[BOUQUINS] David Coulon – Demain Disparue

Pourquoi Lif et Romuald ont-ils accepté cette invitation à dîner ?
Leur couple bat de l’aile, le village dans lequel ils doivent aller est complètement isolé et une effroyable tempête menace.
Mais une promesse est une promesse, il faut sauver les apparences.

Cependant, à peine arrivés, les événements étranges se succèdent : Qu’arrive-t-il à Marie, l’amie de toujours de Lif ? Elle ne la reconnaît plus. Qui sont ces deux adolescents également présents au dîner ? Et pour quelles raisons leurs amis ont tant insisté pour les voir ce soir ? Ce soir en particulier…

Très vite, Lif n’a plus qu’un seul objectif : fuir cette maison où la peur règne en maître.
D’autant qu’elle n’est pas seule, elle doit également protéger l’enfant qu’elle porte dans son ventre.

Parce que David Coulon m’avait agréablement surpris et déconcerté avec son roman Trouble Passager.

Force est de reconnaître que le pitch du présent roman avait tout pour titiller ma curiosité.

Je remercie les éditions Fayard et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

Si le bouquin commence de façon assez classique (un couple en instance de séparation accepte une invitation à diner chez des amis qui habite un village tranquille), David Coulon donne rapidement à son récit une tournure pour le moins inattendue.

Dès les premières pages l’auteur parvient à imposer une ambiance oppressante alors que le cœur de l’intrigue n’est pas encore réellement enclenché, par sa narration même des événements anodins deviennent de potentielles sources d’angoisse. Les choses iront crescendo jusqu’à devenir franchement anxiogène une fois que David Coulon aura entraîné Lif dans les méandres de son scénario machiavélique.

Bien qu’il soit question de dérèglement climatique dans ce roman, je ne le qualifierai pas pour autant d’engagé… pour le bien de la cause écologiste. En effet l’auteur fait des défenseurs de la planète de véritables psychopathes qui défendent un écoterrorisme extrême et destructeur.

En toute franchise je dois avouer que David Coulon m’a scotché avec ce roman, je ne m’attendais pas du tout à ce que le récit prenne une telle tournure. Le bougre sait y faire pour jouer avec les nerfs et les certitudes de ses lecteurs – ce qui implique de malmener ses personnages – mais aussi et surtout pour rendre son roman totalement addictif. On est sur le fil du rasoir quasiment de la première à la dernière page… et on en redemande.

Le récit est certes porté par le personnage de Lif, mais ce sont Joris, Ludmilla et leurs pairs qui rendent le roman franchement anxiogène. Un pari aussi osé que casse-gueule que de miser sur des adolescents comme vecteurs du cauchemar qui attend Lif. David Coulon relève haut la main le défi.

Si je devais chercher le petit bémol (genre caillou dans la chaussure du marathonien) du roman, je signalerais quelques redondances qui deviennent parfois pénibles quand elles ne sont pas franchement inutiles (franchement, on s’en bat les couilles de la façon dont il faut prononcer Roro).

Certains pointeront sans doute du doigt l’invraisemblance du scénario imaginé par l’auteur, pour ma part j’ai envie de dire que cela fait partie de la magie de la fiction : accepter l’improbable et finir par y croire. Là encore je tire mon chapeau à l’auteur… même si certains passages sont peut-être un tantinet too much.

Un sans-faute absolu jusqu’à la dernière partie du récit, celle qui doit essayer d’expliquer l’inexplicable. On avait déjà plus ou moins compris le pourquoi du comment des motivations de Joris et Ludmilla, ceux-ci n’étant pas avares d’explications. Le problème tient surtout dans la chute soudaine de tension, alors que l’on était tenu hors d’haleine – à la limite même de l’asphyxie –, l’appel d’air est un peu trop brutal.

Demain Disparue est incontestablement un roman qui ne rentre pas dans une case prédéfinie, au vu de la dimension humaine omniprésente on pourrait parler de thriller psychologique, mais difficile toutefois de laisser de côté l’aspect anticipation, voire post-apocalyptique. Pour ma part je me contenterai de dire que c’est un roman audacieux maîtrisé de bout en bout, l’auteur nous mène à la baguette et on le suit presque malgré nous quitte à être parfois quelque peu déstabilisé et souvent fortement bousculé.

[BOUQUINS] Cyril Carrère – La Colère D’Izanagi

Tokyo. Un incendie criminel ravage le cœur de l’un des plus grands quartiers d’affaires au monde.

L’enquête est confiée à Hayato Ishida, flic prodige mais solitaire qui tente de se reconstruire en marge de la Crim. Il est rejoint par Noémie Legrand, Franco-Japonaise décidée à briser les chaînes d’un quotidien frustrant.

Sur leur chemin, un couple d’étudiants dans le besoin, à la merci d’une communauté où solidarité rime avec danger.

Et, tapi dans l’ombre, celui qui se fait appeler Izanagi, bien décidé à mettre son plan destructeur à exécution.

Parce que le précédent roman de Cyril Carrére, Avant De Sombrer, m’avait fait forte impression.

Cyril Carrére vivant au Japon depuis quelques années, j’espérais une intrigue 100% nippone… mon vœu a été exaucé, je ne pouvais que succomber.

Cyril Carrére est certainement le plus japonais des auteurs francophones, installé au pays du soleil levant depuis 2018, la culture nippone n’a plus aucun secret (ou presque) pour lui. Avec ce roman l’auteur nous propose une vision démythifiée du Japon, loin des clichés idéalisés encore trop présents dans l’esprit de nombreux Occidentaux.

Le roman s’ouvre sur un incendie qui ravage la Velvet Tower, l’une des plus grandes tours de Tokyo. Certains détails ne manqueront pas de rappeler les attentats des Twin Towers aux États-Unis le 11 septembre 2001. La ressemblance s’arrête là, dans le cas présent pas d’acte terroriste, à charge pour la police de déterminer s’il s’agit d’un accident ou d’un acte criminel.

Je parie que vous aurez deviné que cet incendie n’a rien d’accidentel. Il n’est que le premier acte d’une mise en scène machiavélique qui se jouera en partie dans la face obscure d’internet, le Darknet.

Pour enquêter sur cette sombre affaire, Cyril Carrrère va jouer la carte du duo improbable. Dans le coin droit, Hayato Ishida, un policier brillant, mais un tantinet asocial et imbu de lui-même, atteint d’hyperosmie (une hypersensibilité de l’odorat qui lui permet d’identifier les différentes odeurs qui se mêlent dans les effluves qui l’environnent). Dans le coin gauche, Noémie Legrand, une franco-japonaise qui élève seule sa fille, douée d’une forte empathie et contrainte de composer avec le machisme de la société japonaise.

Parallèlement nous suivrons le parcours d’un couple d’étudiants, Kenta et Suzuka, licenciés à la suite de l’incendie de la Velvet Tower. Là encore nous aurons deux personnalités radicalement opposées, Suzuka est extravertie et avenante alors que Kenta est renfermé et agoraphobe.

Deux arcs narratifs dont le fil rouge est rapidement révélé, mais ce n’est là que la partie visible de l’iceberg. Nul doute que Cyril Carrére vous surprendra plus d’une fois au fur et à mesure qu’il déroulera son intrigue implacable.

J’ai beaucoup aimé le traitement des personnages, des personnalités contrastées, mais affirmées chacune à leur façon. L’évolution des relations entre les uns et les autres se fait naturellement au gré des évènements.

La construction du roman ne souffre d’aucun reproche, tout est impeccablement maîtrisé, l’auteur ne laisse rien au hasard. Le rythme aussi est savamment dosé, alternant les phases de relative tranquillité et celles qui nous plongent au cœur de l’action.

Une intrigue qui permet aussi d’avoir un aperçu de la mythologie japonaise à travers le personnage d’Izanagi. Bien que n’étant pas particulièrement japonophile, j’avoue que la mythologie japonaise titille ma curiosité depuis déjà quelques années… va falloir que je songe à me pencher sérieusement sur la question avant de sucer les pissenlits par la racine.

Si vous pensez que le scénario imaginé par l’auteur est totalement impossible, sachez qu’il s’inspire d’un fait divers bel et bien réel, certes les choses n’ont pas été aussi loin (heureusement), mais la criminalité organisée via le Darknet est une triste réalité. Au Japon ce phénomène porte même un nom : Tokuryu.

Dans ses remerciements Cyril Carrére laisse envisager un possible retour du duo formé par Hayato et Noémie, si tel était le cas je serais parmi les premiers à me ruer dessus. À vrai dire, en seulement deux romans, l’auteur m’apparait d’ores et déjà comme un incontournable du thriller francophone.

[BOUQUINS] Harry Grey – Il Était Une Fois En Amérique

New York, années 1920. Noodles traîne dans le Lower East Side avec sa bande : Patsy, Cockeye, Max et Dominick. Simples gamins des rues, ils gravissent peu à peu les échelons d’une mafia qui s’organise en Syndicat du crime. Leur temps est celui de la Prohibition, de l’opium et des gangsters juifs et italiens qui s’apprêtent à refaçonner à tout jamais le visage de l’Amérique.

Parce que je souhaitais découvrir le roman qui a inspiré Sergio Leone pour son ultime et cultissime film, Il Était Une Fois En Amérique sorti en 1984.

Je remercie chaleureusement les éditions Sonatine et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

Si je vous dis Il Était Une Fois En Amérique vous penserez certainement à l’inoubliable film de Sergio Leone avec Robert De Niro (David « Noodles » Aaronson), James Wood (Max Bercovicz), James Hayden (Patrick « Patsy » Goldberg) et William Forsythe (Philip « Cockeye » Stein) dans le rôle des quatre truands de l’East Side. Un incontournable parmi les grands films de gangsters.

Le film est une (très) libre adaptation de l’autobiographie romancée de Harry Grey, The Hoods, parue en 1952. Le bouquin aurait été écrit alors que l’auteur purgeait une peine de prison à Sing-Sing. Difficile, voire impossible, de faire la part entre la réalité brute, la réalité plus ou moins volontairement embellie et la fiction dans le récit de Noodles. Harry Grey ne pourra jamais éclairer notre lanterne, ce dernier est en effet décédé en octobre 1980.

Le bouquin s’ouvre sur une préface de Sergio Leone dans laquelle il expose les raisons qui l’ont poussé à réaliser Il Était Une Fois En Amérique, et notamment son attachement au personnage de David « Noodles » Aaronson.

Le récit à proprement parler débute un peu avant la Première Guerre Mondiale, Noodles et ses amis, Max, Patsy et Cockeye, sont des gamins issus de familles pauvres établies dans le Lower East Side. Ils rêvent de faire fortune, et pour eux la voie la plus évidente est celle du crime.

Quelques années plus tard, la Prohibition leur offrira un terrain de jeu à la hauteur de leurs ambitions. Peu à peu ils graviront les échelons du crime organisé jusqu’à se faire une place parmi les plus grands du Milieu.

La plume de Harry Grey nous plonge en totale immersion dans les États-Unis soumis à la Prohibition, c’est d’un réalisme bluffant malgré un style plutôt minimaliste (chapeau bas à la traductrice, Caroline Nicolas).

Le roman est avant tout l’histoire d’une amitié indéfectible entre nos quatre héros qui se connaissent depuis l’enfance et se sont fait la promesse de gravir les échelons ensemble. Nous les suivrons au rythme de petits larcins qui deviendront rapidement des braquages de plus en plus audacieux. Au sein de la Coalition (une organisation criminelle qui entend fédérer les différents gangs de New York), ils seront parfois amenés à se salir les mains dans des opérations plus expéditives et plus sanglantes.

L’auteur décortique avec précision les liens entre le crime organisé et les milieux d’apparence plus honorable (police, justice ou encore politique), corruption, manipulation, usage de faux, intimidation… tout y passe pour asseoir son pouvoir et s’assurer d’être quasiment intouchable en cas de pépin. On y découvre aussi l’implication du crime organisé dans la montée en force et l’organisation des syndicats, véritable contre-pouvoir des employeurs.

Bien que le récit soit censé se dérouler pour l’essentiel entre les années 20 et 30 et ait été écrit en 1952, l’attitude et les propos de Noodles et ses amis sur les femmes sont d’un machisme parfois à peine supportable. Dans le même ordre d’idée, je vais passer sous silence leur approche de l’homosexualité.

Globalement j’ai trouvé ce roman totalement addictif et bien construit. Une lecture qui aura eu pour effet secondaire de me donner l’envie de revoir la trilogie du temps de Sergio Leone – Il Était Une Fois Dans L’Ouest (1968), Il Était Une Fois La Révolution (1971) et Il Était Une Fois En Amérique (1984). Trois excellents films sublimés par les bandes originales d’Ennio Morricone.

[BOUQUINS] Laurène Duclaud – Gouine City Confidential – Saison 1

Dans les rues de Gouine City, Alex Duke s’essaye à être une dure : mi-détective, mi-garde du corps, elle fait ce qui s’impose sous les ordres de Vi, son amie de toujours. Il y a des arnaques, des coups de sang, des mensonges, des crimes et des combats. Gouine City, c’est une ville qui palpite et qui cogne, aussi addictive que destructrice. Une ville comme les autres avec des rues et des bars peuplés de tendres folles, d’idéalistes, de paumés et d’intraitables salauds. Et c’est parmi eux qu’Alex Duke nous balade, drôle, parfois désillusionnée, toujours aussi généreuse que fantasque.

Difficile de résister à ce titre, clin d’oeil au roman L.A. Confidential de James Ellroy. La couv’ elle-même fait indéniablement penser à une détective des années 50 en planque. Restait à savoir si le ramage allait se rapporter au plumage comme disait ce brave Jeannot.

Laurène Duclaud annonce la couleur d’entrée de jeu dans une courte introduction au roman. Le bouquin se décline en huit épisodes, autant de tranches de vie d’Alex Duke. Des épisodes très inégaux autant par le nombre de pages que par leur intérêt.

Ainsi les quatre premiers ont des allures d’errances sans queue ni tête. Le cinquième surprend par ce brusque sursaut d’humanité. Le sixième est le seul qui colle vraiment au registre policier attendu, avec une énigme en chambre close plutôt bien menée. Le septième nous offre une rapide visite de Gouine City, même si on sent qu’Alex Duke aime « sa » ville, ça manque cruellement de saveur. Le huitième nous invite à suivre la carrière d’une jeune joueuse de foot à l’avenir prometteur ; pas besoin d’être un adepte du ballon rond – ce que je suis à des lieux d’être – pour adhérer à l’histoire.

Trois épisodes sur huit m’ont tiré de ma torpeur. Heureusement les sixièmes et huitièmes sont les plus étoffés. J’ai un peu moins l’impression d’avoir raté le coche avec ce bouquin. Mais pas non plus de quoi faire oublier les faiblesses…

Si l’attente polar est fortement insatisfaite, le bouquin peut toutefois se rattacher au roman noir, clairement la vie à Gouine City n’est pas rose tous les jours.

La forme est tout aussi déconcertante que le fond, avec une mise en page des plus anarchiques (notamment des sauts de plusieurs lignes qui se posent où bon leur semble, ou encore des retours à la ligne qui défient le bon sens typographique) et une ponctuation pour le moins fluctuante (le point final n’a pas qu’un intérêt esthétique dans une phrase).

Pour revenir à ma question concernant le rapport entre le plumage et le ramage, j’ai un peu eu l’impression de m’être fait arnaquer. Le contenu ne tient pas les promesses du contenant. Imaginez une bouteille de vin superbement taillée qui vous promet une explosion de saveurs en bouche… mais le vin en question est une piquette qui a un goût de vinaigre premier prix ! La comparaison est un peu cruelle, mais pas totalement infondée.

Même si par bien des aspects j’ai apprécié le personnage d’Alex Duke, je ne suis pas certain que j’embarquerais pour une seconde saison dans les méandres de Gouine City.