[BOUQUINS] Jakub Szamalek – Tu Sais Qui

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Titre : Tu Sais Qui
Auteur : Jakub Szamalek
Éditeur : Métailié
Parution : 2022
Origine : Pologne (2019)
464 pages

De quoi ça cause ?

Varsovie, octobre 2018. Julita Wójcicka est « journaliste » pour un tabloïd du Net, sa rédactrice en chef lui demande de rédiger un article express sur la mort d’un ancien présentateur TV, qui a connu son heure de gloire dans les années 80-90, et qui vient d’être victime d’un accident de la route. Une tâche facile dont Julita s’acquitte en un temps record.

Plus tard, en observant les photos de l’accident, la jeune femme en vient à douter qu’il s’agisse d’un simple accident dû à la perte de contrôle du véhicule. Elle décide alors de creuser la question…

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Pour le côté thriller technologique 2.0 dans lequel les nouvelles technologies se retournent contre leur utilisateur… une réalité qui, bien souvent, dépasse la fiction.

Ma Chronique

Je remercie les éditions Métailié et la plateforme Net Galley pour leur confiance et la mise à disposition de ce roman.

Qui n’a jamais cliqué sur un lien de ragot people ? Qui n’a jamais participé à un quizz bidon sur internet ? Que celui qui n’a jamais pêché me jette la première pierre. Même si on sait parfaitement que la lecture de l’article en question va être sans le moindre intérêt et que les résultats du quizz seront d’une banalité affligeante, on a tous – au moins une fois – mordu à l’appât (ce n’est pas pour rien que ces liens sont appelés clickbaits).

Hormis nous avoir fait perdre du temps, ces moments d’égarement virtuels demeurent – fort heureusement – sans conséquence. Il en va tout autrement quand le fameux lien active un malware (trojan, virus, ransomware…). C’est en cliquant sur un de ces liens que la web-pigiste Julita Wójcicka va voir sa vie complètement chamboulée.

Tout commence avec ce qui semble être un banal accident de la route dans lequel un ancien présentateur TV et acteur va trouver la mort. En fouinant un peu plus loin que les apparences, Julita vient à douter de la thèse officielle de l’accident. Et bien entendu elle ne va pas se priver d’en faire un bref « article » sur le site du tabloïd pour lequel elle bosse. L’usine à clics est lancée. Mais pas que…

Elle aurait sans doute dû prendre au sérieux les menaces proférées par un hacker qui lui a ordonné de cesser ses recherches. Le gars va lui pourrir la vie au-delà de tout ce qui est imaginable et faire tout son possible pour saper sa crédibilité.

Complétement désemparée face à ces assauts virtuels, la jeune journaliste va pouvoir compter sur l’aide providentielle d’un hacker de génie… mais leur adversaire est loin d’avoir dit son dernier mot.

Je vous garantis qu’après la lecture de ce roman vous ne regarderez plus votre PC de la même façon. Cette stupide bécane pourrait très bien se retourner contre vous (pas de son propre chef, comme dans le film Electric Dreams, mais en tombant sous le contrôle d’une tierce personne mal intentionnée). Jakub Szamalek en profite d’ailleurs pour glisser au lecteur quelques conseils sur la sécurité informatique.

Il y a pas mal de jargon technique mais il est exposé de façon très didactique et surtout parfaitement intégré au déroulé de l’intrigue. Si ces termes techniques ne m’ont pas dérangé outre mesure j’avoue avoir eu un peu plus de mal avec les noms des personnages, pas facile de s’y retrouver (j’vous parle même pas de les prononcer) avec les patronymes polonais… mais on finit par s’y faire.

L’auteur apporte beaucoup de soins à ses personnages, mais surtout il entretient un flou artistique autour de certains, tant et si bien qu’on a du mal à percevoir leurs intentions (je pense notamment au procureur) avant que le voile ne soit levé.

Il faut dire que le gars est doué pour maintenir le lecteur en haleine tout au long de son roman, l’intrigue connaîtra son lot de rebondissements dont un revirement total de situation qui, pour ma part, m’a laissé sur le cul.

Une intrigue qui va mener Julita vers la face obscure du web, le dark net et son lot de marchandises toutes plus illégales les unes que les autres, mais qui offre aussi une voie royale – sous couvert d’un anonymat quasiment inviolable – aux perversions les plus abjectes.

Le plus glaçant dans tout ça, est sans doute le fait que tout est plausible (quand ce n’est pas purement et simplement un fait avéré). Avec les bonnes clés, un utilisateur mal intentionné peut visiter les profondeurs du dark net.

Tu Sais Qui est le premier opus d’une trilogie consacrée au dark net, le moins que l’on puisse dire est que Jakub Szamalek nous offre une mise en bouche pour le moins appétissante. Un thriller technologique maîtrisé de bout en bout, addictif au possible.

Mon seul regret, devoir attendre 2023, puis 2024 pour découvrir les suites. Siouplé Madame Métailié, pas moyen de raccourcir les délais d’attente ? Je vous rassure, ce premier opus boucle tout un pan de l’histoire tout en ouvrant une porte vers une extension de l’intrigue.

MON VERDICT

Coup de poing

[BOUQUINS] Zygmunt Miloszewski – Inestimable

AU MENU DU JOUR


Titre : Inestimable
Auteur : Zygmunt Miloszewski
Éditeur : Fleuve Éditions
Parution : 2021
Origine : Pologne (2020)
496 pages

De quoi ça cause ?

Zofia Lorentz, une éminente historienne de l’art, est contacté par Bogdan Smuga, un scientifique un brin aventurier, afin de retrouver la trace d’artefacts Aïnous – une ancienne peuplade de Sibérie – que son aïeul aurait rapporté en Europe.

Mais ils ne sont pas les seuls à rechercher ces artefacts, leur adversaire est puissant et ne reculera devant rien pour mettre la main dessus.

Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?

Parce que ça fait un moment que j’ai envie de découvrir l’univers littéraire de Zygmunt Miloszewski (au Scrabble son prénom et son nom feraient un carton), disons que net Galley m’aura mis le pied à l’étrier.

Ma Chronique

Je remercie les éditions Fleuve et Net Galley pour leur confiance renouvelée.

C’est donc le premier roman de Zygmunt Miloszewski que je lis, même si celui-ci fait intervenir des personnages déjà croisés dans Inavouable, il peut parfaitement se lire indépendamment du précédent (sachez toutefois que dans ce cas, de larges pans de l’intrigue vous seront révélés). J’avoue que je n’avais pas fait gaffe au départ, ce n’est qu’une fois ma lecture déjà bien entamée que je m’en suis rendu compte.

L’avantage que j’ai par rapport à des lecteurs qui connaissent l’auteur, c’est que je n’ai aucun élément de comparaison ; c’est donc d’un œil aussi neutre que vierge que j’aborde ce bouquin.

Le moins que l’on puisse c’est que les choses ne s’annoncent pas sous les meilleurs augures pour Zofia Lorentz au début du présent roman. Non seulement son mari, Karol, a des pertes de mémoire que la médecine n’arrive pas à expliquer, l’ultime espoir serait peut-être une clinique privée dans les Pyrénées françaises. Pour couronner le tout, elle se fait licencier de son poste à la direction du Musée National. Autant dire que la proposition qui lui tombe dessus, aussi insensée qu’elle puisse paraître, est une aubaine financière qu’elle ne saurait refuser.

Une quête moins anodine qu’il n’y parait puisqu’au cœur de ces anciens artefacts aïnous, pourrait se cacher la clé de la survie de l’humanité. Pas étonnant que dans de telles circonstances une puissante multinationale veuille mettre la main sur un sésame synonyme d’encore plus de profits et d’encore plus de pouvoirs. Face à eux, Bogdan Smuga, propose une vision plus humaniste, se proposant d’œuvrer pour le bien de tous sans amasser le moindre kopeck… Hmouais, trop beau pour être vrai me direz-vous, et c’est la même réflexion que je me suis faite, il doit sûrement y avoir anguille sous roche (ou murène sous patate dans sa version tropicale).

Je ne vous cacherai que j’ai mis un certain temps à comprendre où voulait nous mener ZM (marre de faire des copier-coller de son nom à l’orthographe improbable). Le bougre prend son temps, avec parfois de longs chapitres, pour poser le décor et ses personnages. C’est une intrigue façon diesel qui se déroule sous nos yeux, heureusement, une fois que la mécanique se met en branle, le rythme s’accélère, le régime monte dans les tours… pour ne plus retomber avant le clap de fin.

Je ne me prononcerai pas sur la faisabilité ou non de l’extraction et de la multiplication des bactéries de la façon décrite dans le roman (je n’ai pas les compétences scientifiques pour confirmer ou infirmer l’idée… et je m’en tamponne le coquillard) même si ça me semble un peu tiré par les cheveux. De toutes façons il faudrait plus qu’une incohérence scientifique pour que je lâche un bouquin, au nom de la fiction on peut se permettre de prendre quelques libertés avec la sacro-sainte vérité scientifique.

Je ne suis pas climato-sceptique et j’ai bien conscience que ce phénomène, associé à une croissance continue de la population mondiale, nous mène droit dans le mur (la fameuse sixième extinction si chère aux collapsologues ?). Par ailleurs, le peu de foi que j’ai dans le genre humain ne m’encourage pas à envisager l’hypothèse d’une soudaine prise de conscience qui inverserait la tendance. Pour autant, je ne peux pas cautionner une solution telle que celle envisagée dans le roman ; non seulement ça me parait humainement inacceptable, mais ça rappelle un peu trop les heures les plus sombres de l’histoire (et puis Thanos a essayé… ça ne lui a porté bonheur).

Je n’ai pas perdu les pédales, répliqua-t-elle pourtant. Et toi, tu ferais mieux de lire La Servante écarlate, sale crétin, tu verrais à quoi mène ce genre d’idées. Au lieu d’une lutte pour l’eau potable, on aura une lutte pour les femmes fertiles, des viols et une brutalité dont tu n’as pas idée. Et après, regarde Jurassic Park encore une fois et entends à nouveau que « life, uh, finds a way ». Ta bactérie va muter ou on va trouver un antibiotique, les gens vont continuer à se multiplier, mais dans une civilisation basée sur le viol et les violences faites aux femmes. Encore un putain de génie qui veut sauver l’humanité en nous glissant la main dans la culotte.

Finalement, après un début un peu poussif, j’ai trouvé que l’auteur menait rondement son affaire avec son lot de rebondissements et revirements de situation. Une intrigue qui ne mise pas tout sur l’action (parfois un peu too much), les nombreuses thématiques abordées pousseront le lecteur à se poser des questions (et pourquoi pas, à se remettre en question). Les personnages sont bien travaillés y compris les personnages secondaires, qui deviennent même parfois plus attachants que les principaux (mention spéciale à Martin Meller, un navigateur solitaire qui ne devrait laisser personne indifférent).

Une belle découverte qui va me pousser à garder un œil sur les futurs romans de Zygmunt Miloszewski. Et les précédents vous demandez-vous peut-être – je ne vous en vous en tiendrais pas rigueur si vous vous en foutiez comme de l’an Mil. Le cœur me pousse à espérer leur trouver une place dans un futur pas trop lointain, mais la raison me souffle, avec un ricanement sarcastique, d’arrêter de rêver !

MON VERDICT