablement enrichi… pour notre plus grand plaisir.
[BOUQUINS] Frank Bill – Donnybrook
Même sans ce challenge Coupe du Monde des Livres je comptais bien lire, dans des délais relativement brefs, ce Donnybrook de Frank Bill ; disons que le délai s’est raccourci de quelques jours, voire quelques semaines…
Le Donnybrook c’est le must du combat clandestin, deux fournées 20 combattants, trois jours de castagne. Le dernier debout empoche le pactole de 100 000 dollars. Pour Earl Marine c’est une occasion unique à saisir s’il veut refaire surface et s’offrir un nouveau départ avec sa femme et ses gosses…
Si vous avez lu Chiennes De Vies vous ne serez pas totalement dépaysé, en quelque sorte le roman fait suite à la nouvelle L’Amour Brut, certains des personnages que vous croiserez sur ce Donnybrook ne vous seront pas inconnus. Mais bon cela est plus anecdotique qu’autre chose, le roman peut parfaitement être lu indépendamment de la nouvelle.
Vous l’aurez compris, une fois de plus Frank Bill ne vous invite pas au Pays des Bisounours, retour dans son Indiana du Sud et ses rednecks, retour au pays où la meth est reine ! Et sans surprise vous croiserez, au fil des pages, bon nombre de paumés à la dérive…
Dans mon pitch je ne vous parle que d’Earl, peut être parce que c’est le personnage le plus « noble » de ce Donnybrook ; OK ce n’est pas non plus un saint, pour trouver le fric nécessaire à son inscription au tournoi il n’hésitera à employer des moyens plutôt musclés. Pour couronner quelques mauvaises rencontres viendront compromettre sa participation au tournoi…
Deux autres personnages se partagent la vedette. Angus, une légende du Donnybrook qui s’est reconverti dans le trafic de meth suite à un accident ; et sa frangine, Liz, une junkie un tantinet nympho qui a eu la mauvaise idée de vouloir le doubler.
Tandis que Earl essaye tant bien que mal de se la jouer discret, le frère et la soeur foutent un joyeux bordel tout le long de leur course poursuite. Forcément on se doute que tout ce beau monde va finir par se croiser et que le résultat sera plutôt explosif.
L’auteur nous dresse un portrait au vitriol de ses personnages, sa plume n’a rien perdu de son efficacité en passant de la nouvelle au roman. Et une fois de plus j’ai été sous le charme de cette noirceur qu’il dépeint si bien.
Il en va de même avec son intrigue aux rebondissements multiples, l’auteur ne vous laisse pas une minute pour reprendre votre souffle. N’espérez pas une promenade de santé : ça arnaque, ça cogne, ça flingue, sans foi, ni morale ; seule la survie importe ! Et oui c’est glauque, mais qu’est-ce que c’est bon !!! Le bouquin est relativement court (240 pages) mais ô combien percutant, intense et jouissif.
Honnêtement je pense que même si je n’avais jamais entendu parler de Chiennes De Vies, ce bouquin m’aurait fait de l’oeil (au beurre noir) et un joli sourire (aux lèvres explosées), la couv’ aurait immanquablement éveillé ma curiosité et le pitch aurait fait le reste. Avec Chiennes De Vies l’auteur marquait un essai qui ne demandait qu’à être transformé, avec Donnybrook non seulement il transforme l’essai mais en marque un second transformé d’emblée… Même les All Black au mieux de leur forme ne sauraient faire mieux !
Un individu qui sait apprécier un Turkey 101 (comprendre Wild Turkey 101 proof, un bourbon du Kentucky qui affiche fièrement 50.5% d’alcool) avec une bière (de la Bud en l’occurrence) en écoutant Lynyrd Skynyrd (Call Me The Breeze) ne peut qu’avoir un bon fond… Bin non pas chez Frank Bill ! Irrécupérable la chose en question…
L’éloignement a du bon, au niveau des drogues on est relativement à l’abri, à part l’herbe qui pousse et circule sans vraiment prendre la peine de se cacher. Un peu d’ecstasy occasionnellement et de la coke dans les hautes sphères ; mais ça reste très confiné. Franchement quand j’ai lu le procédé de fabrication de la meth je me suis dis qu’il fallait vraiment être tombé très bas pour se réfugier dans une pareille merde.
[BOUQUINS] Frank Bill – Chiennes De Vies
Je ne connaissais ni l’auteur, ni le bouquin, et pourtant le voilà propulsé dans les sommets de mon Stock à Lire Numérique ; à qui la faute ? Une certaine Belette Cannibale qui sévit en Belgique (elle devrait renommer son blog, l’île de la tentatrice) ! Pfff comme si je n’avais pas assez de bouquins en attente… De quoi que je cause ? Bin c’est écrit dans le titre et en plus y’a l’image juste là (←) ; t’es con ou quoi ? Ca s’appelle Chiennes De Vies et c’est le premier bouquin de Frank Bill.
Sous-titré Chroniques Du Sud De L’Indiana, ce recueil propose 17 nouvelles, des textes courts mais intenses et percutants, écrits au noir de chez noir avec une bonne dose de vitriol. On est bien loin du Guide du Routard, n’espérez pas apprendre à pêcher le poisson-chat ou à chasser le raton-laveur, nope vraiment pas de quoi nous donner envie de faire un détour par l’Indiana… Bienvenue au pays des rednecks !
La mise en bouche, avec trois nouvelles qui tournent autour du Clan des Hill (que l’on retrouvera çà et là au fil des récits), vous mettront de suite dans l’ambiance. Drogue, sexe et hémoglobine à gogo. Le ton est donné et le reste n’apportera pas franchement un rayon de soleil dans les ténèbres de l’âme humaine (parfois une faible lueur d’espoir). Buveurs de lait-fraise passez votre chemin, ici ça carbure au bourbon et à la meth.
Ces 17 nouvelles dressent une galerie de portraits unique en son genre (certains personnages apparaissent dans plusieurs nouvelles). Parfois des types attachants, parfois des salopards de la pire engeance. Des textes malheureusement bel et bien ancrés dans la réalité, la plume de l’auteur, trempée dans le vitriol, est, à ce titre, d’une redoutable efficacité.
Le souci avec les recueils de nouvelles tient parfois à leur qualité souvent inégale, ici aucune fausse note (et pourtant je ne suis généralement pas fan des nouvelles… sauf quand elles sont signées Stephen King). La même noirceur et la justesse habite chacun de ces textes, chacune de ces tranches de vies démolies. Ouais parfois la vie est une chienne, en l’occurrence l’auteur nous sert 17 tranches de vies bien boucanées ; à chaque fois il fait mouche et réussit à nous surprendre.
Frank Bill nous dresse un portrait sans concession (mais heureusement non exhaustif… enfin je l’espère) d’une région qu’il connaît bien, puisque il y vit. Force est de reconnaître qu’il a bien la gueule de l’emploi avec sa barbe fournie et sa chemise de bûcheron (et la carrure qui va avec).
Je m’attendais à du lourd, je n’étais pas été déçu ; il ne me reste plus qu’à me plonger dans Donnybrook, le premier roman de l’auteur (les lecteurs du présent recueil devineront de quoi il retourne) ; mais avant ça on va prendre le temps de souffler un peu, après 17 claques dans la gueule faut un temps de récupération avant de remonter sur le ring. Nan la Belette décidément je ne te remercie pas, deux pour le prix de… deux ! (nan j’déconne, merci pour cette découverte).
[BOUQUINS] Harry Crews – Nu Dans Le Jardin D’Eden
Tiens donc, mais que vient ce titre sorti de nulle part au coeur de mes chroniques ? Je clame mon innocence votre honneur, la coupable est une belette cannibale d’origine belge (si si ça existe). Elle a posté un post tentateur dans son blog et moi, pauvre victime innocente je suis tombé dans le piège de la tentation. Et voilà comment Harry Crews et son roman, Nu Dans Le Jardin D’Eden, se sont retrouvés d’abord entre mes mains puis dans ces modestes colonnes.
Au début des années 60 Garden Hills, la plus grande mine de phosphate du monde, était un Eldorado inespéré pour les habitants de la région mais le rêve a vite fait de se casser la gueule et les investisseurs de retirer leurs billes. Aujourd’hui Garden Hills se sont douze bicoques et une poignée d’habitants qui survivent tant bien que mal. Au sommet de la hiérarchie on trouve Fat Man, l’héritier fortuné qui fait vivoter tout le monde mais il n’y a pas grand chose à attendre de lui. De l’autre côté il y a Dolly, elle rêve de redonner à Garden Hills un nouvel essor grâce au tourisme et au cabaret. Rien ni personne ne pourra la faire renoncer à ses rêves de renouveau…
Vous l’aurez compris ce n’est ni une version érotique de la Bible (l’original l’est suffisamment comme ça), ni une partie de jambes en l’air dans le jardin de la voisine (ou du voisin puisqu’en Belgique il semblerait que le prénom Eden soit mixte. Pour ma part la seule Eden que je connaisse est Eden Capwell de Santa Barbara… Oui je sais c’est du lourd au niveau des références culturelles). Nope rien d’aussi léger ici puisqu’on plonge au coeur de la noirceur et de la misère d’une communauté oubliée de tous ou presque.
En plus de la chronique forte élogieuse de la tentatrice susnommée (non ce n’est pas une dissimulation de fellation) il faut dire que deux autres choses (non que je considère la Belette Cannibale comme une chose) ont contribué à me faire craquer. La première, aussi bête que cela puisse sembler, est l’éditeur : Sonatine, à l’heure d’aujourd’hui je n’ai jamais été déçu par son catalogue. La seconde tient d’avantage à ma curiosité personnelle, pourquoi un bouquin écrit en 1969 ne sort en français qu’en 2013 (l’année suivant la mort de son auteur) ? Et puis bon Harry Crews lui même fait ce qu’il faut pour attiser notre curiosité : « C’est le meilleur roman que j’aie écrit. Au moment où je l’ai terminé, je savais que jamais je ne ferais rien d’aussi bon. »
Paré pour une coloscopie dans le trou du cul du monde ? Le bled en question est aussi déglingué que paumé, noyé sous la poussière et la puanteur du phosphate. Pour ceux qui restent, victimes d’un rêve brisé, il subsiste l’espoir d’un retour à la prospérité, le retour du fils prodigue qui relancera la mine. A se demander s’ils y croient vraiment ou s’ils se rattachent à ce rêve pour éviter de crever la gueule ouverte, le nez dans leur misère. Pathétique me direz-vous ? Et bien non justement, et c’est là tout le talent d’Harry Crews, sous sa plume il donne à chacun de ses personnages une profondeur et une humanité presque palpable.
L’auteur nous plonge dans la vie de quelques uns de ces paumés abandonnés de tous, quelques flashbacks permettent de découvrir leur parcours. Fat Man et Dolly bien sûr, mais aussi des personnages secondaires comme Jester ou Iceman. Des rencontres émouvantes, des destinées hors normes, au fil des pages vous partagerez leurs émotions.
Si vous souhaitez de l’action passez votre chemin. Toutefois, même s’il ne passe pas grand chose de palpitant à Garden Hills, je peux vous promettre que vous ne vous ennuierez pas une minute en lisant ce bouquin. Bien qu’écrit (et bien écrit) en 1969, le récit est intemporel, il pourrait s’appliquer à n’importe quel bled qui subirait le même coup du sort de nos jours.
Le titre original Naked In Garden Hills (Nu Dans Garden Hills pour les anglophobes) trouve son explication dans le roman mais je ne vous en dirai pas plus. Lisez ce bouquin pour le savoir, vous ne regretterez pas cette expérience de lecture. C’est relativement court (235 pages) mais intense.
[BOUQUINS] Paul Colize – Back Up
Il est des bouquins à côté desquels je serai passé sans mes errances sur le Net, un roman qui semble n’inspirer que des critiques béates d’admiration c’est pas net ça. La tentatrice première a été Zofia, puis d’autres ont enfoncé le clou, encore et encore ! Il m’était donc impossible de passer à côté de ce Back Up de Paul Colize, et d’y apporter mon grain de sel…
Je ne vous gratifierai pas d’un pitch maison vu que c’est quasiment impossible à présenter en quelques mots, du coup vous aurez le droit à un simple copier-coller de la quatrième de couv’. Quel rapport entre la mort en 1967 des musiciens du groupe de rock Pearl Harbor et un SDF renversé par une voiture à Bruxelles en 2010 ? Lorsque l’homme se réveille sur un lit d’hôpital, il est victime du Locked-in Syndrome, incapable de bouger et de communiquer. Pour comprendre ce qui lui est arrivé, il tente de reconstituer le puzzle de sa vie…
Une mise en bouche plutôt appétissante non ? D’autant que la couverture du bouquin est elle aussi à la hauteur. Alors pourquoi serai-je passé à côté crévindiou ? Un auteur inconnu au bataillon (à mon bataillon en tout cas) et un titre qui ne m’inspire pas plus que ça, comme quoi ça tient à pas grand chose… Aujourd’hui je peux vous assurer que je ne regrette de m’être laisser tenter, ce bouquin vous offre une expérience de lecture assez unique en son genre. Rien que la playlist qui ouvre le bouquin vous fera saliver et suer des tympans !
Et d’ailleurs puisqu’on parle de genre bien malin celui ou celle qui pourra classer ce roman dans un genre ou un autre, la collection Folio Policier fait inévitablement penser à un polar, la mention roman noir sur la couverture parle d’elle même ; sauf que oui mais non, c’est à la fois un peu de tout ça et beaucoup plus que ça. Par contre une chose est certaine, l’auteur sait y mettre les formes, selon la partie du récit qu’il aborde il modifie son style en fonction de ses personnages, mais l’écriture est toujours superbement maîtrisée.
L’intrigue est construite autour de trois axes. D’une part en 1967, avec les derniers jours de Pearl Harbor (à ne pas confondre avec Les prochains jours de Pearl Harbor, chanson qui figure au répertoire de Michel Sardou) et l’enquête du journaliste Michael Stern en vue de comprendre ce qui s’est réellement passé. Les deux autres axes du récit se déroulent simultanément en 2010. Avec d’abord le parcours médical de la victime non identifiée et pas vraiment déterminée à collaborer avec le staff médical. Ensuite avec les souvenirs (parfois peu glorieux) de notre mystérieux inconnu, des souvenirs sur fond des sixties rebelles et du rock n roll, des souvenirs plein de grands noms qui ont laissé une empreinte indélébile dans l’Histoire de la musique (Elvis, les Beatles, les Stones, Pink Floyd, Clapton, Hendrix, les Who… et bien d’autres). Ca pourrait être confus mais que nenni, une fois encore l’auteur prouve qu’il tient les rênes de son bouquin, à aucun moment il ne nous embrouille l’esprit.
Paul Colize impose à son récit un rythme lent, presque lancinant, mais jamais ennuyant, on contraire il nous scotche à sa plume et on plane avec lui (sans absorber aucune des saloperies qu’il fait ingurgiter à ses personnages). On se laisse embarquer en gardant dans un coin de la tête LA question du bouquin : quel est le rapport entre les événements de 1967 et ceux de 2010 ? Il va falloir vous armer de patience pour commencer à envisager le début d’une piste probable et même une fois ce rapport établi je vous promets que vous n’êtes pas au bout de vos surprises ! Jusqu’à la dernière ligne de la dernière page l’auteur vous surprendra.
L’auteur réussit habilement à combiner littérature et rock n roll, mais il n’est pas nécessaire d’être un passionné de rock pour apprécier son roman, disons que c’est un peu la cerise sur le gâteau. Pour ma part je suis du genre à préférer le silence quand je lis, afin de pouvoir plonger pleinement dans le bouquin, sans aucun élément parasite pour me distraire, tout au plus je veux bien un léger fond sonore à base de musique classique (sauf l’Opéra, d’une part je ne suis pas fan et d’autre part les voix perturberont mon immersion). La lecture de ce bouquin n’aura pas fait exception à la règle, j’adore le rock des années 60 et 70 mais pas pendant que je lis, par contre pendant mes pauses je m’offrais un petit échantillon rock histoire de prolonger la magie…