AU MENU DU JOUR
Titre : Alma
Auteur : Cizia Zykë
Éditeur : Taurnada
Parution : 2018
Origine : France
210 pages
De quoi ça cause ?
En 1492, en Espagne, il ne fait pas bon d’être juif. Le pays vit en effet sous le joug du grand inquisiteur Torquemada, bien décidé à ne reculer devant rien pour bouter les juifs hors d’Espagne…
Alam est une jeune fille, une gueule d’ange, l’innocence et la bonté incarnée. En plus Alma affirme parler régulièrement avec Dieu. Problème, au vu du contexte en tout cas, Alma est juive…
Pourquoi lui plutôt qu’un autre ?
Parce que je n’ai jamais lu de roman de Cizia Zykë, mon expérience avec le bonhomme s’arrête à sa trilogie biographique, Oro (1985) – Sahara (1986) – Parodie (1987). Il faudrait d’ailleurs que je prenne le temps de me plonger dans le dernier opus de sa bio : Oro and Co (2009).
Joël, des éditions Taurnada, m’ayant gracieusement proposé de découvrir cet ultime roman, publié à titre posthume (Cizia Zykë est décédé en septembre 2011), je ne me voyais décemment pas refuser cette opportunité.
Ma chronique
Je remercie chaleureusement les éditions Taurnada, et tout particulièrement Joël, pour leur confiance renouvelée en m’offrant l’opportunité de découvrir ce roman de Cizia Zykë.
Zykë et moi c’est une histoire commencée en 1985 avec la lecture de Oro (un livre que j’avais offert à mon père pour son anniversaire) ; plus exactement avant même d’entamer sa lecture c’est la photo en quatrième de couv’ qui a fait tilt. Un costaud moustachu assis torse nu sur un transat, à sa gauche un flingue rangé dans son holster d’épaule, dans sa main droite un joint taille XXL et à son cou une chaîne en or ornée d’une magnifique pépite ! Rien que ça, ça m’a donné envie d’en savoir plus sur ce type.
Et la lecture du bouquin fut une sacrée claque ! Ce mec ose tout, ne respecte rien… Déjà à l’époque je ne respectais pas grand-chose… mais j’osais encore moins ! J’ai fait de ce bouquin, et surtout de Cizia Zykë, le sujet d’un exposé qui m’a valu une excellente note en cours de français malgré un sujet pas franchement politiquement correct. Et qui a valu au bouquin de faire le tour de la classe… sans jamais réintégrer son point de départ soit dit en passant !
Après Oro j’ai enchaîné avec Sahara et Parodie, qui remontaient à contre-courant le parcours hors norme (et surtout hors des sentiers battus de la bien-pensance universelle) de Cizia Zykë. Et puis je suis passé à autre chose, me promettant de prendre le temps, un de ces quatre, de m’intéresser aux romans du bonhomme… Et puis j’ai oublié (j’y pense et puis j’oublie… c’est bien connu), et puis Cizia nous a quittés à l’âge de 62 ans (au vu de la vie qu’il a menée et des excès en tout genre auquel il s’est adonné sans retenue on pourrait presque dire que c’est un exploit d’avoir tenu aussi longtemps).
Il y a quelques mois c’est le bouquin de Thierry Poncet, Zykë L’Aventure (lui aussi paru chez Taurnada), qui a rallumé la flamme et ravivé ma curiosité. Je me suis mis à la recherche des romans de Zykë ; mais une fois encore mon Stock à Lire Numérique et ses aléas auront raison de ma motivation…
C’est pourquoi la proposition de Joël arrivait à point nommé, cette fois plus moyen de procrastiner ! Je termine ce que j’ai en cours et je me lance !
Je crois que c’est la plus longue intro que j’ai jamais rédigée pour une chronique…
Trêve de digressions, revenons donc à nos moutons et à cette chère et tendre Alma.
Le roman s’ouvre sur une préface de Thierry Poncet, le complice, compagnon de voyage (et accessoirement de galères) et ami de Cizia Zykë. Préface dans laquelle il nous expose brièvement la genèse du projet Alma.
Premier constat : le roman est très court, mais, à la décharge de l’auteur, quand il a entrepris de l’écrire il savait d’ores et déjà que la Faucheuse viendrait bientôt lui réclamer son dû. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui même qui nous l’explique dès les premières pages du roman.
(…) si aujourd’hui je prends la plume une ultime fois, c’est que je suis à la veille de mon dernier grand voyage. Alors, à propos de Dieu, je saurai plus vite que vous de quoi il retourne. Le plus probable, même, est qu’à l’heure où vous lisez ces lignes, je suis en train de papoter avec Lui sur son nuage favori.
Second constat : le style narratif est pour le moins original. Cizia Zykë, le « conteur », comme il se qualifie lui même au fil des pages, s’adresse directement au lecteur. Je conçois que ça puisse surprendre, mais pour ma part je trouve que ça contribue à donner un certain cachet au roman ; d’autant qu’il le fait avec sa gouaille habituelle, mais aussi avec beaucoup d’humour et tout autant d’ironie (il est vrai que de nos jours le fanatisme religieux et le racisme n’ont plus cours).
Alma est donc une fable qui oppose à la folie et la connerie des hommes (pas tous, mais une grosse majorité tout de même) l’innocence de sa jeune héroïne. Le ton décalé de Cizia Zykë et les chapitres courts rendent cette lecture des plus agréables (malgré une histoire bien sombre), mais l’on sent quand même que l’auteur s’est renseigné sur son sujet et que les dérives de l’Inquisition n’ont plus de secret pour lui.
L’esprit humain recèle d’insoupçonnables ressources quand il s’agit de faire du mal à son prochain.
Au sein de la docte confrérie des bourreaux de l’Histoire, ceux de l’inquisition espagnole en cette fin de XVe siècle figurent parmi les plus imaginatifs. On leur doit, par exemple, l’usage de l’inventive garrucha, une méthode de suspension des gens agrémentée de lourds poids de bronze qui, judicieusement pendus aux jointures des membres et à divers appendices, se révélaient propices à un lent arrachage de muscles.
Ou bien le délicieux potro, triangle de bois sur lequel la personne était à la fois empalée et écartelée. Deux effets en un, n’était-ce pas ingénieux ?
Nous passerons sur des outils plus classiques et bien connus, tels que les poires d’angoisse, les brodequins, différentes lames à écorcher, trancher, découper en lanières, en cubes, ou à séparer les chairs muscle par muscle, et autres fers à brûler.
On aimerait se prendre à rêver (sans trop y croire) d’un happy end au milieu de toute cette folie, mais l’auteur balaye rapidement nos espoirs en annonçant la couleur : tout ça ne peut que mal se terminer et se terminera donc mal (merci Monsieur Murphy).
Une belle découverte que vous aurez bien du mal à lâcher une fois plongé dans sa lecture, et une belle rencontre avec Alma. Un grand merci à Thierry Poncet qui a permis à cet ultime roman de son ami de voir le jour plutôt que de croupir au fond d’un tiroir en l’état de manuscrit oublié.
Je n’ai pas une longue expérience de la langue espagnole, mais suffisamment pour manquer de m’étouffer avec mon Coca en découvrant les noms du sergent de la soldatesque sévillane, Cojones y Culo de Hierro (que l’on peut traduire par Couilles et Cul d’Acier) et de son second Pinga de Burro (littéralement, Pine d’Âne).