[BOUQUINS] Jean-Laurent Del Socorro – Morgane Pendragon

An 601. Île de Bretagne. Depuis la mort d’Uther Pendragon, souverain du royaume de Logres, aucun héritier n’est monté sur le trône. Pour cela, il faudrait réussir à extraire l’épée du défunt monarque, enchâssée dans la pierre. À l’aube de ce nouveau siècle, les prophètes en sont pourtant persuadés : un nouveau roi va naître. Le puissant Merlin a la certitude qu’il s’agit de son protégé, le jeune Arthur, mais c’est Morgane, la fille cachée d’Uther, qui s’empare de l’épée. Réussira-t-elle à faire face aux guerres, aux intrigues et aux trahisons, et à s’imposer comme une souveraine légitime ?

Parce que j’ai trouvé l’idée de réécrire la geste arthurienne au féminin était un pari plutôt audacieux. Du coup j’étais curieux de découvrir la légende morganienne.

J’avoue ne connaître de la geste arthurienne que les grandes lignes, mes classiques sur le sujet se résument à la série et au film Kaamelott. Pas sûr que la vision d’Alexandre Astier soit des plus rigoureuses.

Cette lacune n’est pas un problème pour aborder le roman de Jean-Laurent Del Socorro, au contraire ! Oubliez tout ce que vous savez – ou croyez savoir – l’auteur nous offre une réécriture de la légende, une revisite au féminin pouvait sembler un pari audacieux, voire même un peu fou. Un pari qu’il remporte haut la main !

Déjà l’auteur fait la part belle aux personnages féminins. Pas seulement via le personnage de Morgane qui va se retrouver reine de Logres et par extension reine de Bretagne (même si ce titre n’est jamais évoqué). Là où la légende dresse une table ronde exclusivement masculine, Jean-Laurent Del Socorro opte lui pour la mixité. Une place qui s’affirmera au fil des chapitres, les personnages féminins jouant souvent un rôle essentiel dans le déroulé de l’intrigue.

En revanche force est de reconnaître que le terme « messoeur » adopté par l’auteur comme pendant féminin de « messire », pique les yeux et fait saigner les oreilles.

De fait cela impose de réinventer le destin de certains personnages masculins, à commencer par Arthur mais c’est surtout le personnage de Merlin qui verra son rôle complétement réécrit. Un choix qui pourra surprendre mais s’avérera finalement en totale adéquation avec l’intrigue imaginée par l’auteur.

Une intrigue qui devra jongler entre les impératifs militaires, politiques, religieux et même sentimentaux (hé oui, même au cœur du tumulte et des intrigues, l’amour aura son mot à dire). Toutes ces dimensions sont parfaitement dosées et mises en scène par Jean-Laurent Del Socorro.

Sans oublier le fer de lance d’un récit de fantasy, la magie. C’est le royaume de Galles et son Roi Pêcheur qui feront souffler un vent mystique et magique sur le récit. En plus des personnages maîtrisant les arcanes magiques, nous croiserons quelques créatures magiques, parfois bienveillantes, parfois nettement plus hostiles.

De la première à la dernière page du roman l’auteur semble jouer avec les codes de la légende arthurienne. Il pioche des éléments incontournables de la geste mais leur attribue un nouveau rôle (ainsi Excalibur fera une son apparition que bien plus tard dans le déroulé de l’intrigue… à un moment où les cartes seront totalement rebattues).

Jean-Laurent Del Socorro donne un second souffle à une légende certes bien ancrée dans les esprits mais un tantinet poussiéreuse et presque machiste tant la place de la femme est reléguée au second plan. On se laisse bien volontiers entraîner dans cette revisite menée tambour battant qui vous réservera bien des surprises et des revirements de situation.

Pour sa narration l’auteur alterne entre les points de vue de Morgane et d’Arthur, des visions qui souvent se complètent mais parfois s’opposent. Morgane qui du jour au lendemain se retrouve propulsée sur le devant de la scène, devenant à la fois chef politique et chef de guerre. Arthur qui rêvait de grandeur mais verra son destin lui échapper en échouant à retirer l’épée d’Uther Pendragon.

Les personnages secondaires ne servent pas uniquement de faire valoir, à commencer par les Épées de Morgane, des chevaliers et chevalières qui formeront son conseil aussi bien politique que militaire. Mention spéciale à Guenièvre (qui trouve ici une place bien plus honorable que celle qui lui est donnée dans la série Kaamelott), Lancelot et son incroyable vanité mais aussi et surtout à Arcade, la barde chevalière.

Le Royaume de Bretagne réinventé par Jean-Laurent Del Socorro est certes rude – voire rugueux –, mais c’est aussi un modèle de tolérance où la parité hommes / femmes va au-delà des mots, où chacun est libre de vivre sa sexualité comme il/elle le souhaite, où les religions devraient pouvoir cohabiter en paix (du moins jusqu’à ce que les chrétiens viennent foutre la merde).

J’ai été totalement emballé par ce bouquin et le l’excellence de Jean-Laurent Del Socorro à nous immerger dans son récit. La geste morganienne n’a définitivement pas à rougir face à son illustre aîné.

[BOUQUINS] Jean-Laurent Del Socorro – Je Suis Fille De Rage

AU MENU DU JOUR


Titre : Je Suis Fille De Rage
Auteur : Jean-Laurent Del Socorro
Éditeur : ActuSF
Parution : 2019
Origine : France
350 pages

De quoi ça cause ?

1861. La guerre civile déchire les Etats-Unis à la suite de la Sécession de certains états du sud. Les deux camps se préparent à ce conflit inédit, chacun étant persuadé de sortir en grand vainqueur de cette guerre.

Tout au long du conflit, Lincoln s’entretiendra en tête à tête avec La Mort dans le bureau présidentiel de la Maison Blanche.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que ça fait un moment que ce bouquin me fait de l’œil depuis les tréfonds de mon Stock à Lire Numérique. Un Book Club sur le thème de la fantasy désignera ce roman comme heureux élu, c’est l’occasion rêvée pour succomber à la tentation.

Ma Chronique

D’entrée je tiens à préciser que le côté fantasy est quasiment inexistant, un président qui cause avec La mort lorgne plus vers le registre fantastique si vous voulez mon avis. Mais ce bouquin est avant tout un roman choral historique pour lequel Jean-Laurent Del Socorro a produit un énorme travail de documentation (comme l’atteste la bibliographie sélective en fin d’ouvrage) afin de rester aussi fidèle que possible à l’Histoire de la Guerre de Sécession.

J’avoue très humblement que ma connaissance de la guerre civile américaine se limite à ce que j’ai pu voir au cinéma et à la télévision… et la lecture de la série BD Les Tuniques Bleues. Autant dire que je suis franchement profane sur le sujet.

Dans le roman de Jean-Laurent Del Socorro les personnages historiques (Lincoln en tête, mais aussi les généraux Grant – Nord – et Lee – Sud – et d’autres encore plus ou moins connus) côtoient les personnages inventés par l’auteur qui prendront une part plus ou moins active au conflit.

Dans le même ordre d’idée, le lecteur va alterner entre les documents historiques (extrait de presse, échanges officiels ou personnels des acteurs du conflit) et le récit à proprement parler.

L’auteur aide le lecteur profane à y voir plus clair grâce à un guide de lecture et une carte qui s’avéreront de précieux alliés.

Le roman est divisé en cinq parties (une par année de guerre, de 1861 à 1865), elles-mêmes découpées en chapitre donnant voix à un point de vue (c’est le principe du roman choral, que les anglo-saxons appellent tout simplement point of view – PoV pour les intimes). On passe ainsi du point de vue Nordiste à celui Sudiste sans que l’auteur ne cherche à faire pencher la balance dans un sens ou un autre.

La construction s’avère d’une redoutable efficacité, l’immersion est totale, en quelques heures vous vivez les cinq années de guerre civile qui ont déchiré les Etats-Unis. On découvre ainsi que l’esclavage n’a pas immédiatement une motivation pour Lincoln qui visait avant tout à réunifier le pays, ce n’est qu’en 1863 qu’il fera de l’esclavage un de ses chevaux de bataille (par conviction ou par stratégie ? à chacun de se faire sa propre opinion sur le sujet).

L’image que l’on peut se faire de certain héros de la guerre de Sécession tels que Grant ou Sherman prend du plomb dans l’aile quand on songe au nombre de vies qu’ils ont sacrifié… était-ce vraiment le prix à payer pour remporter la victoire ?

Dans le camps Sudiste le général Lee apparaît comme un fin stratège qui doit gérer des ressources moindres que ses adversaires du Nord mais donnera bien du fil à retordre à ses ennemis avant de se rendre… bien conscient que prolonger le combat reviendrait à sacrifier inutilement des soldats déjà lourdement éprouvés.

À l’opposé Nathan Forrest est un illuminé mystique qui trouve dans la Bible la justification de sa haine contre le Nord et de son racisme. J’avoue que je connaissais pas du tout ce personnage, mais, comme vous pourrez le constater, chez certains la haine fait partie intégrante de leur personne. Ce n’est pas une fin de conflit ou une défaite qui les changera.

Certains personnages apportent heureusement un peu de légèreté au milieu de la boue, des larmes et du sang. Je pense notamment à ces amoureux qui ridiculisent gentiment le couple mythique d’Autant En Emporte Le Vent.

J’ai particulièrement aimé suivre les parcours de Caroline (la Fille qui n’a plus de père), Kate (l’Affranchie qui n’est pas libérée), Jenny (la Capitaine qui force le destin) ou encore Minuit et son Bleu. D’autres ne feront que des passages éclairs dans le conflit (tels que Sue, Soldate confédérée et Nolan, Soldat de l’Union).

Ce roman fut une belle surprise et une belle découverte, captivant de bout en bout.

MON VERDICT