[BOUQUINS] Emil Ferris – Moi, Ce Que J’Aime C’est Les Monstres – Livre Premier

Chicago, fin des années 1960. Karen Reyes, dix ans, adore les fantômes, les vampires et autres morts-vivants. Elle s’imagine même être un loup-garou : plus facile, ici, d’être un monstre que d’être une femme.

Le jour de la Saint-Valentin, sa voisine, la belle Anka Silverberg, se suicide d’une balle en plein cœur. Mais Karen n’y croit pas et décide d’élucider ce mystère. Elle va vite découvrir qu’entre le passé d’Anka dans l’Allemagne nazie, son propre quartier prêt à s’embraser et les secrets tapis dans l’ombre de son quotidien.

Les monstres, bons ou mauvais, sont des êtres comme les autres, ambigus, torturés et fascinants.

Attention OLNI (objet littéraire non identifié) en approche. Attention chef d’œuvre.

Ça fait déjà quelques années que ce roman fait partie de ma bédéthèque, j’attendais simplement la sortie du second tome pour pouvoir enchaîner sans attendre (il aura quand même fallu patienter sept ans pour découvrir le diptyque dans son intégralité).

Pour un premier essai Emil Ferris a placé la barre haut, très haut même ! Il lui a fallu six ans de travail pour venir à bout de son roman graphique, un pavé de plus de 800 pages. La genèse du bouquin, expliquée sur le rabat de la quatrième de couverture, est aussi extraordinaire que le bouquin lui-même. Je n’en dirai pas plus, les plus curieux – et accessoirement les plus fainéants – peuvent toutefois aller sur la page Wikipédia de l’auteure pour en apprendre davantage.

Avant de découvrir le fond, c’est d’abord la forme qui frappe le lecteur. Ça envoie du lourd (au sens propre, comme au figuré). Emil Ferris opte en effet pour un dessin presque exclusivement réalisé au stylo-bille (un choix d’autant plus audacieux qu’il laisse peu de marge pour les corrections… un loupé et c’est toute la planche qu’il faut redessiner) et donne vie à ses illustrations à grand renfort de hachures. D’autre part l’auteure revendique sa volonté de casser les codes de la bande dessinée traditionnelle, optant pour une mise en page qui peut, de prime abord, paraître chaotique, avant de s’avérer parfaitement réfléchie.

Au fil des pages nous suivrons Karen Reyes, une jeune fille pas forcément très bien dans sa peau qui cache son mal-être sous un déguisement de loup-garou. Le bouquin se présente comme un mix entre journal intime et carnet de croquis, Karen nous raconte pêlemêle son quotidien auprès de sa mère et de son frère Deeze, son « enquête » sur la mort de la voisine, Anka Silverberg, qui va la plonger au cœur de l’Allemagne nazie et ses réflexions sur la société américaine. Là encore ça peut paraître un peu fourre-tout, mais à aucun moment le lecteur ne se sentira perdu.

Difficile de ne pas ressentir d’empathie pour le personnage de Karen, son histoire est plaidoyer pour le droit à la différence, ou plus exactement pour le droit d’être soi-même, sans avoir à se soucier de ce qu’en penseront les autres. J’ai aussi eu un faible pour le frangin, Deeze, un curieux mélange de bad boy et de Dom Juan.

Au fil des pages on trouvera de nombreuses références à l’art, avec notamment des reproductions de l’auteure de toiles existantes. J’avoue que je n’ai pu résister à l’envie de comparer les œuvres originales avec les reproductions de l’auteure et son style graphique très particulier, force est de constater que le résultat est bluffant.

Dès sa publication le bouquin a connu un énorme succès public et critique mais il a aussi été salué par de grands noms de la bande dessinée contemporaine (notamment part Art Spiegelman, l’auteur du roman graphique Maus). Il s’est aussi imposé dans de nombreux festivals dédiés à la BD, raflant plusieurs prix, dont Eisner en 2018 (meilleur album, meilleur auteur et meilleure colorisation) et le Fauve d’or (distinction qui récompense le meilleur album) au festival d’Angoulême 2019.

Un grand merci aux éditions Monsieur Toussaint Louverture qui nous livre une véritable œuvre d’art, grâce à leur travail, le contenant est à la hauteur du contenu.

Je m’en vais de ce pas (ou presque) me lancer dans la lecture du second opus.

[BOUQUINS] Jodorowsky & Giménez – La Caste Des Métabarons – Tomes 5 à 8

Depuis des siècles, les Castaka exploitent seuls la planète Marmola, grâce au secret de l’épyphite, une huile antigravitationnelle qui leur permet de manipuler le marbre comme s’il ne pesait rien. Lorsque l’existence de l’épyphite est dévoilée à la galaxie, c’en est fini de la tranquillité de la famille, et l’histoire des méta-barons va commencer, dans le sang, la mort, et la trahison, quand tous les vautours de la galaxie vont les assiéger pour leur arracher leur secret.

L’année 2024 du blog s’est achevée sous le signe du roman graphique, 2025 s’ouvre de même avec ce second opus de l’intégrale de La Caste Des Méta-Barons. Il devrait en être de même pour ce début janvier, ayant la ferme intention de découvrir le diptyque des Monstres d’Emil Ferris.

Ces quatre tomes constituent la seconde et dernière partie de La Caste Des Méta-Barons, publiés entre 1998 et 2003 ils vous invitent à poursuivre l’histoire des méta-barons en découvrant, tour à tour (et parfois en destins croisés), les destins de Tête d’Acier, Aghora et Sans-Nom, le dernier de la lignée.

Un quotidien fait de violence et de combats, d’une part en raison du processus initiatique des méta-barons qui leur impose d’endurer maintes souffrances afin de prouver leur valeur, avec en guise d’ultime épreuve un duel à mort contre son propre père. Le méta-baron étant par essence un mercenaire, œuvrant principalement au service de l’Empire, il devra aussi affronter les envahisseurs qui menacent Terra 2014. Sans parler de divers complots et trahisons internes qui viendront alimenter un emploi du temps déjà bien chargé.

On retrouve le même univers graphique fortement empreint de biotechnologie qui fait parfois penser au génialissime H.R. Giger (à qui l’on doit notamment le xénomorphe du film Alien ainsi que son vaisseau).

L’histoire des méta-barons nous est toujours contée par Lothar et Tonto, les deux robots qui attendent le retour de leur maître, Sans-Nom. Les deux tas de ferrailles sont toujours aussi prompts à se chamailler à grand renfort de noms d’oiseaux robotiques.

Le huitième et dernier tome marque clairement la fin d’un cycle… et pour moi la fin de mon immersion dans l’univers des méta-barons, je passe mon tour pour la série Méta-Baron qui rebondit sur la conclusion de la présente série.

Les couvertures originales des tomes 5 et 6

Les couvertures originales des tomes 7 et 8

[BOUQUINS] Larcenet – La Route

L’apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d’objets hétéroclites, censés les aider dans leur voyage. Sous la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l’humanité. Survivront-ils à leur périple ?

Le roman de Cormac McCarthy est pour le moins atypique, une adaptation visuelle pouvait sembler un défi impossible à relever. En 2009 John Hillcoat a relevé le défi avec une adaptation sur grand écran portée par Viggo Mortensen dans le rôle du père, même si on ne retrouve pas totalement le côté désespéré du roman, le résultat est plutôt satisfaisant. En 2024 c’est Manu Larcenet qui se frotte au challenge avec cette adaptation en roman graphique.

Je connais Manu Larcenet essentiellement via son travail au sein de l’équipe de Fluide Glacial… Inutile de vous dire que le changement de registre est radical.

Comme le roman la version graphique peut être déconcertante, des dialogues minimalistes, un décor où tout est mort, peu d’action et aucun texte de narration. Comme l’explique fort justement Larcenet, ce sont ses dessins qui ont remplacé le texte de McCarthy.

Et force est de constater que l’effet est d’une redoutable efficacité, chaque planche est un régal pour les yeux. On scrute chaque case afin d’y déceler le moindre détail, sans difficulté l’histoire s’écrit petit à petit. Le pari était osé mais ça fonctionne à la perfection.

On retrouve toute la noirceur et le désespoir du roman, la seule éclaircie vient de la relation entre ce père et son fils. Leur longue marche vers le sud, vers un avenir plus incertain que jamais où chaque pas peut les exposer à une mauvaise rencontre.

Seuls une poignée d’humains a survécu à l’apocalypse, la cendre a achevé de détruire toute forme de vie qui aurait échappé au cataclysme. Parmi les survivants certains ne reculeront devant rien pour assurer leur survie, des hordes traquent en effet les rescapés pour s’en nourrir.

Au départ Larcenet avait opté pour le noir et blanc mais selon lui ça donnait trop de noirceur au récit, il a donc préféré jouer sur les nuances de gris, parfois avec quelques touches colorées judicieusement choisies. Pour les curieux la version noir et blanc est aussi proposée à la vente avec une couverture différente (une vue de profil du visage du père).

Le roman de McCarthy m’avait fait l’effet d’une magistrale claque dans la tronche, cette adaptation de Larcenet est un uppercut qui m’a laissé KO debout. C’est un pur chef d’œuvre, je n’irai pas jusqu’à dire que l’auteur arrive à transformer l’horreur en beauté, mais il lui confère une esthétique incontestable.

Chose rare chez moi, après avoir refermé le bouquin je suis revenu sur certaines planches afin d’y déceler des détails qui auraient pu échapper à une première lecture.

[BOUQUINS] Venayre & Micol – Les Crieurs Du Crime

Paris, février 1907. Une fillette a disparu du côté de Ba-Ta-Clan. La police est sur le coup et, en cet âge d’or de la presse française, les reporters aussi.

Quand on retrouve le corps, l’émotion est à son comble. L’assassin a avoué. Il s’appelle Soleilland.

De nombreuses voix s’élèvent pour réclamer son exécution. Mais le gouvernement prépare justement un projet d’abolition de la peine de mort.

« L’affaire Soleilland » qui sert de base à ce roman graphique est malheureusement bien réelle (cf. la page Wikipédia consacrée à A. Soleilland), sachez d’entrée de jeu que si vous cherchez les sensations fortes d’une enquête de police ou d’une enquête journalistique vous pouvez passer votre chemin.

Les auteurs se servent de ce fait-divers et de leur héros, un petit reporter – fait-diversier – qui se rêve romancier, pour retracer l’évolution de la presse écrite entre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Avec notamment la mise en avant des faits-divers comme argument de vente… et plus il y a de détails sordides, plus c’est racoleur et plus ça se vend bien.

Au cours de cette période la presse écrite française va « s’américaniser », avec l’apparition des interviews dans les articles et la course au scoop.

La presse jouait déjà sur le sentiment d’insécurité autour des gangs d’apaches qui sévissaient à Paris, cette affaire va amplifier la tendance. L’indignation et l’émoi suscités par cette sordide affaire entraîneront même des répercussions sur les débats politiques de l’époque : le président de la République, Armand Fallières, avocat de profession et abolitionniste convaincu, espérait faire abolir la peine de mort ; son projet de loi sera finalement rejeté par la Chambre des Députés.

D’autres thèmes sociétaux seront abordés au fil des échanges entre les personnages, il sera notamment question de la place de la femme dans le monde professionnel, l’évolution des textes de loi avec la reconnaissance de l’infanticide, évolution aussi des forces de police. Le truc qui m’a le plus surpris a été de découvrir que la morgue était alors ouverte au public, sa visite était même conseillée par les guides touristiques, c’est en mars 1907 que son accès sera restreint.

Les dessins à la gouache nous plongent au cœur de Paris au début du XXe siècle, chaque journée s’ouvre d’ailleurs sur une double page représentant une scène de vie ou des bâtiments parisiens (dont le Ba-Ta-Clan qui deviendra plus tard le Bataclan).

A la fin du récit trois pages de notes viennent éclairer les plus curieux sur divers points évoqués par les personnages.

Je referme ce bouquin plutôt satisfait par cette découverte, sans être trop didactiques, les auteurs nous apprennent une foule de détails qui viennent enrichir notre culture générale.

[BOUQUINS] Franck Chanloup – La Reine Des Apaches

La vie de Mathilde Latrouvé débute par treize ans d’indifférence et de froideur. De l’orphelinat, dont elle finit par s’enfuir, elle ne garde que son surnom : la Rouquine. Dure à cuire et remarquablement intelligente, la gamine devient bientôt la meneuse d’une bande d’apaches : les Loups de la Butte.

Ces voyous parisiens vivent d’arnaques et de vols, mais ils ont du panache, des idées, et surtout, ils sont solidaires à la vie à la mort. Alors quand Mathilde subit la sauvagerie de Valentin, chef d’un gang de proxénètes, on peut être sûr que la vengeance des Loups sera aussi impitoyable que violente. Quitte à plonger Paris dans le chaos.

Parce que je connais et suis Franck, via Facebook et la blogosphère, depuis de longues années.

Parce que son précédent roman, Les Enchaînés, m’avait fait forte impression.

Je remercie Franck Chanloup et les éditions Au Vent des Îles pour l’envoi de ce roman en service presse. Désolé pour ce retour tardif mais l’actualité calédonienne, doublé du rush des fêtes de fin d’année, ont retardé la publication de cette chronique.

Quand Franck m’a annoncé la sortie prochaine de son second roman, je m’attendais à retrouver Victor et ses amis pour la suite des Enchaînés. Je mentirai en disant que je n’ai pas ressenti une petite – et très brève – pointe de déception en découvrant qu’il changeait totalement d’univers à l’occasion de ce nouvel opus. Pas question pour autant de renoncer à suivre Franck dans cette nouvelle aventure littéraire.

Si j’ai mentionné la brièveté de cette insidieuse pointe de déception, c’est parce qu’elle s’est envolée dès la lecture des premières pages du roman. En effet, afin de coller à ses personnages et à son intrigue Franck adopte l’argot de Paname pour donner vie à son roman. C’est un véritable bonheur pour les amoureux de la langue française, et force est de reconnaitre que ça a plus de gueule que le babillage djeun’s d’aujourd’hui.

Si la forme est bel et bien au rendez-vous, le fond n’est pas en reste. Nul doute que vous ne resterez pas indifférent face à ce groupe d’apaches que sont les Loups de la Butte, certes ce sont des voyous – et pas des tendres – mais ils s’efforcent de rester fidèle à leur ligne de conduite – hors des clous, mais avec des limites – et de garder un certain panache. Ce qui va devenir de plus en plus évident au fur et à mesure que vous croiserez leurs rivaux.

Franck accorde beaucoup de soins à ses personnages, chaque Loup aura ainsi sa propre personnalité et son propre parcours de vie. A commencer bien entendu par leur chef de file, Mathilde. J’avoue avoir eu un faible pour Gros-Louis et Matthias, le petit nouveau de la bande.

L’intrigue aussi est à la hauteur de nos attentes, un long prologue vous invite à suivre les débuts de Mathilde, puis vous découvrirez le quotidien des Loups, entre affrontements entre gangs, cambriolages et autres roublardises. Franck met l’accent sur la cohésion du groupe et l’esprit de solidarité qui prime entre eux.

La vie d’une bande d’apaches n’est pas un long fleuve tranquille, surtout quand leurs rivaux s’associent pour leur faire payer au prix fort leurs précédentes victoires. C’est là que l’intrigue va devenir plus noire, voire prendre parfois une tournure franchement dramatique.

Vous l’aurez compris, la lecture de ce roman vous fera passer par un large panel d’émotions, du rire aux larmes selon la formule consacrée.

Je ne peux conclure cette chronique sans saluer le formidable travail de documentation de Franck, nul effort à fournir pour faire un bond dans le passé et découvrir la ville de Paris au début du XXe siècle. Immersion réussie sans la moindre fausse note.

Même si la présente intrigue se déroule bien loin de la Nouvelle-Calédonie, Franck s’autorise un clin d’œil au Caillou dans son roman.

On a raté le coche pour partager une mousse en terrasse, maintenant que tu vogues sous d’autres cieux et une nouvelle aventure professionnelle, on aura du mal à rattraper le coup. Il n’en reste pas moins que je répondrais présent sans la moindre hésitation à l’occasion de la sortie de ton prochain roman.

My name is Bonded… Jack Bonded

Au menu de l’apéro d’hier un petit nouveau sorti des distilleries Jack Daniel’s. Retour aux basiques après plusieurs recettes liquoreuses (Honey, Tennessee Fire et Apple) avec ce Jack Daniel’s Bonded.

Kezako Bonded ? Pour justifier de cette appellation le whiskey doit respecter le cahier des charges du Bottle-in-Bond et ainsi répondre à quatre critères :
– Provenir d’une seule distillerie
– Être le fruit d’une seule et même saison de distillation
– Être vieilli en fûts de chêne pendant au moins 4 ans
– Être embouteillé à 50° (100 proof)

Pour donner à son whiskey une griffe unique, les distilleurs partent de leur mashbill (mélange de céréales) initial (commun à toute la gamme Jack Daniel’s en dehors des Rye), composé à 80% de maïs, 12% d’orge maltée et 8% de seigle. Marque de fabrique du Jack, l’alcool est filtré au goutte à goutte sur du charbon d’érable (c’est le fameux Lincoln County Process) avant d’être mis en fûts. Les fûts pour le vieillissement sont sélectionnés manuellement avant d’être entaillés à l’intérieur afin que l’alcool s’imprègne davantage du goût du bois. Enfin,

Fin de la théorie, il est grand temps de passer à la dégustation. On ne va pas se mentir la première gorgée chauffe le gosier plus qu’autre chose (sans toutefois vous donner l’impression d’avaler des braises ardentes comme ça peut être le cas avec d’autres whiskeys). Ce n’est qu’à la suivante que les arômes vont se libérer en bouche, d’abord le bois de chêne puis le goût fumé du charbon pour s’achever sur une note plus douce, savant mélange de caramel et d’épices.

Vous le savez sans doute, je ne suis pas particulièrement copain avec modération quand il s’agit de taquiner l’apéro, toutefois pour l’occasion je recommande d’y aller avec parcimonie pour apprécier pleinement ce breuvage. Dans le cas contraire vous vous retrouverez rapidement avec la bouche et le palais complétement anesthésiés.

[BOUQUINS] David Joy – Les Deux Visages Du Monde

Après quelques années passées à Atlanta, Toya Gardner, une jeune artiste afro-américaine, revient dans la petite ville des montagnes de Caroline du Nord d’où sa famille est originaire. Déterminée à dénoncer l’histoire esclavagiste de la région, elle ne tarde pas à s’y livrer à quelques actions d’éclat, provoquant de violentes tensions dans la communauté.

Au même moment, Ernie, un policier du comté, arrête un mystérieux voyageur qui se révèle être un suprémaciste blanc. Celui-ci a en sa possession un carnet dans lequel figurent les noms de notables de la région. Bien décidé à creuser l’affaire, Ernie se heurte à sa hiérarchie.

Quelques semaines plus tard, deux crimes viennent endeuiller la région. Chacun va alors devoir faire face à des secrets enfouis depuis trop longtemps, à des mensonges entretenus parfois depuis plusieurs générations.

Parce que le duo Sonatine / David Joy a déjà fait ses preuves, avant même d’ouvrir le roman on sait que c’est une lecture qui nous prendra aux tripes et nous remuera les méninges.

Je remercie les éditions Sonatine et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

Dans ce roman David Joy aborde de front les thèmes du racisme et des traditions, deux thématiques qui s’opposeront dans cette bourgade de Caroline du Nord en apparence si paisible. En effet pour certains la statue d’un soldat confédéré est une insulte et une ode au suprémacisme Blanc, pour d’autres ce n’est qu’un rappel historique sans aucune arrière-pensée.

Le meurtre brutal d’une jeune étudiante noire et l’agression d’un adjoint du sheriff va exacerber les tensions entre les communautés. S’il y a un racisme affiché et revendiqué dans les mots et dans les faits par certains, il en est un plus insidieux fait de mots anodins pour celui qui les prononce mais qui peuvent blesser celui qui les entend. Il est parfois plus facile d’adopter la politique de l’autruche plutôt que d’affronter la vérité en face, mais quoi qu’il en soit, ce n’est pas parce qu’on ne parle pas de quelque chose que cette chose n’existe pas.

Une fois de plus David Joy trouve les mots justes afin que les lecteurs puissent avoir les deux sons de cloche sans aucun parti pris de sa part (inutile, les faits parlent d’eux-mêmes). Il parvient avec intelligence à nous pousser à nous questionner sur ces réflexions qui ressemblent davantage à des clichés de péquenots incultes qu’à de véritables jugements de valeur ; je doute fort que nous soyons nombreux à ne pas être, au moins une fois, tombé dans le piège de ces raccourcis réducteurs.

Si l’auteur ne néglige pas son intrigue, il faut bien reconnaître que ce sont les échanges entre les différents personnages qui nous interpellent plus que les faits eux-mêmes. Des échanges souvent vifs au cours desquels certains semblent découvrir un fossé qu’ils préféraient ignorer.

L’intrigue à proprement parler va se tisser à travers les deux enquêtes, l’une pour meurtre, menée par l’inspectrice Leah Green, l’autre pour agression dirigée par le sheriff Coggins. Pour la seconde nul besoin d’être le fils illégitime d’Hercule Poirot et de Miss Marple pour deviner qui est à l’origine de l’attaque… mais encore faut-il parvenir à le faire tomber et à identifier ses nombreux complices. Le meurtre en revanche donnera plus de fil à retordre, c’est presque par manque de suspects que l’on viendra à s’interroger sur le véritable rôle d’un personnage.

Pour servir son intrigue David Joy va s’appuyer sur des personnages forts, certains seront d’emblée attachants (je pense aux trois générations de la famille Jones/Gardner, Vess, Dayna et Toya), d’autres méprisables au plus haut point (tels William Dean Cawthorn ou Ash Slade, qui représentent les deux faces d’une même pièce). N’allez surtout pas croire que l’auteur va jouer la carte de la facilité manichéenne, dans leur grande majorité les personnages ne sont ni tout noirs, ni tout blancs, mais plutôt en nuances (plus ou moins foncées) de gris.

Un roman noir qui vous prendra aux tripes et vous fera passer par un large panel d’émotions. Un sujet grave et plus que jamais d’actualité avec la réélection de Donald Trump, traité avec intelligence et beaucoup d’humanité.

[BOUQUINS] Jean Reno – Emma

Rien ne prédestinait Emma à vivre une telle aventure. Masseuse dans un centre de thalassothérapie en Bretagne, et encore bouleversée par la disparition de sa mère, elle est envoyée, à 28 ans, au sultanat d’Oman pour former les équipes d’un centre de bien-être. À la tête de cet établissement luxueux, le très séduisant fils d’un ministre influent.

Mais celle dont les mains font des merveilles se retrouve au cœur d’une incroyable affaire d’état. Pourchassée par des hommes du palais de Mascate, elle devient la femme à abattre. Face aux pièges qui lui sont tendus, une autre Emma se révèle alors. Redoutable. Intrépide. Et qui pourrait bien faire le bonheur des services secrets français…

Je reconnais sans complexe que c’est la curiosité qui m’a poussé vers ce bouquin. Plus que le pitch à proprement parler, c’est surtout l’envie de découvrir une nouvelle facette de Jean Reno qui a motivé mon choix de lecture.

Comme la plupart d’entre nous je connais Jean Reno en tant qu’acteur dont la carrière a d’abord été boostée par Luc Besson qui lui confiera des rôles secondaires dans Le Dernier Combat et Subway avant de le mettre en avant dans Le Grand Bleu, Nikita et Léon. Mais c’est surtout son interprétation de Godefroy de Montmirail dans Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré qui marquera les esprits (et les zygomatiques) du public.

Au vu de la grande diversité des rôles qu’il a pu interpréter au fil de sa carrière d’acteur, il était difficile d’imaginer quel ton il donnerait à Emma, son premier roman. S’agissant d’un thriller d’espionnage, j’espérais retrouver une certaine noirceur dans le traitement de son intrigue.

Nous allons donc faire connaissance avec Emma, une masseuse dans un centre de thalassothérapie du Morbihan. D’emblée on découvre un personnage fortement marqué par un drame personnel et qui traîne depuis un lourd sentiment de culpabilité. Un personnage que l’auteur parvient facilement à rendre attachant avec son côté électron libre. Et puis elle a un chat, c’est donc forcément quelqu’un de bien !

De fil en aiguille (et surtout après une séance de massage) notre sympathique Emma va se retrouver à Oman où va elle va devoir former l’équipe en charge des massages dans un impressionnant complexe de thalassothérapie. Les choses sérieuses peuvent alors commencer…

C’est presque à l’insu de son plein gré que la formatrice va se retrouver à jouer les espionnes au service de la France. Je reconnais volontiers que l’ensemble est plutôt agréable à lire, mais n’espérez pas de brusques montées d’adrénaline, ça reste globalement très gentillet.

Si je ne crache sur de la guimauve en friandise (aaah les Chamallows de Haribo), j’en suis nettement moins friand quand elle s’invite dans une intrigue où elle ne s’imposait pas. Une touche de romance à la James Bond ça passe, mais quand ça dégouline de toute part on frôle l’indigestion. J’ai parfois eu la désagréable impression d’avoir un bouquin Harlequin entre les mains.

À sa décharge Jean Reno avoue avoir eu dans l’idée d’écrire avant tout une histoire romantique, pas de bol pour moi j’ai lu cette interview après avoir lu le roman.

Ce serait malhonnête de ma part de dire que ce bouquin est condamné au naufrage ou aux oubliettes, franchement je ne me suis pas ennuyé un seul instant en le lisant. Je le referme juste avec une pointe de déception face à des attentes non satisfaites.

Même si l’auteur reste dans le vague quant à une éventuelle suite, la fin laisse une porte grande ouverte à un prochain retour d’Emma 007. Malgré un ressenti mi-figue, mi-raisin je répondrai présent en espérant que les faiblesses de ce premier roman seront rectifiées.

[BOUQUINS] Julien Guerville – Mordre

Dans un monde dévasté, Zaïn et son père Yaoru roulent vers Asram. Là-bas, un groupe de survivants aurait trouvé un remède contre la maladie qui ronge Yaoru et lui fait perdre peu à peu son humanité. Père et fils affrontent le froid, le manque de tout. Et les Z qui peuvent surgir à tout moment.

Au long de cette odyssée en terre hostile, Yaoru voit sa vie défiler devant ses yeux : son enfance au cœur des marais, son père tueur de reptiles, la lutte des chamans contre la nature, qu’ils disaient coupable de tous les maux. Dans son délire fiévreux, il prend conscience des décisions qui ont modelé son destin, celui de son fils et peut-être celui de l’humanité tout entière.

S’il est vrai que la littérature post-apocalyptique sauce zombiesque foisonne de titres divers et variés, c’est un domaine auquel peu d’auteurs francophones viennent se frotter. C’est donc essentiellement poussé par la curiosité que je me suis plongé dans ce roman.

Je remercie les éditions Julliard et la plateforme Net Galley pour leur confiance.

J’avoue très honnêtement qu’en sollicitant ce roman je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, le pitch est suffisamment explicite pour situer l’intrigue dans un monde post-apocalyptique en proie à des méchants zombies affamés de chair fraîche. Force est de constater que ce n’est pas vraiment le genre de prédilection des écrivains français, même si certains ont su brillamment tirer leur épingle du jeu (l’exemple le plus récent qui me vient à l’esprit étant le diptyque Les Décharnés de Paul Clément).

En revanche c’est un thème qui ne cesse d’inspirer les auteurs outre-Atlantique, tant et si bien que l’on en arrive à se demander si tout a déjà été fait et raconté en matière de zombies (ils ont même osé le zombie à la sauce guimauve). Mordre, le roman de Julien Guerville vient à point nommé nous prouver qu’il est encore possible de surprendre et d’innover en matière d’apocalypse zombie.

Difficile, pour ne pas dire impossible, de situer le récit aussi bien dans le temps que dans l’espace même si la notion de bayou fait inévitablement penser à la Louisiane. Mais sommes-nous vraiment dans le même monde que celui du roman ? Rien n’est moins sûr – ce qui tendrait plutôt à être rassurant, vu la tournure que prennent les événements.

L’auteur ose jouer la carte du post-apocalyptique écologique, la mutation zombie étant la conséquence plus au moins directe du fait que les hommes se soient détournés de la nature au profit de dieux qu’ils ont inventés. Dit comme ça j’ai bien conscience que ça peut paraître un peu bancal, mais je vous garantis que la sauce prend bien à la lecture du roman.

Au fil des chapitres on alterne entre l’intrigue présente (Zaïn et son père, infecté, sont à la recherche d’une cité sanctuaire) et l’histoire de la famille de Zaïn, son père, Yaoru et le grand-père. Une histoire indissociable du marais et ses crocodiles. D’abord en tant que proies puisque le grand-père est le dernier des Kaijus (les plus grands chasseurs de crocodiles, le bras armé des chamans dans leur guerre contre la nature qu’ils jugent hostile). Une tradition transmise de père en fils jusqu’à ce que Yaoru lance un pavé dans la mare et marque la fin d’un cycle en privilégiant l’élevage au sein d’une ferme qui ne cesse de prospérer. Une histoire de famille au sein de laquelle la communication père-fils est des plus ténues…

Si le relationnel entre les vivants est l’un des thèmes principaux de l’intrigue, le côté post-apo zombiesque ne sert pas uniquement de faire valoir. La survie est bel et bien la préoccupation majeure de Zaïn et Yaoru au cours de leur quête d’Asram, un sanctuaire qui ferait presque office d’Eden au vu de la prolifération Z. Une survie qui passera bien souvent par la confrontation directe avec d’autres survivants.

Si l’origine du fléau Z offre une approche inédite (à ma connaissance en tout cas), on retrouve tous les codes du genre au fil des pages. Julien Guerville parvient à les adapter à son propos en nous livrant un ensemble plutôt convaincant… même s’il demande un peu de temps d’adaptation de la part des lecteurs.

Pas non plus de quoi révolutionner le genre mais le roman vaut le détour ne serait-ce que pour découvrir sa vision du « monde d’avant » et les funestes conséquences de l’idolâtrie des hommes. J’avoue volontiers que c’est un propos qui trouve facilement écho dans ma façon de percevoir les choses en général, et plus particulièrement les religions.

[BOUQUINS] Franck Thilliez – Norferville

Détective et criminologue à Lyon, Teddy Schaffran apprend que le corps de sa fille a été découvert dans une ville minière très isolée du Grand Nord québécois, Norferville. Morgane a été sauvagement mutilée, abandonnée dans la neige non loin d’une réserve autochtone. Sans réfléchir, Teddy plaque tout pour se rendre sur place, bien décidé à comprendre ce qui s’est passé.

Là-bas, Léonie Rock, une flic métisse, est mise sur l’affaire. Elle est alors contrainte de renouer avec cet endroit coupé de tout où elle est née et où, adolescente, trois inconnus l’ont violée. Un retour vers son enfer, alors que les températures frôlent les -20°C.

Ensemble, ces deux êtres éprouvés par la vie vont se démener pour trouver des réponses malgré l’inhospitalité de la nature et des hommes.

Parce que c’est Franck Thillez, une plume incontournable du thriller francophone et l’assurance de découvrir une intrigue qui nous scotchera au bouquin et ne manquera pas de nous surprendre.

Afin de changer d’air j’ai décidé de m’offrir une escapade dans le grand nord québécois en compagnie de Franck Thilliez. Vous vous doutez bien qu’avec un pareil maître de cérémonie cette escapade ne sera pas vraiment une promenade de santé.

Le cadre déjà est on ne peut plus éloigné des clichés façon carte postale du Grand Nord. Un bled paumé au fin fond de nulle part, accessible seulement par train… quand les conditions météo le permettent. Une petite ville qui ne doit sa survie qu’à l’exploitation minière voisine. Une exploitation qui divise un peu plus une population scindée en deux blocs avec les occidentaux d’un côté et les autochtones amérindiens de l’autre.

Cerise sur le gâteau, Franck Thilliez décide de poser son intrigue au cœur de l’hiver… Un hiver qui peut s’avérer mortel à plus d’un titre en cas d’imprudence. Voilà le décor est planté.

Léonie Rock, lieutenant à la Sûreté du Québec, espérait bien ne jamais remettre les pieds à Norferville. Adolescente elle a été, avec une amie, victime d’une agression restée impunie. C‘est une affaire de meurtre avec une victime européenne qui va la contraindre à retourner là-bas et à se confronter à ses démons passés.

Le père de la victime, Teddy Schaffran, un détective et « profiler » français, lui sera un précieux renfort pour cette enquête qui s’annonce particulièrement complexe… et pourrait bien n’être que la partie visible d’un iceberg encore plus sordide.

Dans ce roman Franck Thilliez fait quasiment de l’environnement un personnage à part entière, à tel point que c’est parfois lui seul qui déterminera ce que les personnages pourront faire, ou, au contraire, se verront condamner à ne pouvoir faire. Un contexte qui va influer directement sur certaines phases de l’intrigue.

L’auteur sait y faire pour rendre son intrigue totalement addictive et l’émailler de quelques rebondissements parfois inattendus. A l’instar de Léonie et Teddy, plus d’une fois nous ne saurons plus vraiment qui est digne de confiance ou non parmi les personnes interrogées. Il faut dire que les enjeux ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

Avec ce roman l’auteur nous propose une sorte de huis clos à ciel ouvert, certes les personnages ne sont pas enfermés dans une même pièce, mais c’est la ville et ses environs sont coupées du monde par des centaines de kilomètres de terres enneigées et une météo aussi chaotique qu’imprévisible.

L’intrigue est rondement menée, pas forcément à un train d’enfer mais ça colle plutôt bien au climat, comme si le froid ambiant tétanisait tout ce qu’il frappe. Si je devais émettre un bémol je dirais que le fin mot de l’histoire est un peu trop prévisible. J’aurai aimé quelque chose de plus surprenant, une révélation qui nous laisse vraiment sur le cul plutôt que ce timide « ah bin ouais » un tantinet désabusé…

Si Norferville est issue de l’imagination de Franck Thilliez, il reconnaît volontiers s’être largement inspiré de villes minières bien réelles bâties sur le même modèle. Simplement il ne voulait pas que son intrigue puisse être rattachée à un endroit existant afin de ne pas entacher son image. Tout ce qui a trait aux disparitions, viols et meurtres de femmes autochtones est malheureusement une triste réalité qui commence lentement mais sûrement à sortir de l’oubli.