Une lecture faite dans des conditions un peu particulières, en hommage à une personne qui fréquentait certains mêmes lieux de perdition littéraire que moi et brutalement décédée le mois dernier. Nous ne nous connaissions pas mais je prenais un réel plaisir à lire ses messages plein de retenue et de pertinence (une bouffée d’air frais quand l’ambiance est plombée par des trolls et des polémiques à deux balles). Elle avait posté une critique dithyrambique de ce livre sur le forum, et aujourd’hui il est au programme du Book Club de septembre 2015. Repose en paix Ariel.
Bon je sais que c’est le genre d’intro qui plombe l’ambiance mais j’y tenais absolument, donc voilà qui est fait. Et maintenant place à ma chronique de Miniaturiste de Jessie Burton. Serai-je aussi enthousiaste que Ariel ? Je vous promets par contre une critique rédigée et notée en totale impartialité.
Amsterdam, novembre 1686. Nella Oortman quitte sa campagne pour la capitale afin d’y rejoindre son époux, Johannes Brandt, un riche commerçant. A son arrivée l’accueil est glacial, la maison semble sans âme et, cerise sur le gâteau, Johannes n’a même pas daigné se libérer pour l’accueillir. Quelques jours plus tard son époux lui offre une maison de poupée, exacte réplique de leur grande demeure…
Si vous me lisez depuis déjà quelques temps vous aurez compris que ce n’est pas vraiment mon style habituel de lecture… franchement quelle idée saugrenue d’aller se balader dans un Amsterdam du XVIIème siècle ! Et je reconnais sans la moindre honte que je m’y suis aventuré presque à reculons, mais dès les premières pages mes appréhensions se sont envolées. D’une part grâce au style de l’auteure qui signe là un premier roman pour le moins original mais surtout d’une lecture aisée et agréable. Mais aussi et surtout l’auteure sait s’y prendre pour tenir son lecteur en haleine, pas par une intrigue dopée à l’adrénaline, loin s’en faut, elle mise plutôt sur une ambiance pesante qui dégage une impression de mal être (sensation renforcée par les silences qui répondent aux questions de Nella). Bref on sent bien qu’il y a anguille sous roche dans cette piaule et dans cette famille… Et bien entendu on crève d’envie de connaître le(s) fin(s) mot(s) de l’histoire.
On sent que l’auteure a dû faire un sacré travail de documentation pour restituer avec un tel réalisme la société et les moeurs amstellodamois du XVIIème siècle. On y découvre une société engoncée dans les carcans du calvinisme, puante de puritanisme et d’hypocrisie ; parfois ça frôle même la crétinerie la plus crasse. A vous de juger : « Arnoud confirme que les biscuits en forme d’hommes et de femmes, de garçons et de filles ont été bannis des commerces, en même temps qu’on fermait les échoppes des vendeurs de poupées sur le Vijzeldam. Ça aurait un rapport avec les catholiques, dit-il, une histoire de fausses idoles et de supériorité de l’invisible sur le tangible. »
Johannes portera un jugement sans appel sur Amsterdam qu’il qualifie de « cage invisible, dont les barreaux sont faits d’une hypocrisie meurtrière » et la mentalité de ses habitants qu’il résume ainsi : « Le comportement de chacun est observé en permanence. Et toute cette bigoterie – les voisins qui surveillent leurs voisins, tressant des cordes pour tous nous ligoter ! »
Une société qui n’a pas une très haute opinion de la gente féminine à en croire certains propos : « Certaines peuvent travailler, s’écrie Marin. Elles s’éreintent à la tâche et ne sont payées que la moitié de ce que gagnerait un homme. Les femmes ne peuvent rien posséder, elles ne peuvent faire de procès. La seule chose dont on nous croit capables, c’est de produire des enfants, qui ensuite deviennent la propriété de notre mari. »
Heureusement l’intrigue ne repose pas uniquement sur cette ambiance pesante, lentement mais sûrement l’auteure lève le voile sur certains secrets de la famille Brandt ; chaque révélation semble les précipiter vers une succession de drames que l’on devine inévitables sans réussir toutefois à les cerner avec précision (il faut dire que le prologue, qui se déroule en janvier 1687, commence par un enterrement… ça aide à supposer que les choses vont mal tourner).
Jessie Burton s’attache aussi à soigner la présentation et la personnalité de ses personnages. Bien entendu elle donne la primeur à Nella, qui débarque en jeune fille fragile et perdue dans un contexte d’indifférence, voire de mépris, à son égard ; mais qui, peu à peu et par la force des choses, va devoir s’affirmer pour éviter le naufrage. Elle résume assez bien sa propre situation : « Parfois, dans cette maison, je vois des filets de lumière, comme si on me donnait quelque chose. D’autres jours, l’ignorance me plonge dans l’obscurité la plus totale. »
Les autres occupants de la maison, Johannes, sa soeur, Marin et les deux domestiques (qui sont bien plus que cela), Cornelia et Otto, vont eux aussi se dévoiler petit à petit. Mais le personnage le plus énigmatique reste bien entendu la mystérieuse miniaturiste ; les questions ne manquent pas la concernant. Mais je ne vous dirai pas si on a toutes les réponses en fin de lecture…
C’est pas franchement convaincu que j’ai ouvert ce livre et pourtant je le referme avec un air béat figé sur la tronche. J’ai été happé par l’histoire et les personnages sans ressentir le moindre ennui, au contraire il a même un côté sacrément addictif. Et surtout, quitte à me répéter, j’ai été sous le charme de l’écriture de l’auteur ; un grand merci à Dominique Letellier pour la qualité de sa traduction.
Pour un premier roman, Jessie Burton, du haut de son jeune âge (elle est née en 1982), réussit un impressionnant tour de force qui devrait séduire même les plus réfractaires aux fictions historiques, cette chronique en est la preuve !
La genèse de ce roman aussi captivant que atypique mérite que l’on s’y attarde, c’est lors d’une visite au Rijksmuseum d’Amsterdam que Jessie Burton est tombée en admiration devant la maison de poupées de Petronella Oortman. Dès lors elle a décidé de lui consacrer un récit qu’elle mettra quatre années à finaliser, une fiction créée de toute pièce autour du personnage de Petronella Oortman.
MON VERDICT

Je vous invite à cliquer sur la photo ci-dessous pour découvrir ladite maison de poupées… le travail de finition est impressionnant !
Pour la voir avec encore plus détails je vous invite à visiter le site du Rijksmuseum.
Touchant contexte de lecture…
Merci pour cette découverte
Une très belle découverte qui plus est.
Ton intro est une belle preuve de ces rencontres qui marquent une vie ! Bravo
Le livre est dans mes envies depuis un moment. Il va bientôt finir dans ma bibliothèque. Merci pour ta chronique
Je ne peux que t’encourager à l’intégrer à ta PàL 🙂
😉 conseil suivi
Alors yapuka trouver du temps pour le lire
Ouais…là ça va être chaud lol mais je trouverais
Si tu me prends par les sentiments.
Le grand siècle des pays bas rien que ça je jubile.
Alors après ta chronique, je succombe.
Et je rejoint Anne Ju et Yvan sur le touchant contexte de lecture qui donne encore lus de sincérité à ton magnifique avis.
Merci m’sieur
Je suis confiant sur ton ressenti 😉
En tous les cas, la couverture est très jolie !
La piaule aussi. Et le bouquin est un vrai plaisir à lire.
Mince alors ! Je fréquente les mêmes tavernes mal famées que toi et j’ai loupé ça ! 😦 Pour me faire pardonner, je pense que je vais chercher ce livre et m’en aller le lire en pensant à ce membre qui nous a quitté. 😥
Belle chronique, my Lord.
Hâte de lire ton billet sur ce bouquin 😉
Je l’ai acheté (hum) et maintenant, yapuka !
Yapuka, au boulot !
Ouaip !
Joli hommage Fred 🙂
J’aurais rêvé d’une maison de poupée comme celle ci , je me suis contentée de faire des murs avec des couvercles de jeux de société! lol A la guerre comme à la guerre hein !
Couverture magnifique en tout cas
On fait avec les moyens du bord 🙂
Exactement 🙂