AU MENU DU JOUR
Titre : Un Bonheur Sans Pitié
Auteur : Éric Genetet
Éditeur : Héloïse d’Ormesson
Parution : 2019
Origine : France
160 pages
De quoi ça cause ?
Marina pense avoir enfin trouvé le bonheur avec Torsten. Mais après six mois d’une passion idyllique, le voile des apparences tombe, Torsten révèle peu à peu sa véritable nature perverse et manipulatrice.
Emportée par ses sentiments, Marina pardonne inlassablement et s’habitue à l’inacceptable, jusqu’à se perdre et sombrer.
Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?
C’est avant tout la critique enthousiaste d’Aude (Aude bouquine) qui m’a poussé vers ce roman.
Il est vrai que le pervers narcissique est un cas d’école qui m’intéresse ; j’ai d’ailleurs plusieurs romans (et un essai) sur la question dans mon Stock à Lire Numérique, mais je ne savais pas trop par lequel commencer. Et pourquoi pas par un titre que je possède pas encore (cherchez pas… parfois ma logique obéit à des règles qui défient l’entendement) ?
Ma Chronique
Compte tenu de sa personnalité hautement dérangée (et plus encore dérangeante), il n’est pas étonnant que le pervers narcissique soit source d’inspiration pour de nombreux auteurs. Pour ma part c’est avec le roman Entraves d’Alexandra Coin que j’ai fait la connaissance littéraire de ces individus aussi nocifs que nuisibles (je connaissais le spécimen, mais n’avais jamais rien lu sur la question).
Au début du récit Marina quitte le mec avec qui elle vit une relation dans laquelle elle ne s’épanouit pas. Suivront quelques semaines de questionnements et de doutes avant qu’elle ne croise le chemin (d’abord sur fesse de bouc puis dans la vraie vie) de Torsten. Durant six mois on partagera leur passion idyllique, pleine de cœurs roses, de guimauve fondante, de nuages floconneux et tutti quanti… Une mise en scène soigneusement préparée par Torsten afin que Marina soit totalement raide dingue de lui.
Puis Torsten tombe le masque et révèle sa véritable nature. On s’enfonce alors crescendo dans le monde vicié du pervers narcissique, il déploie alors tout un arsenal pour détruire et rabaisser l’autre jusqu’à lui faire perdre tous ses moyens et surtout toute confiance en soi et toute estime de soi. Éric Genetet décrit parfaitement cette inexorable descente aux enfers jalonnée de multiples formes de violences psychologiques (humiliations, insultes, dénigrement systématique, jalousie maladive, isolement…).
L’auteur construit son roman en alternant entre les passages où il donne la parole à ses personnages (Marina, Torsten et d’autres) écrits à la première personne, et ceux où il porte un regard extérieur sur la vie du couple, écrit à la troisième personne, exposant les faits sans véritablement prendre parti.
Éric Genetet maîtrise totalement le profil psychologique de ses personnages, il nous implique pleinement, en spectateur impuissant, dans la vie (et la longue agonie) du couple. Même si l’ambiance du récit est résolument glauque et sombre, l’écriture de l’auteur reste malgré tout lumineuse et poétique.
Un roman court, mais nerveusement éprouvant. Évidemment face à Torsten le lecteur aura souvent des envies de meurtre, surtout quand il se fait passer pour une victime incomprise, ou qu’il se réfugie derrière son enfance difficile. Mais l’apathie de Marina sera toute aussi exaspérante, vous aurez plus d’une fois envie de la secouer, de lui gueuler de se sortir les doigts du cul et de quitter ce connard.
Une lecture coup-de-poing qui pointe du doigt une intolérable réalité pour les nombreuses femmes victimes de pervers narcissiques. Pour le coup on aimerait croire que tout ceci n’est que fiction, mais ce serait se voiler la face ou pratiquer la politique de l’autruche.
J’en ai connu des Marina qui ont vécu pendant des années sous la coupe d’un homme manipulateur et/ou violent. D’abord dans le déni (Mais non il est pas comme ça… c’est un A-MOUR. Mais il a beaucoup de boulot en ce moment, il est un peu à cran, c’est compréhensible non ?), puis à s’inventer tout un tas de mauvaises raisons pour ne pas quitter leur mec (la plus pathétique étant de loin le larmoyant « Mais je l’êêêmeuuuh » qui ferait passer Lara Fabian pour une aphone), jusqu’à endosser la responsabilité de leurs tourments (Oui bon, j’ai pris une claque, mais je l’avais bien cherché aussi). On commence par prêter l’oreille, puis on tend la main avant de renoncer face à l’obstination de la nana à accepter l’inacceptable (je ne saurai dire combien de fois j’ai entendu prononcer, avec un sourire de façade qui ne trompe qu’elle, une phrase du genre : « Je me suis pris une porte en allant me coucher, quelle gourde ! » pour justifier un bleu).
Les Marina que j’ai connues ont fini par rompre avec leur bourreau (du cœur, de l’âme et du corps), parfois après des années de soumission aveugle… souvent après le coup de trop, celui qui l’a conduit à l’hôpital (au mieux pour une cure de repos, au pire pour réparer les dégâts). Toutes n’ont malheureusement pas cette chance.
Morceaux choisis :
Pendant six mois, Torsten a injecté dans le corps de Marina des shoots de bonheur puissants avant de tarir sciemment la source. Le cerveau de mon amie n’est pas équipé pour pallier ce manque-là, il rame, cherche le programme qui l’a enchanté, mais ce programme est dans la petite poubelle en bas à droite de l’écran.
Elle est tétanisée par la crainte de mal faire, mais elle l’aime, c’est indiscutable, alors elle lui donne du plaisir. Et puis, une gifle, une fenêtre ouverte en hiver, c’est aussi ça la vie à deux, non ? Le reproche d’un sourire, d’un geste, d’un mot de trop ou en moins, des mots qui lacèrent, la crainte qu’il la trompe avec une autre plus belle, plus à l’écoute, à la hauteur de ses attentes, c’est aussi ça la vie de couple, non ? Et ses pleurs silencieux alors qu’il poursuit ses courses effervescentes aux orgasmes, allongé de tout son poids sur elle, brutal. Ce n’est rien à côté du bonheur de partager sa vie. Elle serre les dents. Elle va bien, il l’aime.
Je n’aurais jamais imaginé devenir cette fille-là. Personne ne peut comprendre pourquoi je ne quitte pas Torsten parce que je l’ignore moi-même.