AU MENU DU JOUR
Titre : Chasse À L’Homme
Auteur : Gretchen Felker-Martin
Éditeur : Sonatine
Parution : 2023
Origine : États-Unis (2022)
408 pages
De quoi ça cause ?
Une épidémie a transformé les êtres humains à haut niveau de testostérone en des créatures uniquement mues par leurs besoins les plus primaires : se nourrir, violer, tuer. Tous les individus masculins sont ainsi devenus de dangereux zombies.
Beth et Fran, deux femmes trans, sont chasseuses d’hommes : elles ont en effet besoin d’absorber les œstrogènes contenus dans leurs testicules pour éviter la contagion.
Bientôt, elles vont devoir affronter des ennemis plus impitoyables encore : une armée de féministes radicales, qui haïssent les femmes trans encore davantage que les hommes.
Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?
Parce que c’est Sonatine, ce qui pourrait une raison suffisante. Mais pas que…
Impossible de rester de marbre face à cette couille couv’. Mais encore…
Il faut bien répondre à la question en accroche de la quatrième de couv’ : « Le roman le plus dérangeant de l’année ? »
Ma Chronique
Je remercie les éditions Sonatine et la plateforme Net Galley pour leur confiance renouvelée.
Commençons par le commencement avant de reprendre depuis le début. Dérangeant ? Oui et non. Oui pour la thématique de la transsexualité et la question du genre, une question qui bien souvent pousse l’individu lambda à faire la politique de l’autruche : « Ça ne me concerne pas, alors je m’en fous ! ». Mais ceux-là ne sont pas les plus dangereux, les pires sont les tenants de la « bien-pensance » qui prônent une tolérance absolue jusqu’à ce qu’ils soient directement confrontés à la question et retournent leur veste de façon radicale.
Pour ma part je revendique mon statut d’individu genré et racisé : je suis un homme blanc hétérosexuel et j’en suis fier. Ce n’est pas pour autant que je ferme ma porte (et mon esprit) aux autres, du moment qu’ils respectent mon identité autant que je respecte la leur.
Pour être tout à fait franc, ce qui m’a le plus dérangé dans ce bouquin est le recours à l’écriture inclusive. Certes ça sert le propos de l’auteure et ça peut même se comprendre, mais il n’en reste pas moins que ça pique méchamment les yeux… avec le temps qu’il faut pour avoir un rencart chez un ophtalmo, c’est sadique comme démarche.
Dérangeant sur la forme ? Non, il faut plus que ça pour m’empêcher de dormir ou me choquer. Il n’en reste pas moins que c’est un bouquin à réserver à un « public averti ». C’est trash, cru et explicite ; qu’il s’agisse de décrire la violence où la sexualité, l’auteur n’y va pas par quatre chemins.
Revenons au début donc. Tout commence par une épidémie baptisée T. Rex – juste avec le nom, tu devines que ça ne va pas une être simple grippe. Kezaco exactement ? Je laisse la parole à Gretchen Felker-Martin pour un point épidémiologique :
L’épidémie, T. REX, était aussi fiable qu’une putain d’horloge atomique. D’abord, une faim inextinguible. Des sautes d’humeur. De la fièvre. Des crevasses cutanées dont suintaient du pus et du sang clair qui formaient des croûtes, s’arrachaient puis se reformaient jusqu’à ce que la peau fasse près de trois centimètres d’épaisseur, par endroits. Des accès d’agressivité intenses. De délire, aussi. Une fois que l’éruption volcanique des premiers symptômes se solidifiait en créatures voraces, ululant, qui grouillaient comme des poux sur l’ensemble du supercontinent américain, quelque chose se mettait en place dans ce qui restait de cerveau à l’homme et il commençait immédiatement à chercher de quoi violer, mutiler et laisser pour mort, comme ces guêpes qui pondent leurs œufs dans des tarentules vivantes. La bonne nouvelle, c’était que les grossesses étaient plus courtes désormais. Beaucoup plus courtes. La mauvaise, c’était que les bébés sortaient du corps de leur mère en lui dévorant la paroi abdominale.
Sympathique, non ?
Pour les quelques hommes épargnés par le virus, la protection passe par la consommation massive d’œstrogènes. Et la meilleure source d’œstrogènes se trouve être les coucougnettes de ces mâles mutants… sauf qu’ils ne se laisseront pas castrer sans opposer une vive résistance.
C’est ainsi que l’on fait connaissance avec Beth et Fran, des transsexuelles, chasseuses d’hommes et préleveuses de couilles. Deux amies réunies par la nécessité de survivre au caractère diamétralement opposé, alors que Fran laisse libre cours à son côté féminin, Beth apparaît plus rugueuse, brute de décoffrage.
Dans ce monde de demain pas très accueillant, un danger pire que les nouveaux mâles guette les survivant(e)s transgenres. Les TERF, des milices de femmes qui vouent une haine farouche aux trans. Pour elles il n’y a pas à tortiller du cul, un bon trans est un trans mort.
Elles ne s’embarrassaient pas de procès, elles se contentaient de baisser votre pantalon et de vous coller deux balles dans la nuque si elles trouvaient une bite.
Voilà pour ce qui est de poser le décor de ce roman post-apocalyptique qui ne ressemble à nul autre. Un pari audacieux de la part de Gretchen Felker-Martin (qui est américaine comme vous l’aurez certainement deviné) pour un premier roman… ça passe ou ça casse, selon les lecteurs.
J’ai la chance d’appartenir à la première catégorie, même si je suis bien loin de considérer ce bouquin comme une œuvre majeure du genre. J’ai aimé le côté très glauque – presque poisseux – qui se dégage du roman et un style à l’image du décor…
Le fait de ne n’avoir éprouvé de réelle empathie pour aucun des personnages ne m’a pas dérangé outre mesure ; je me suis davantage positionné en tant que lecteur / spectateur de l’intrigue plutôt que de lecteur / acteur.
Outre nos deux chasseuses de couilles sur pattes, vous ferez aussi la connaissance du Dr Indi Varma qui, en plus de réparer les petits et gros bobos de sa communauté, synthétise les œstrogènes. Chez les TERF c’est le personnage de Ramona Pierce qui est de loin le plus intéressant du fait de ses contradictions entre son devoir et ses sentiments.
À aucun moment je n’ai eu envie d’abandonner ma lecture, au contraire, chapitre après chapitre, rebondissement après rebondissement, il me tardait de savoir comment allait se terminer cette foire d’empoigne version XXL.
Je ne chercherai pas à convaincre ceux et celles qui seraient réticents à l’idée de se lancer dans ce bouquin, c’est vrai que cela reste une lecture très spéciale. Peut-être que moi-même, dans un autre état d’esprit, j’aurai pu avoir un ressenti totalement différent… Allez savoir, avec les OLNI (Objets Littéraires Non Identifiés) tout est possible.
MON VERDICT