AU MENU DU JOUR
Titre : Femmes En Colère
Auteur : Mathieu Menegaux
Éditeur : Grasset
Parution : 2021
Origine : France
198 pages
De quoi ça cause ?
Mathilde Collignon attend, sonnée, que le jury d’assises de Rennes délibère sur son sort.
Sonnée parce que l’avocat général a requis vingt ans de prison à son encontre, avec une période de sûreté de douze années.
Trois ans plus tôt, Mathilde, victime d’un viol, a appliqué sa propre justice. Aujourd’hui, aux yeux de la justice, elle est sur le banc des accusés et ses deux violeurs sont les plaignants…
Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?
Pour son pitch qui est malheureusement plus que jamais dans l’air du temps.
Pour sa couv’, aussi explicite qu’intrigante.
Ma Chronique
Je remercie les éditions Grasset et Net Galley qui ont donné une suite favorable à ma sollicitation.
Même si, concrètement ce n’est pas le fichier proposé par Grasset que j’ai lu… encore un éditeur qui n’a pas compris que l’ère du PDF était révolue depuis bien longtemps. Heureusement j’ai pu me procurer le bouquin au format epub, et c’est donc cette version que j’ai lu et m’en vais chroniquer de ce pas. Encore un détournement de partenariat Net Galley (après Dehors Les Chiens), ça m’évite de rejeter un titre qui m’a été gracieusement proposé.
Mathieu Menegaux signe un roman qui fait écho à l’actualité de ces dernières années, qu’il s’agisse des mouvements #MeToo ou #BalanceTonPorc qui ont agité les réseaux sociaux et par extension les médias, ou des cas de féminicides qui se multiplient. Plus que jamais la femme n’a le droit de demander à être respectée, écoutée et entendue.
Il faut malheureusement que des victimes comme Jacqueline Sauvage ou Valérie Bacot abattent leur bourreau pour que l’opinion s’émeuve sur leur condition… avant de les oublier et de passer à autre chose !
Le personnage de Mathilde Collignon est une de ces femmes qui a choisi d’agir de son propre chef plutôt que d’espérer une réaction juste et approprié des autorités judiciaires. Elle s’est occupée des deux ordures qui l’ont violée… sans les tuer toutefois, mais en faisant en sorte qu’ils n’oublient jamais qu’une femme n’est pas un tas de barbaque dont on peut user et abuser. Une punition à la hauteur de ce qu’ils méritaient… mais que la justice aurait été incapable de leur infliger.
Au fil des chapitres on alterne entre le récit et les émotions de Mathilde dans l’attente du verdict, et les débats (souvent animés) en salle des délibérés.
J’avoue sans aucun complexe que je ne connaissais pas le système français des délibérés, je suis plus familier, à force d’ingurgiter des séries TV et des films, du jury à l’américaine. J’ai donc trouvé ces chapitres aussi instructifs que construits avec beaucoup d’intelligence et de réalisme.
Quant au récit de Mathilde, je n’ai aucune honte à reconnaître qu’il a su me tirer des larmes. Des larmes de peine pour ce qu’elle a subi et ce qu’elle subit encore face à l’incertitude du verdict. Mais aussi et surtout des larmes de haine à l’état brut pour les deux salopards qui l’ont violé.
Mathieu Menegaux réussit le pari de nous prendre aux tripes avec son roman. Un texte court (moins de 200 pages), mais intense et éprouvant. Un bouquin qui m’a laissé KO debout, complètement vide.
Vous aurez compris sans peine que je suis partisan assumé et revendiqué d’un verdict de non-culpabilité (malgré les aveux de Mathilde) et d’une relaxe pure et simple.
Bien entendu je ne vous dirai rien du verdict, mais je peux vous assurer qu’avant d’en arriver là votre palpitant aura été mis à rude épreuve. Ce serait presque frustrant de ne pas pouvoir s’épancher sur ledit verdict, on aimerait en parler et en débattre comme si on était dans la salle des délibérés, répondre aux questions posées aux jurés, défendre notre position…
Mathieu Menegaux nous offre un roman brillamment construit, à défaut de faire avancer le schmilblick (et éveiller les consciences), il amène ses lecteurs (et lectrices) à se poser des questions et à réfléchir sur le sujet. Rien que pour ça, je vous salue bien bas monsieur.
MON VERDICT
Morceaux (nombreux… quand on aime on ne compte pas) choisis
L’opinion peut bien s’agiter, la presse multiplier les éditoriaux, les politiques occuper les plateaux de télévision, la justice applique les textes que le législateur a fait voter.
Quand je pense que, dans ce procès, je suis l’« accusée » et que les deux salopards sont les « parties civiles ». Je voudrais tout reprendre à zéro. Je voudrais qu’on remette les choses à leur place : je suis la victime et ils sont les bourreaux. J’ai refusé de tenir ce rôle. J’ai refusé de me plier aux règles. Je n’avais pas le « bon » viol, de toute façon. Pas de couteau, pas de rôdeur, pas de parking mal éclairé, pas d’heure tardive, pas de pervers détraqué. Personne ne m’aurait crue.
Pourtant c’est clair : avouer aimer le sexe, pour une femme, en 2020, malgré tous les Weinstein, les Polanski et les #MeToo du monde, c’est toujours s’exposer à être considérée comme une putain, une traînée, une salope, une allumeuse et toute la litanie de qualificatifs imagés écrits par des hommes.
Malgré les témoignages, malgré les tutos sur YouTube comparant le consentement sexuel à l’envie d’une tasse de thé, malgré les cours prodigués dans certaines universités, malgré tout ce qui a pu se dire, se lire, s’écrire, une femme qui dit NON continue, pour beaucoup d’hommes aujourd’hui, à n’attendre qu’une bonne pénétration pour se mettre à crier « Oh oui » et avoir subitement envie de s’enfiler jusqu’à s’en étouffer un sexe bien au fond de la gorge.
Ce n’était peut-être pas de la légitime défense. Mais j’estime que c’était une défense légitime.
Ce n’est peut-être pas de la légitime défense, comme vous nous la décrivez dans les textes de loi, mais c’est un acte de légitime défense dans ce monde où les femmes ne sont pas écoutées quand elles crient, quand elles sont battues, quand elles sont violées. Le jour où les hommes et les femmes seront à armes égales, ce jour-là et ce jour-là seulement, bien sûr, il faudra la condamner. Mais aujourd’hui on ne peut pas. Elle n’avait pas d’autre choix. Et elle a protégé les autres femmes qui auraient fini par devenir victimes de ces deux salauds. Je refuse de condamner cette femme. La condamner, c’est accepter la société dans laquelle nous vivons. L’acquitter, c’est faire changer la peur de camp.
La démocratie, c’est bien commode dès lors que le petit peuple vote tout bien comme les élites lui ont indiqué qu’il convenait, n’est-ce pas ? Mais si le résultat n’est pas dans la ligne, c’est que le peuple n’a pas compris, que le pouvoir n’a pas fait suffisamment de pédagogie et il convient pour les dominants de trouver d’urgence une entourloupe pour enfumer le peuple. Les femmes se rebellent, affirment qu’il ne s’agit ni de barbarie ni de vengeance, mais bien de justice et toc, les hommes s’empressent de retirer le droit de vote aux femmes, c’est bien cela ?
Je suis la criminelle et ils sont les victimes. Alors qu’ils m’ont fait mal, ces deux salauds, tellement mal. J’étais le petit chaperon rouge, je gambadais avec insouciance, et je ne m’attendais pas à tomber sur un grand méchant loup. Encore moins sur deux à la fois.
J’ai dit non. Je l’ai crié, je l’ai hurlé, je l’ai murmuré, je l’ai bégayé, je l’ai répété sur tous les tons, mais personne n’a entendu, personne n’est venu, je me suis débattue un temps, mais ils m’ont forcée à tour de rôle, brisée, et j’ai fini par abandonner le combat, en espérant que ça me ferait moins mal et que je sortirais vivante de ce traquenard. J’ai eu peur pour ma vie, une peur animale, viscérale, paralysante. Ils se sont servis de moi, je les entendais m’insulter, leurs mains me frappaient les fesses, ils m’ont tiré les cheveux, empoignée, brutalisée, forcée encore et encore. Ils m’ont salie partout. Un déchaînement de bruit, de violence, de douleur, de soumission, d’odeur de sueur et de porcherie.