[BOUQUINS] Mattias Köping – Cartel 1011 – Les Bâtisseurs

La péninsule du Yucatán, entre le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes. Des sites d’une beauté renversante mais qui, depuis des siècles, se résignent à la violence. Le Yucatán est le fief du clan Hernandez, arrivé avec les premiers conquistadors et qui compte sur le pharaonique projet du Train Maya pour resserrer encore l’emprise qu’exerce son conglomérat, la toute-puissante Comex.

C’est là aussi, entre Cancún et Tulum, qu’émerge un nouveau cartel, le 1011, capable du pire pour asseoir son hégémonie sur les trafics internationaux.

Comme celui des capitaines d’industrie, l’appétit des criminels est sans limite. Tout s’achète et tout se vend : drogues, armes, matières premières, animaux, territoires, corps, âmes. Rares sont les téméraires qui osent leur résister.

En Europe aussi, les victimes s’accumulent. Les forces de police sont sur les dents, confrontées à une sauvagerie inédite.

Car nul ne bâtit de nouvel empire sans anéantir les précédents.

J’ai flashé sur ce roman dès sa sortie mais j’ai sans cesse repousser sa lecture pour x mauvaises raisons. Il était grand temps que je me lance enfin.

Je connais Mattias Köping de nom – et de réputation. Même si j’ai ses trois romans en stock depuis leur sortie, les seuls textes que j’ai lus de lui sont ceux du recueil Macadam, des textes au scalpel sublimés par les illustrations de Marsault.

Si je vous dis Cancún, nul doute que vous pensiez d’abord à la célèbre station balnéaire, à ses plages de sable blanc et à ses fêtes démesurées. Oubliez immédiatement la carte postale. Avec Cartel 1011 – Les Bâtisseurs, Mattias Köping nous entraîne dans l’envers du décor, au cœur de la face la plus sombre du Yucatán. Et l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Si vous pensiez avoir déjà tout lu en matière de littérature noire, ce roman risque fort de faire vaciller vos certitudes. L’avertissement éculé « âmes sensibles s’abstenir » n’est ici pas une formule creuse : Köping ne recule devant rien pour immerger son lecteur dans les horreurs perpétrées par les membres du Cartel 1011. Violence extrême, cynisme absolu, brutalité systémique : le texte assume pleinement sa radicalité.

Deux forces s’affrontent dans ce premier tome, véritables monstres à têtes multiples.

D’un côté, la COMEX, conglomérat tentaculaire, incarnation froide et implacable d’un capitalisme prédateur. Présente dans tous les secteurs stratégiques et économiques du pays, elle étend son emprise sans se soucier des conséquences humaines ou environnementales. Pour parvenir à ses fins, tout est permis. Malheur à celles et ceux qui se dresseront sur son chemin.

De l’autre, le Cartel 1011, nouvel acteur dans un paysage criminel mexicain déjà saturé de violence. Ce cartel entend s’imposer sur tous les trafics : drogues, armes, êtres humains. Sa loi repose sur la peur, la terreur et l’élimination méthodique de toute concurrence. Les rivaux sont absorbés ou annihilés. Et l’ambition du Cartel 1011 ne s’arrête pas aux frontières du Mexique.

Le choix narratif de Mattias Köping peut dérouter dans un premier temps. La première partie du roman se construit par fragments : des tranches de vie, des trajectoires individuelles confrontées tantôt à la COMEX, tantôt au Cartel 1011. Un fil rouge existe, mais le récit se montre volontairement éclaté, presque chaotique. Ce parti pris renforce toutefois le sentiment de confusion et de vertige. Le roman retrouve ensuite une structure plus classique, permettant aux différentes lignes narratives de converger avec une efficacité redoutable.

Le style de Köping, incisif, frontal, quasi chirurgical, se révèle parfaitement adapté à son propos. L’auteur tranche dans le vif, expose les faits bruts, sans fioritures ni complaisance. Ici, pas de romantisation du crime : seulement une mécanique de violence froide et méthodique, glaçante de réalisme.

On devine sans peine l’ampleur du travail documentaire en amont de l’écriture. Cette rigueur confère au roman une puissance immersive rare : le lecteur est happé au cœur des rouages criminels, politiques et économiques, dans un voyage qui n’a rien d’un long fleuve tranquille. Nous sommes plutôt embarqués dans une descente de rapides déchaînés, sans possibilité de reprendre notre souffle.

Difficile également de ne pas établir un parallèle troublant avec l’actualité française, où le narcotrafic s’impose plus que jamais dans le débat public : gestion des narcotrafiquants incarcérés, explosion des faits divers sanglants, implantation durable des réseaux criminels. Certes, nous sommes encore loin des scènes décrites par Köping… mais pour combien de temps ?

Cartel 1011 – Les Bâtisseurs fait office de mise en bouche aussi brutale qu’addictive. En refermant ce premier tome, une seule envie subsiste : découvrir la suite. Il faudra pourtant s’armer de patience : Mattias Köping travaille encore sur le second opus et aucune date de sortie n’a été annoncée à ce jour.

Une chose est certaine : si la trilogie tient ses promesses, elle s’annonce d’ores et déjà comme un monument de la littérature noire contemporaine.