[BOUQUINS] Laurène Duclaud – Gouine City Confidential – Saison 1

Dans les rues de Gouine City, Alex Duke s’essaye à être une dure : mi-détective, mi-garde du corps, elle fait ce qui s’impose sous les ordres de Vi, son amie de toujours. Il y a des arnaques, des coups de sang, des mensonges, des crimes et des combats. Gouine City, c’est une ville qui palpite et qui cogne, aussi addictive que destructrice. Une ville comme les autres avec des rues et des bars peuplés de tendres folles, d’idéalistes, de paumés et d’intraitables salauds. Et c’est parmi eux qu’Alex Duke nous balade, drôle, parfois désillusionnée, toujours aussi généreuse que fantasque.

Difficile de résister à ce titre, clin d’oeil au roman L.A. Confidential de James Ellroy. La couv’ elle-même fait indéniablement penser à une détective des années 50 en planque. Restait à savoir si le ramage allait se rapporter au plumage comme disait ce brave Jeannot.

Laurène Duclaud annonce la couleur d’entrée de jeu dans une courte introduction au roman. Le bouquin se décline en huit épisodes, autant de tranches de vie d’Alex Duke. Des épisodes très inégaux autant par le nombre de pages que par leur intérêt.

Ainsi les quatre premiers ont des allures d’errances sans queue ni tête. Le cinquième surprend par ce brusque sursaut d’humanité. Le sixième est le seul qui colle vraiment au registre policier attendu, avec une énigme en chambre close plutôt bien menée. Le septième nous offre une rapide visite de Gouine City, même si on sent qu’Alex Duke aime « sa » ville, ça manque cruellement de saveur. Le huitième nous invite à suivre la carrière d’une jeune joueuse de foot à l’avenir prometteur ; pas besoin d’être un adepte du ballon rond – ce que je suis à des lieux d’être – pour adhérer à l’histoire.

Trois épisodes sur huit m’ont tiré de ma torpeur. Heureusement les sixièmes et huitièmes sont les plus étoffés. J’ai un peu moins l’impression d’avoir raté le coche avec ce bouquin. Mais pas non plus de quoi faire oublier les faiblesses…

Si l’attente polar est fortement insatisfaite, le bouquin peut toutefois se rattacher au roman noir, clairement la vie à Gouine City n’est pas rose tous les jours.

La forme est tout aussi déconcertante que le fond, avec une mise en page des plus anarchiques (notamment des sauts de plusieurs lignes qui se posent où bon leur semble, ou encore des retours à la ligne qui défient le bon sens typographique) et une ponctuation pour le moins fluctuante (le point final n’a pas qu’un intérêt esthétique dans une phrase).

Pour revenir à ma question concernant le rapport entre le plumage et le ramage, j’ai un peu eu l’impression de m’être fait arnaquer. Le contenu ne tient pas les promesses du contenant. Imaginez une bouteille de vin superbement taillée qui vous promet une explosion de saveurs en bouche… mais le vin en question est une piquette qui a un goût de vinaigre premier prix ! La comparaison est un peu cruelle, mais pas totalement infondée.

Même si par bien des aspects j’ai apprécié le personnage d’Alex Duke, je ne suis pas certain que j’embarquerais pour une seconde saison dans les méandres de Gouine City.

[BOUQUINS] Michaël Mention – Les Gentils

AU MENU DU JOUR


Titre : Les Gentils
Auteur : Michaël Mention
Éditeur : Belfond
Parution : 2023
Origine : France
352 pages

De quoi ça cause ?

Franck Lombard avait tout pour être heureux, un métier qui est aussi une passion, une femme qu’il adore et une petite fille dont il est raide dingue.

Tout bascule un jour de juin 1977. Un braquage minable qui tourne mal, la gamine est mortellement blessée alors que le braqueur prend la fuite. Face au drame, le couple se délite.

Un an plus tard, l’enquête de police est au point mort. Les policiers ont une description sommaire du braqueur, seul réel signe distinctif : le A d’anarchie tatoué sur une épaule.

Franck décide alors de mener sa propre enquête pour trouver et éliminer l’assassin de sa fille…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Michaël Mention. Je reconnais volontiers ne pas avoir tout lu de l’auteur (loin de là), parfois par choix, parfois – souvent – par manque de temps, mais les titres que j’ai lus ne m’ont jamais laissé indifférent, certains m’ont même fait forte impression.

Ma Chronique

Je remercie chaleureusement les éditions Belfond et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

Perdre son enfant est sans aucun doute l’épreuve la plus terrible qui puisse arriver à un couple, plus encore quand la mort de l’enfant est provoquée par un tiers. Et encore plus encore (pas très français tout ça), quand le tiers en question n’est pas identifié par la police.

Deuil impossible, soif de vengeance, jusqu’à l’obsession… jusqu’à la folie. Ainsi pourrait se résumer la quête de Franck, mais ce serait trop réducteur pour le roman de Michaël Mention.

L’auteur situe son intrigue en 1978, un choix qui ne doit rien au hasard pour que la fiction rejoigne l’Histoire dans les derniers chapitres du bouquin. C’est aussi l’occasion pour Michaël Mention de crier haut et fort son amour de la musique, et plus particulièrement du rock, tout comme son héros tourmenté. Au fil des chapitres, Franck se laissera porter par le son de The Doors, Lynyrd Skynyrd, The Who ou encore AC/DC (période Bon Scott), mais aussi par les mélodies de Serge Gainsbourg, Barbara ou Brassens.

La traque obsessionnelle de Franck le mènera de Paris à Marseille, avant de décoller pour la Guyane et enfin rejoindre le Guyana. L’association Guyana et 1978 a immédiatement fait passer tous mes signaux au rouge et m’a orienté vers un final quasi inévitable (la suite me donnera raison).

Si au cours de son périple Franck fera quelques belles rencontres, force est de constater qu’il est un véritable aimant à emmerdes et attire à lui bien des individus peu recommandables. Plus d’une fois il risquera sa vie, mais jamais il ne renoncera. Pour se motiver, il s’accroche à des échanges imaginaires avec sa fille.

Sans forcément adhérer à la traque de Franck (d’autant que l’on a aucune certitude qu’il en a après la bonne personne), son parcours nous vrille les tripes. Et même quand l’intrigue flirte avec l’improbable, on a envie d’y croire. À croire que l’obsession de Franck est contagieuse…

Pour construire son roman, Michaël Mention opte pour des chapitres courts, taillés à la machette, tout comme le phrasé qu’il emploie. On prend les mots comme autant de baffes dans la tronche. Le talent narratif de l’auteur nous fait rapidement oublier d’éventuels bémols.

Avec ce roman, le quatorzième depuis 2008, Michaël Mention confirme qu’il a une plume unique en son genre, capable de transformer en or tout ce qu’il touche (avec Jeudi Noir il a même réussi à me faire lire un bouquin dont l’intrigue tourne autour du foot).

MON VERDICT

Coup de poing

[BOUQUINS] R.J. Ellory – Une Saison Pour Les Ombres

AU MENU DU JOUR


Titre : Une Saison pour Les Ombres
Auteur : R.J. Ellory
Éditeur : Sonatine
Parution : 2023
Origine : Angleterre (2022)
408 pages

De quoi ça cause ?

Jack Devereaux, installé à Montréal depuis des années, espérait avoir définitivement tiré un trait sur son passé et Jasperville, la ville où il a grandi. Un trou paumé au fin fond du grand nord québécois qui ne lui rappelle pas que des bons souvenirs.

Son frère cadet, qu’il n’a pas revu depuis vingt-six ans, est emprisonné une violente agression. Sa victime est entre la vie et la mort. L’officier en poste à Jasperville aimerait que Jack l’aide à comprendre ce qui a pu se passer. Impossible de refuser, Jack va devoir retourner à Jasperville… et affronter son passé.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que le duo Sonatine et R.J. Ellory est l’assurance de passer un bon – voire un très bon – moment de lecture.

Ma Chronique

Je remercie les éditions Sonatine et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

C’est pour relever un challenge lancé par ses éditeurs anglais (Orion Books) et français (Sonatine) que R.J. Ellory situe l’intrigue de son nouveau roman au Canada, et plus exactement dans la belle province de Québec.

Oubliez les décors de cartes postales, Jasperville est une ville minière située dans le Grand Nord québécois. Accessible uniquement en train (quand les rails ne sont pas gelés), l’hiver dure huit mois, huit mois de températures glaciales que les rares et timides rayons de soleil ne parviennent à réchauffer. Oubliez aussi vos smartphones et l’idée de vous connecter à Internet, seul le téléphone filaire fonctionne… parfois. Le genre de bled où à peine arrivé tu as déjà envie de prendre les jambes à ton cou et de filer… en revanche évitez la forêt, vous pourriez y croiser une meute de loups ou un ours.

Outre le cadre particulièrement inhospitalier, voire franchement hostile, l’auteur va aussi devoir se confronter à la spécificité biculturelle (francophone et anglophone) du Québec.

En 1969, Jacques Devereaux va y suivre ses parents alors qu’il était âgé de 3 ans, il y restera jusqu’à ses 19 ans. Il quittera la ville, laissant derrière lui la fille qu’il aime et son frère cadet et des promesses qu’il ne tiendra pas.

C’est à Montréal qu’il posera ses valises, deviendra Jack Devereaux et se construira une vie sans attaches ni engagements. Bien décidé à oublier définitivement Jasperville, et tant pis pour la culpabilité qui vient parfois – souvent – se rappeler à son bon souvenir.

Et pourtant quand le Sergent Nadeaux, en poste à Jasperville, le contacte pour l’informer que son frère est en prison pour avoir violemment agressé un homme, le laissant quasiment pour mort, Jack ne va pas hésiter une seconde et retourner dans la ville qui l’a vu grandir.

Au fil des chapitres – et du voyage de Jack – on va découvrir le parcours de la famille Devereaux, et tout particulièrement les jeunes années de Jacques, l’aîné des trois enfants. Une jeunesse pas franchement épanouie mais pas non plus des plus malheureuses, exception faite des nombreux drames qui jalonneront ces années. Notamment le décès de trois adolescentes dans des circonstances particulièrement brutales mais jamais clairement définies (comme le dit fort justement le proverbe : « Il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. »).

Pour essayer de comprendre pourquoi son frère a manqué de tuer un homme, Jack va devoir essayer de penser comme lui et démêler un faisceau d’indices et de soupçons autour de ces trois victimes et d’autres morts violentes d’adolescentes survenues à Jasperville ou dans ses environs.

Avec ce roman R.J. Ellory confirme – si quelqu’un en doutait encore – qu’il est une grande plume du roman noir. Un talent qu’il met au service d’une intrigue qui s’articule autour de l’histoire de la famille Devereaux. Une intrigue qui va confronter Jack à une double quête, d’abord celle de la vérité autour de cette série de meurtres, mais aussi et surtout celle de la rédemption personnelle et du pardon pour ceux qu’il a fait souffrir en fuyant Jasperville.

Une intrigue dans laquelle l’obsession de Calvis, le frère de Jack, pour cette série de crimes jamais élucidés et l’amalgame autour d’une vieille légende indienne va inexorablement faire dériver son esprit vers la folie… jusqu’à commettre l’irréparable.

Comme souvent avec l’auteur, le capital humain tient une place de premier choix dans ce roman. À commencer bien sûr par le personnage de Jack / Jacques, archétype de l’anti-héros qui cache, tant bien que mal, ses faiblesses derrière une façade d’indifférence. Un solitaire qui fuit les sentiments parce que c’est plus facile que de courir le risque de souffrir.

Les personnages secondaires ne sont pas uniquement des faire-valoir, chacun apporte sa pierre à l’édifice. Mention spéciale bien entendu à Carine, le premier – et sans doute le seul – véritable amour de Jacques.

Petit clin d’œil à un enquêteur de Labrador City nommé Yvan Fauth, un nom qui n’est pas inconnu à la blogosphère bouquinesque puisqu’il s’agit de l’ami Gruz du blog EmOtionS.

Le côté strictement policier de l’intrigue (l’enquête de Jack) passerait presque au second plan mais R.J. Ellory accorde aussi un traitement en profondeur de cet aspect du roman. Je reconnais humblement que je ne m’attendais pas du tout à cet ultime revirement.

Incontestablement cette année 2023 a tout d’un grand cru pour R.J. Ellory, pour notre plus grand plaisir.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Sandrine Collette – On Était Des Loups

AU MENU DU JOUR


Titre : On Était Des Loups
Auteur : Sandrine Collette
Éditeur : JC Lattès
Parution : 2022
Origine : France
208 pages

De quoi ça cause ?

Liam vit avec sa femme et leur fils de 5 ans au cœur des montagnes, loin du monde et des gens. Un jour, en rentrant d’une partie de chasse, il découvre le corps sans vie de son épouse, tuée par un ours. Avant de mourir elle a fait rempart de son corps pour protéger l’enfant.

Pour Liam c’est le déclic, cette vie sauvage n’est pas faite pour un enfant de cinq ans. Il prend son fils et ses chevaux, bien décidé à confier l’enfant à des proches…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que ça fait un moment que j’ai envie de découvrir l’univers littéraire de Sandrine Collette. Je profite de la sortie de son nouveau roman pour me lancer.

Ma Chronique

Commençons par quelques mots sur la forme. Sandrine Collette donne la parole à Liam pour nous faire vivre son histoire. Liam est un bon gars mais un peu rustre, un peu sauvage, du brut de décoffrage en quelque sorte. Il ne s’est pas trop attardé à l’école, préférant la vie au grand air. Sa narration est à son image, directe, franche, brute… parfois maladroite. Un bel exercice de style que l’auteure maîtrise à la perfection.

Un récit qui n’est situé ni dans le temps, ni dans l’espace. On peut juste supposer qu’il se déroule de nos jours (ou pas loin, avant ou après), dans un pays ayant de vastes étendues sauvage (Etats-Unis ? Canada ? France ? Tout est possible… et plus encore).

Bien que radicalement différent ce bouquin m’a un peu fait penser à La Route de Cormac McCarthy, sans doute pour sa narration brute, et aussi parce qu’il est question d’un père et de son fils. Quant à la relation de parentalité proprement dite, c’est plutôt Sukkwan Island de David Vann qui m’est venu à l’esprit. Je vous rassure tout de suite, Sandrine Collette donne à son roman une identité qui lui est propre.

Outre la relation père fils, il sera aussi question de deuil (un deuil que Liam essaye de noyer sous une colère aussi sourde qu’injuste quand elle se retourne contre le môme) et du rapport de l’homme à la nature (une nature qui peut parfois s’avérer hostile au genre humain… je serai tenté de dire que c’est un juste retour des choses).

Le fait que le roman soit court ne l’empêche nullement d’être chargé en émotions, plus d’une fois il vous prendra aux tripes. On a envie de se poser sur chaque chapitre afin de les vivre intensément avec Liam et Aru. Ajoutez à cela le « non-style » narratif, et vous comprendrez pourquoi j’ai pris mon temps pour déguster ces pages. Il est vrai que j’use souvent de cette formule, mais elle est en parfaite adéquation avec le bouquin : court mais intense.

Au fil des chapitres vous suivrez Liam et son fils partis dans un road trip plus ou moins improvisé à dos de cheval, un périple qui sera lourd en désillusions et en moments forts (qu’ils soient bons ou mauvais). Un périple qui, contre toute attente, va rapprocher le père et le fils.

Même si la nature n’est pas toujours clémente envers le genre humain – surtout à l’encontre de ceux qui ne connaissent pas ses pièges –, le roman démontre, s’il en était encore besoin, que les instincts les plus primaires et les plus abjects sont bel et bien endémiques à l’Homme (au sens large du terme, d’où le H majuscule).

C’est le premier roman de Sandrine Collette que je lis, je peux d’ores et déjà affirmer que ce ne sera pas le dernier !

MON VERDICT

Coup de poing

Morceau choisi

J’ai creusé dehors pendant trois heures dans un sens puis dans l’autre pour faire un trou puis enterrer ma femme et j’ai les nerfs qui vibrionnent, je ne pourrai pas, je ne suis pas prêt pour le repos. C’est pour ça que je regarde le môme qui dort, je fais des réserves parce que tout le temps que je pelletais j’ai bien réfléchi et même si je l’aime ce gosse je sais que je ne peux pas le garder avec moi. Si je veux être méchant, je dirai que je ne l’aime pas au point de foutre ma vie en l’air et c’est ça qui me pend au nez parce que je ne peux pas traîner Aru dans la montagne avec moi, c’est trop dur ce que je lui demande. En fait je ne suis pas capable de changer de vie alors c’est lui qui va en changer et c’est comme ça, j’ai choisi pour lui je pense qu’il vaut mieux que je l’emmène ailleurs. Je sais que c’est dégueulasse pourquoi c’est lui qui devrait changer quelque chose et pas moi – je n’ai pas de réponse seulement c’est moi qui décide et je ne peux pas revenir à une existence normale comme ces gens dans les villes trouver un métier normal où je vais me castagner au bout d’une semaine. Ce bout du monde j’ai mis des années à le construire je n’ai pas envie de le laisser et ce n’est pas juste de l’égoïsme : je peux le quitter c’est sûr. Et après je deviendrai dingue dans la ville, je ferai du mal aux autres et je repartirai autant gagner une étape. Ce n’est pas facile de réfléchir avec la pensée d’Ava qui me tourne autour, ce n’est pas facile de ne pas chialer en regardant le môme dans son petit lit et ce qu’elle aurait dit Ava je sais qu’elle n’aurait jamais voulu ça, mais c’est comme ça c’est moi qui suis là maintenant.

[BOUQUINS] Chris Whitaker – Duchess

AU MENU DU JOUR


Titre : Duchess
Auteur : Chris Whitaker
Éditeur : Sonatine
Parution : 2022
Origine : Angleterre (2020)
519 pages

De quoi ça cause ?

Duchess Radley, 13 ans, veille sur son petit frère, Robin, afin de pallier les défaillances de leur mère, Star, une femme à la dérive qui se laisse porter par les galères.

La famille Radley a été brisée par un drame survenu trente ans plus tôt, Sissy, la jeune sœur de Star, a été retrouvée morte. Et justement son assassin, Vincent King, doit sortir de prison dans les jours à venir.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Sonatine et l’occasion de découvrir un nouvel auteur qui intègre leur catalogue.

Parce qu’au vu des critiques dithyrambiques quasi-unanimes, je pouvais difficilement passer à côté de la chose et me forger ma propre opinion sur la chose.

Ma Chronique

Ah bin que voilà un bouquin qui va vous prendre aux tripes et vous les tordre dans tous les sens. J’ai eu le nez creux en n’enchaînant pas sa lecture directement après avoir bouclé L’Été Où Tout A Fondu.

Si le bouquin s’inscrit clairement dans le registre du roman noir américain, son auteur, Chris Whitaker est citoyen britannique. Duchess (We Begin At The End en VO) est son troisième roman, mais le premier traduit en français.

Noir c’est noir… c’est en tout cas comme ça que la jeune Duchess voit le monde qui l’entoure. Il faut dire que ce monde n’est pas vraiment du genre à lui redonner foi en l’humanité… même Walk, le très attentionné chef de la police de Cape Haven, ne lui inspire pas vraiment confiance.

Du coup Duchess, « hors-la-loi » autoproclamée, veille sur son petit frère comme une louve protégerait son petit. Gare à celui ou celle qui lui cherchera des noises, la riposte de Duchess sera sans appel.

il faut dire que la gamine a du caractère et serait du genre plutôt fonceur… un peu trop parfois, et ça pourrait bien lui jouer des tours ! Et pas qu’à elle… Mais à 13 ans on ne mesure pas toujours les possibles conséquences de ses actes.

Indéniablement Chris Whitaker sait y faire pour que Duchess touche l’âme et le cœur des lecteurs. Je reconnais toutefois volontiers que, parfois, j’ai eu des envies de lui foutre des baffes (notamment concernant son comportement avec Walk ou encore avec Hal, son grand-père)… tout en comprenant parfaitement que c’était sa façon de se protéger (ne pas s’attacher afin de ne pas souffrir).

L’auteur ne se contente pas de tisser son intrigue autour du personnage de Duchess, il développe aussi une véritable enquête policière et juridique dans laquelle Walk s’investira corps et âme pour sauver un ami qui ne semble pas vouloir être sauvé.

J’en profite pour souligner avec quel brio Chris Whitaker entretient l’ambiguïté (et donc les doutes) autour des personnages de Vincent King et de Dickie Darke. Il nous mitonne une intrigue pleine de fausses pistes, de retournements de situation totalement inattendus avant une ultime révélation qui nous laissera sur le cul. Hats off Mr Whitaker !

Ce qui est aussi remarquable avec ce jeune auteur, c’est l’attention qu’il porte à chacun de ses personnages, il n’y a pas de faire valoir avec lui. Chacun aura un rôle à jouer et sa personnalité influencera la façon dont il interviendra dans le déroulé de l’intrigue. J’avoue avoir eu un faible pour le jeune Thomas Noble et la doyenne Dolly (« Comme Dolly Parton, la poitrine en moins. »).

À la noirceur de l’intrigue s’oppose la magnificence des paysages, qu’il s’agisse de la bourgade – pas si paisible que ça – de Cape Haven sur la côte californienne ou des étendues sauvages du Montana. Malgré une noirceur omniprésente le roman s’autorise une note d’optimisme et d’espoir en fin de course. Et c’est tant mieux !

Ce mois de septembre fut riche en rencontres littéraires qui vont longtemps encore me trotter dans la tête. Qu’il s’agisse de Bert (Un Profond Sommeil), Sal (L’Été Où Tout A Fondu) ou Duchess, aucun de ces trois personnages (et leur parcours) ne devrait vous laisser de marbre. Le choix risque de s’avérer difficile lors de mon bilan livresque… même si j’ai déjà ma petite idée.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Tiffany Quay Tyson – Un Profond Sommeil

AU MENU DU JOUR


Titre : Un Profond Sommeil
Auteur : Tiffany Quay Tyson
Éditeur : Sonatine
Parution : 2022
Origine : Etats-Unis (2018)
400 pages

De quoi ça cause ?

1976, White Forest, un trou paumé au fin fond du Mississipi. Même si la carrière abandonnée traîne une sale réputation, c’est le seul point d’eau dans lequel les enfants peuvent se rafraîchir au cœur de l’été. Un après-midi de juillet, alors que le soleil tape fort, Willet et Bert y emmènent leur jeune sœur Pansy, pour s’y baigner.

En quête de baies sauvages et surpris par un orage, ils perdent leur cadette de vue durant quelques minutes. De retour à la carrière, ils ne peuvent que constater que Pansy a disparu…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Sonatine, ce qui en soi est déjà un sacré gage de qualité. Et parce que c’est l’occasion de découvrir une nouvelle auteure.

Ma Chronique

Je remercie les éditions Sonatine et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.

C’est dans son poème L’isolement que Lamartine affirme « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Une sentence encore plus vraie quand l’être en question est un enfant et que sa disparition laisse planer des doutes – mais aussi des espoirs – quant à son devenir.

C’est le drame qui va frapper la famille Watkins au cours de l’été 1976. Pour Willet et Bert, qui devaient garder un œil sur leur petite sœur, cette disparition va les obliger à entrer prématurément dans le monde des adultes, mais aussi à composer avec le poids de la culpabilité. Quant à leur mère elle s’enfonce inexorablement dans une dépression qui la vide de toute volonté et énergie. Le père est aux abonnés absents, disparus depuis des semaines sans avoir laissé le moindre mot d’explication.

Les semaines, les mois puis les années vont passer sans qu’aucun nouvel élément ne vienne éclairer les circonstances de la disparition de Pansy. Malgré leur peine et leur culpabilité Willet et Bert vont devoir aller de l’avant, même si rien ne sera jamais plus comme avant pour eux. Comme tout un chacun ils traverseront le temps en alternant entre les hauts (plutôt rares) et les bas qui rythment l’existence.

Une tranche de vie qui s’étale sur plus de sept années, du delta du Mississipi aux marécages des Everglades, une quête de la vérité qui va lever le voile sur bien des secrets de famille enfouis depuis trop longtemps et trop profondément. Une vérité parfois douloureuse à entendre mais c’est toujours mieux que de vivre dans le mensonge et l’ignorance.

Tous les chapitres se divisent en deux parties distinctes. Ils commencent par le récit des événements depuis la disparition de Pansy, écrit à la première personne, c’est Bert qui nous guide à travers l’intrigue. La seconde partie nous raconte l’histoire de White Forest et de la famille Watkins, une histoire qui s’est trop souvent écrit dans la douleur, les larmes et le sang. Deux arcs narratifs qui vont se justifier et se rejoindre dans les derniers chapitres du roman, créant ainsi un pont entre le passé et le présent.

Ce n’est pas forcément flatteur pour les Etats-Unis mais force est de constater les choses n’ont pas beaucoup évolué au fil des ans. Certes la ségrégation appartient au passé mais cela n’empêche pas une montée en puissance des extrêmes et du racisme qui va bien souvent de pair.

Pour un premier roman, Tiffany Quay Tyson nous livre un bouquin parfaitement maîtrisé de bout en bout, même en cherchant bien je ne lui trouve aucune fausse note. Un titre qui mettra parfois vos nerfs à rude épreuve, d’une noirceur sans fond mais de laquelle l’auteure parvient à faire jaillir une étincelle d’espoir et de bonheur… alors que l’on s’était résigné à un récit bercé de douleurs et de désillusions.

J’avoue que le choix du titre français me laisse perplexe, le titre original, The Past Is Never (Le passé c’est jamais), est en effet beaucoup plus raccord avec le contenu. Quoi qu’il en soit je peux vous assurer que cette lecture sera tout sauf soporifique. Une lecture qui se solde par un coup de cœur amplement mérité.

MON VERDICT

[BOUQUINS] R.J. Ellory – Omerta

AU MENU DU JOUR


Titre : Omerta
Auteur : R.J. Ellory
Éditeur : Sonatine
Parution : 2022
Origine : Angleterre (2006)
587 pages

De quoi ça cause ?

John Harper, écrivain en manque d’inspiration, vit à Miami où il gagne sa vie en tant que journaliste. Une vie sans histoire jusqu’à ce qu’il reçoive un appel de sa tante, qu’il n’a pas vu depuis 25 ans, celle-ci le presse de rentrer au plus vite à New York.

Là, il apprend que son père, qu’il n’a jamais connu et qu’il croyait mort depuis des années, est hospitalisé entre la vie et la mort à la suite d’une blessure par balle. Peu à peu John Harper va découvrir une réalité, présente et passée, qui le dépasse complètement…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que c’est Sonatine et R.J. Ellory, un duo qui n’a plus rien à prouver mais auquel il est impossible de résister.

Ma Chronique

Même si je suis loin d’avoir lu tous les romans de R.J. Ellory, c’est un auteur qui ne m’a jamais déçu. Force est pourtant de constater que j’ai eu du mal à entrer dans ce roman sans vraiment pouvoir expliquer le pourquoi du comment de la chose.

Le fait que ce soit une fausse nouveauté (publié en 2006 en version originale, c’est le quatrième roman de l’auteur) n’a pas joué en défaveur du bouquin. Bonne nouvelle en revanche, il n’y a plus de titres antérieurs à 2017 qui ne soit pas encore disponible en français. Cerise sur le gâteau (icing on the cake pour les anglophones), il y a au moins cinq titres parus à partir de 2017 non encore traduits.

J’ai trouvé que l’écriture manquait de naturel, avec même parfois quelques lourdeurs de style. Je serai tenté de jeter la pierre aux traducteurs mais je n’avais du tout eu la même impression en lisant Le Chant De L’Assassin. Peut-être que R.J. Ellory n’avait tout simplement pas encore trouvé sa voie (sa plume plus exactement) ; c’est en effet le premier roman de l’auteur antérieur au génialissime Seul Le Silence (publié l’année suivante en V.O.) que je lis.

Heureusement le fond fait rapidement oublier la forme avec une histoire de famille bourrée de secrets, de non-dits et de mensonges… Au fil des chapitres John Harper va découvrir une réalité insoupçonnée sur son propre passé et se retrouver, à l’insu de son plein gré, impliqué dans une vaste opération criminelle menée de concerts par deux gangs rivaux.

La sagesse populaire affirme qu’il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, un adage qui pourrait parfaitement s’appliquer à John Harper… à moins que celui-ci ne soit vraiment un Bisounours déconnecté de la réalité du monde qui l’entoure. Perso ça ne m’a pas aidé à éprouver une quelconque empathie pour le personnage.

À sa décharge on ne peut pas vraiment dire que son entourage l’aide beaucoup à y voir plus clair. Sa tante, Evelyn, se mure dans le silence ou ne lui raconte que des demi-vérités. Walt Freiberg, le bras droit de son père, l’embobine en enjolivant – voire en travestissant purement et simplement – les faits. Et Frank Duchaunak, un inspecteur obsédé par le père de Harper et ses acolytes, ne parle qu’à demi-mots et entretiens le flou (à se demander s’il a de véritables preuves ou juste de sérieux soupçons… le fameux faisceau d’indices).

Bien entendu l’aspect policier de l’intrigue n’est pas négligé. Nous avons en effet deux gangs rivaux qui vont faire équipe pour monter un « gros coup »… une coopération qui se fera sans jamais perdre une occasion de planter un couteau dans le dos de son rival. Ça complote à tout va dans les bas-fonds de Manhattan, et bien entendu les morts brutales se succèdent, d’un côté comme de l’autre.

Au chapitre du double-jeu (et plus si affinités) j’ai assez rapidement eu des doutes sur un des personnages, doutes fortement appuyés par un passage le mettant en scène lors d’un échange téléphonique avec un autre que son acolyte habituel. Il n’y avait alors que deux possibilités, et la seconde m’est apparue hautement improbables. La suite des événements me donnera raison.

L’auteur prend le temps de poser son intrigue sans toutefois qu’il y ait le moindre temps mort dans le déroulé du récit. Changement de rythme dans les derniers chapitres, brusque accélération et poussée d’adrénaline seront de la partie, pour notre plus grand plaisir !

Une intrigue maîtrisée de bout en bout et des personnages mitonnés aux petits oignons, hormis le style narratif qui semble se chercher encore, R.J. Ellory avait déjà tout pour imposer sa griffe dans le monde du noir. Ce qu’il confirmera un an plus tard avec Seul Le Silence et ne démentira pas au fil des années suivantes.

MON VERDICT

[BOUQUINS] David Joy – Nos Vies En Flammes

AU MENU DU JOUR


Titre : Nos Vies En Flammes
Auteur : David Joy
Éditeur : Sonatine
Parution : 2022
Origine : États-Unis (2020)
344 pages

De quoi ça cause ?

Veuf et retraité, Ray mène une vie tranquille et solitaire dans sa ferme des Appalaches. Outre une pauvreté galopante et un trafic de drogues en plein essor, la région doit aussi faire face à des incendies de forêts ravageurs.

Dans l’idéal, Ray souhaiterait que son fils, Ricky, le rejoigne. Mais ce-dernier préfère passer son temps à chercher un moyen de se faire un nouveau shoot…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que le duo Sonatine et David Joy a fait ses preuves plus d’une fois (deux en ce qui me concerne). C’est la promesse d’un roman absolument noir et totalement maîtrisé.

Ma Chronique

Je remercie les éditions Sonatine et Net Galley pour leur confiance renouvelée.

Une fois de plus, sous la plume de David Joy la région des Appalaches n’a rien d’un décor de carte postale. On serait tenté de croire qu’il noircit la réalité mais il n’en est rien, il parle de ce qu’il connait puisqu’il y vit (la postface de l’auteur, un article publié en 2020, est édifiante et fait froid dans le dos).

Il n’y a donc pas que les forêts qui flambent dans la région (en grande partie à cause de l’activité humaine, soit dit en passant), la pauvreté et la drogue (parfois l’association des deux) consument aussi une partie de la population. Comme de bien entendu certains savent tirer profit de cette situation en profitant de la manne qu’offre ce vaste marché parallèle.

Souvent les personnages de David Joy sont à la dérive, et on en retrouve aussi dans le présent roman (qu’il s’agisse de Ricky ou de Denny, tous deux junkies en perpétuelle recherche d’un petit trafic pour s’offrir leur prochain shoot). À la différence des précédents romans, l’auteur offre aussi des rôles de premier ordre à des personnages que je qualifierai de plus stables, qu’il s’agisse de Ray (un retraité qui vit une vie sans histoire), Leah (fliquette au bureau du sheriff) ou des agents de la DEA.

À travers le personnage de Ray, David Joy souligne les dommages collatéraux de la drogue sur les proches et notamment leur impuissance à changer le cours des choses.

On suit une intrigue à trois voies, celle de Ray justement, père désabusé par les dérives de son fils et par un système qu’il juge inerte et impuissant, celle de Denny, junkie à la dérive dont les perspectives se résument à son prochain shoot et celle de Rodriguez, flic infiltré dans l’attente d’une vaste opération de la DEA. Inutile de préciser que quand ces trois voies vont se croiser la rencontre sera pour le moins explosive.

Une intrigue fortement teintée de noir mais que j’ai trouvé moins « désespérée » que celle des précédents romans, je n’ai pas ressenti ce sentiment de détresse et les émotions fortes qu’il procure. Ça n’empêche pas le bouquin d’être captivant de bout en bout, mais il ne m’a pas mis une grande claque dans la gueule.

Un roman sans concession ni jugement (comme toujours de la part de l’auteur), fortement ancré dans une triste réalité et servi par la justesse de la plume (ou du clavier) de David Joy. Avec ce quatrième roman, l’auteur confirme qu’il est une des plumes incontournables du roman noir.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Odile Baltar – Arrête Ton Cirque

AU MENU DU JOUR


Titre : Arrête Ton Cirque !
Auteur : Odile Baltar
Éditeur : Fleuve Éditions
Parution : 2021
Origine : France
176 pages

De quoi ça cause ?

Laure est aussi égocentrique que son mari, François est tolérant, tellement tolérant qu’il accepte sans broncher les infidélités de son épouse.

Un matin, François annonce à Laure que Pascal, son amant, s’est suicidé. Une nouvelle qui va ébranler Laure au-delà de ce qu’elle soupçonnait.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

C’est la couv’ qui, la première, a titillé ma curiosité. Notamment cette mention de prix San Antonio. Vu l’amour de Frédéric Dard pour les mots, ça ne pouvait qu’être de bon augure.

La quatrième de couverture a fini de me convaincre.

Ma Chronique

Odile Baltar est la première lauréate du prix San Antonio, un prix créé par les éditions Fleuve qui récompense un polar inédit de 300 000 signes maximum qui se distingue par la qualité de la langue. La plus grande récompense pour l’auteur(e) étant une diffusion de son texte par l’éditeur.

Le jury ne s’est pas trompé en récompensant Odile Baltar, dès les premières lignes on est sous le charme de son écriture et de sa verve ; c’est que du bonheur de lire une telle prose.

J’avais terminé le vin. J’étais presque joyeuse. Mon amant s’était tranché la gorge et j’étais une salope : on n’allait pas en faire un fromage. Je ne lui avais jamais rien promis, à François ! Le vin me rendait hargneuse, je détestais les suicidés. C’étaient eux, les égocentriques, pas moi.

Il faut dire aussi que sa narratrice (Laure) est une femme à la personnalité très affirmée. Égoïste, égocentrique, égotique, un tantinet déjantée et très infidèle…  Pas franchement l’épouse modèle, et pourtant son mari l’aime à la folie et lui pardonne tous ses écarts.

Pour faire simple on va dire que Laure a une façon très personnelle d’aborder la vie et que les pensées défilent à un rythme débridé dans sa caboche. C’est donc d’une façon toute aussi personnelle qu’elle va faire le deuil de son amant… et se retrouver dans des situations où même elle risque d’être dépassée par les événements.

Le ton est aussi décalé que son héroïne, les mots sont parfois crus mais jamais vulgaires, c’est délicieusement amoral avec une pointe de noir. On se laisse volontiers embarquer par le périple rocambolesque de Laure, on s’en fout si ce n’est pas franchement crédible par moments, l’auteure veut s’amuser et amuser les lecteurs ; et ça fonctionne ! On se vide la tête, les zygomatiques s’affolent. C’est juste jouissif comme lecture.

Je vais volontairement faire l’impasse sur les personnages et les divers éléments de l’intrigue ; je dirai simplement que Odile Baltar nous offre un subtil cocktail de vaudeville / feel-good / noir.

Compte tenu de l’épaisseur du bouquin (moins de 200 pages) et de la qualité de l’écriture, le bouquin s’avale quasiment d’une traite. Cerise sur le gâteau, l’intrigue s’offre même le luxe de surprendre le lecteur avec une ultime révélation.

Pour l’anecdote le manuscrit a concouru pour le prix San Antonio sous le titre Ego-trip-bad-side-fucking-life-for-nothing-bla-bla-bla et était signé Nane. Vingt titres étaient en lice, trois ont été retenus en phase finale. Vous connaissez la suite…

On ne sait pas grand-chose d’Odile Baltar, sinon qu’il s’agit d’un nom de plume, qu’elle est Belge et ne compte pas sortir de l’ombre pour le moment. J’espère sincèrement qu’elle poursuivra l’expérience littéraire, une plume pareille a sûrement encore beaucoup d’histoires à nous raconter.

MON VERDICT

[BOUQUINS] Mathieu Menegaux – Femmes En Colère

AU MENU DU JOUR


Titre : Femmes En Colère
Auteur : Mathieu Menegaux
Éditeur : Grasset
Parution : 2021
Origine : France
198 pages

De quoi ça cause ?

Mathilde Collignon attend, sonnée, que le jury d’assises de Rennes délibère sur son sort.

Sonnée parce que l’avocat général a requis vingt ans de prison à son encontre, avec une période de sûreté de douze années.

Trois ans plus tôt, Mathilde, victime d’un viol, a appliqué sa propre justice. Aujourd’hui, aux yeux de la justice, elle est sur le banc des accusés et ses deux violeurs sont les plaignants…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Pour son pitch qui est malheureusement plus que jamais dans l’air du temps.

Pour sa couv’, aussi explicite qu’intrigante.

Ma Chronique

Je remercie les éditions Grasset et Net Galley qui ont donné une suite favorable à ma sollicitation.

Même si, concrètement ce n’est pas le fichier proposé par Grasset que j’ai lu… encore un éditeur qui n’a pas compris que l’ère du PDF était révolue depuis bien longtemps. Heureusement j’ai pu me procurer le bouquin au format epub, et c’est donc cette version que j’ai lu et m’en vais chroniquer de ce pas. Encore un détournement de partenariat Net Galley (après Dehors Les Chiens), ça m’évite de rejeter un titre qui m’a été gracieusement proposé.

Mathieu Menegaux signe un roman qui fait écho à l’actualité de ces dernières années, qu’il s’agisse des mouvements #MeToo ou #BalanceTonPorc qui ont agité les réseaux sociaux et par extension les médias, ou des cas de féminicides qui se multiplient. Plus que jamais la femme n’a le droit de demander à être respectée, écoutée et entendue.

Il faut malheureusement que des victimes comme Jacqueline Sauvage ou Valérie Bacot abattent leur bourreau pour que l’opinion s’émeuve sur leur condition… avant de les oublier et de passer à autre chose !

Le personnage de Mathilde Collignon est une de ces femmes qui a choisi d’agir de son propre chef plutôt que d’espérer une réaction juste et approprié des autorités judiciaires. Elle s’est occupée des deux ordures qui l’ont violée… sans les tuer toutefois, mais en faisant en sorte qu’ils n’oublient jamais qu’une femme n’est pas un tas de barbaque dont on peut user et abuser. Une punition à la hauteur de ce qu’ils méritaient… mais que la justice aurait été incapable de leur infliger.

Au fil des chapitres on alterne entre le récit et les émotions de Mathilde dans l’attente du verdict, et les débats (souvent animés) en salle des délibérés.

J’avoue sans aucun complexe que je ne connaissais pas le système français des délibérés, je suis plus familier, à force d’ingurgiter des séries TV et des films, du jury à l’américaine. J’ai donc trouvé ces chapitres aussi instructifs que construits avec beaucoup d’intelligence et de réalisme.

Quant au récit de Mathilde, je n’ai aucune honte à reconnaître qu’il a su me tirer des larmes. Des larmes de peine pour ce qu’elle a subi et ce qu’elle subit encore face à l’incertitude du verdict. Mais aussi et surtout des larmes de haine à l’état brut pour les deux salopards qui l’ont violé.

Mathieu Menegaux réussit le pari de nous prendre aux tripes avec son roman. Un texte court (moins de 200 pages), mais intense et éprouvant. Un bouquin qui m’a laissé KO debout, complètement vide.

Vous aurez compris sans peine que je suis partisan assumé et revendiqué d’un verdict de non-culpabilité (malgré les aveux de Mathilde) et d’une relaxe pure et simple.

Bien entendu je ne vous dirai rien du verdict, mais je peux vous assurer qu’avant d’en arriver là votre palpitant aura été mis à rude épreuve. Ce serait presque frustrant de ne pas pouvoir s’épancher sur ledit verdict, on aimerait en parler et en débattre comme si on était dans la salle des délibérés, répondre aux questions posées aux jurés, défendre notre position…

Mathieu Menegaux nous offre un roman brillamment construit, à défaut de faire avancer le schmilblick (et éveiller les consciences), il amène ses lecteurs (et lectrices) à se poser des questions et à réfléchir sur le sujet. Rien que pour ça, je vous salue bien bas monsieur.

MON VERDICT

Coup de poing

Morceaux (nombreux… quand on aime on ne compte pas) choisis

L’opinion peut bien s’agiter, la presse multiplier les éditoriaux, les politiques occuper les plateaux de télévision, la justice applique les textes que le législateur a fait voter.

Quand je pense que, dans ce procès, je suis l’« accusée » et que les deux salopards sont les « parties civiles ». Je voudrais tout reprendre à zéro. Je voudrais qu’on remette les choses à leur place : je suis la victime et ils sont les bourreaux. J’ai refusé de tenir ce rôle. J’ai refusé de me plier aux règles. Je n’avais pas le « bon » viol, de toute façon. Pas de couteau, pas de rôdeur, pas de parking mal éclairé, pas d’heure tardive, pas de pervers détraqué. Personne ne m’aurait crue.

Pourtant c’est clair : avouer aimer le sexe, pour une femme, en 2020, malgré tous les Weinstein, les Polanski et les #MeToo du monde, c’est toujours s’exposer à être considérée comme une putain, une traînée, une salope, une allumeuse et toute la litanie de qualificatifs imagés écrits par des hommes.

Malgré les témoignages, malgré les tutos sur YouTube comparant le consentement sexuel à l’envie d’une tasse de thé, malgré les cours prodigués dans certaines universités, malgré tout ce qui a pu se dire, se lire, s’écrire, une femme qui dit NON continue, pour beaucoup d’hommes aujourd’hui, à n’attendre qu’une bonne pénétration pour se mettre à crier « Oh oui » et avoir subitement envie de s’enfiler jusqu’à s’en étouffer un sexe bien au fond de la gorge.

Ce n’était peut-être pas de la légitime défense. Mais j’estime que c’était une défense légitime.

Ce n’est peut-être pas de la légitime défense, comme vous nous la décrivez dans les textes de loi, mais c’est un acte de légitime défense dans ce monde où les femmes ne sont pas écoutées quand elles crient, quand elles sont battues, quand elles sont violées. Le jour où les hommes et les femmes seront à armes égales, ce jour-là et ce jour-là seulement, bien sûr, il faudra la condamner. Mais aujourd’hui on ne peut pas. Elle n’avait pas d’autre choix. Et elle a protégé les autres femmes qui auraient fini par devenir victimes de ces deux salauds. Je refuse de condamner cette femme. La condamner, c’est accepter la société dans laquelle nous vivons. L’acquitter, c’est faire changer la peur de camp.

La démocratie, c’est bien commode dès lors que le petit peuple vote tout bien comme les élites lui ont indiqué qu’il convenait, n’est-ce pas ? Mais si le résultat n’est pas dans la ligne, c’est que le peuple n’a pas compris, que le pouvoir n’a pas fait suffisamment de pédagogie et il convient pour les dominants de trouver d’urgence une entourloupe pour enfumer le peuple. Les femmes se rebellent, affirment qu’il ne s’agit ni de barbarie ni de vengeance, mais bien de justice et toc, les hommes s’empressent de retirer le droit de vote aux femmes, c’est bien cela ?

Je suis la criminelle et ils sont les victimes. Alors qu’ils m’ont fait mal, ces deux salauds, tellement mal. J’étais le petit chaperon rouge, je gambadais avec insouciance, et je ne m’attendais pas à tomber sur un grand méchant loup. Encore moins sur deux à la fois.

J’ai dit non. Je l’ai crié, je l’ai hurlé, je l’ai murmuré, je l’ai bégayé, je l’ai répété sur tous les tons, mais personne n’a entendu, personne n’est venu, je me suis débattue un temps, mais ils m’ont forcée à tour de rôle, brisée, et j’ai fini par abandonner le combat, en espérant que ça me ferait moins mal et que je sortirais vivante de ce traquenard. J’ai eu peur pour ma vie, une peur animale, viscérale, paralysante. Ils se sont servis de moi, je les entendais m’insulter, leurs mains me frappaient les fesses, ils m’ont tiré les cheveux, empoignée, brutalisée, forcée encore et encore. Ils m’ont salie partout. Un déchaînement de bruit, de violence, de douleur, de soumission, d’odeur de sueur et de porcherie.