Votre mission si vous l’acceptez : proposez-moi un roman qui combine un contexte post apocalyptique et un récit 100% fidèle à l’esprit nature writing cher à Gallmeister. Ah oui j’oubliais un dernier détail : l’ensemble doit tenir la route ! Pour son premier roman, Jean Hegland a décidé de relever ce pari un peu fou, c’est ce grain de folie qui m’a incité à me lancer à la découverte de Dans La Forêt.
Nell et Eva sont deux soeurs âgées de 17 et 18 ans. Le monde et la civilisation, tels qu’elles les ont connus se sont effondrés. Depuis la mort de leurs parents elles subsistent tant bien que mal dans la maison familiale, isolée au coeur de la forêt de Redwood (Californie). Mais comment organiser sa survie quand tous les repères connus sont devenus obsolètes ?
Quoi de plus naturel pour nous que d’appuyer sur un interrupteur pour avoir de la lumière ou tourner un robinet pour avoir de l’eau ? On ne prête même plus attention à ces gestes du quotidien, au confort moderne qui nous entoure et nous facilite grandement l’existence. Pas question d’y renoncer, ce sont des acquits ! En y réfléchissant bien, il n’y a là aucun acquis, si le modèle économique, sociétal et humain venait à s’effondrer l’interrupteur et le robinet ne fourniraient plus leurs précieuses énergies. Rapidement on se retrouverait livrés à nous mêmes pour assurer notre survie.
Le récit est volontairement intemporel, ça pourrait être demain, dans dix ans, cent ou mille, peut être même jamais. Il en va de même pour les circonstances de cet effondrement, il est vaguement question de guerres, d’émeutes, de crise économique et d’épidémies… peu de certitudes et beaucoup de rumeurs.
Le récit est à la première personne, c’est le journal de Nell que nous lisons. Elle y raconte leur quotidien et leur survie mais aussi des épisodes de leur vie d’avant, quand le monde tournait encore rond, quand leurs parents étaient encore en vie.
Nell et Eva avaient un avenir tout tracé, l’avenir qu’elles s’étaient choisi : Eva dansera dans le corps de ballet de San Francisco tandis que Nell entrerait à Harvard. Alors pour conjurer le sort, en attendant que les choses reviennent comme avant, Eva s’entraîne toute la journée dans son studio, au seul son d’un métronome et Nell lis inlassablement l’encyclopédie.
Au fil des pages, et du temps qui passe, on suit l’évolution de l’humeur des deux soeurs, il y a d’abord l’espoir d’un retour à la normale prochain, au fur et à mesure que celui-ci s’amenuise c’est l’abattement et la résignation qui s’installeront. A ce point il n’y a guère d’alternative, seules deux options primaires (pour ne pas dire primales) sont de mise : survivre ou mourir ! Se battre ou se laisser mourir !
Jean Hegland nous livre aussi une ode à la nature, certes elle peut parfois se montrer cruelle, mais si on apprend à l’apprivoiser elle peut se révèler d’une incroyable richesse et receler de nombreuses ressources qui viendront agrémenter le quotidien. A ce titre la forêt devient quasiment un personnage du roman plus qu’un simple lieu, un personnage qui évolue au fil des saisons.
Au-delà de l’aspect post-apocalyptique et nature writing, Dans La Forêt est aussi et surtout un véritable roman initiatique qui vous fera vivre un véritable tourbillon d’émotions ; vous partagerez les rires et les larmes de Nell et Eva. Merci à Gallmeister pour cette belle découverte, dire qu’il aura fallu attendre 21 ans pour découvrir ce titre en français (première publication aux USA en 1996).
MON VERDICT

Morceau choisi
Je me souviens de m’être débarrassée d’habits déchirés, tachés ou qui n’étaient plus à la mode. Je me souviens d’avoir jeté de la nourriture – d’avoir raclé des monceaux de nourriture de nos assiettes dans le bac à compost – simplement parce qu’elle était demeurée intacte sur l’une de nos assiettes pendant toute la durée d’un repas. Comme je regrette ces corbeilles à papier pleines à ras bord, ces reliefs de plat. Je rêve d’enfourner des sachets entiers de raisins secs, de brûler douze bougies à la fois. Je rêve de me laisser aller, d’oublier, de ne me préoccuper de rien. Je veux vivre avec abandon, avec la grâce insouciante du consommateur au lieu de m’accrocher comme une vieille paysanne qui se tracasse pour des miettes.